Qu’est-ce que le parcours hors norme de Modesta a à nous dire des grandes dynamiques sociales, économiques et politiques qui ont traversé la Sicile au cours du XXe siècle ?

Avec

  • Nathalie Castagné Romancière, traductrice de l’œuvre de Goliarda Sapienza
  • Manuela Martini Historienne de l’économie et professeure à l’Université Lumière-Lyon 2
  • https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/entendez-vous-l-eco-emission-du-mercredi-01-fevrier-2023-8456848?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2023-02-01&at_position=1

L’ascension sociale de Modesta, héroïne de L’Art de la joie, petite paysanne sicilienne, née le 1er janvier 1900 et devenue princesse avant ses 20 ans, est devenue une référence contemporaine. L’Art de la joie, un roman qui fascine pour ses fondements très politiques et pour son aspect transgressif. Pas tout à fait roman d’apprentissage, il semble plutôt relater une quête : celle, en soi-même, de liberté. Au passage, Goliarda Sapienza propose une histoire du siècle vécue intimement, une fenêtre ouverte sur les bouleversements qu’ont connus la Sicile et l’Europe.

Modesta : l’histoire fantasque d’une ascension, ancrée dans un paysage socio-économique sicilien bien réel

On a tendance à rapprocher Goliarda Sapienza de son héroïne Modesta, cependant celle-ci naît dans une famille extrêmement pauvre, ce qui n’était pas le cas de Gorliarda Sapienza, Nathalie Castagné ajoute “les origines sociales de Goliarda et de Modesta sont très différentes. Goliarda était issue d’une famille socialiste et sa mère avait connu la pauvreté, son père par ses origines aussi. Le transfuge de classe, c’est lui, le père. La mère de Goliarda était née de paysans aisés, et elle s’est réduite à une grande pauvreté par militantisme, c’est une aristocrate déchue. Goliarda a une admiration extrême pour sa mère, et elle ne rejette pas complètement l’aristocratie. Son père est devenu avocat et ses parents sont très engagés politiquement. Goliarda naît en 1924 en plein fascisme, son père continue à travailler, sa mère ne peut rien faire, elle est considérée comme une femme dangereuse. En effet, elle a été une militante très active, y compris en Sicile où le parti socialiste l’a envoyée en 1920“. Manuela Martini complète “Goliarda connaissait extrêmement bien la réalité sociale paysanne de la Sicile du début du XXe siècle, elle écoutait les clients de son père qui étaient souvent des pauvres paysans. Elle raconte qu’elle était dans la salle d’attente et qu’elle interrogeait les personnes qui venaient parler à son père, ce sont des leçons de vie… La paysannerie sicilienne qui vit et travaille dans des “latifundium”. Ce sont de grandes propriétés foncières où une population très appauvrie travaille pour de grands aristocrates, qui possèdent ces terres. Ces domaines ont évolué avec une diversification des cultures, avec les agrumes notamment, mais le type de gestion reste une agriculture extensive, basée sur la culture des céréales, et d’autres cultures comme l’olivier et les agrumes. Ce qui permet de répondre à la demande internationale. L’unification italienne favorise les grands propriétaires de Latifundium parce que la politique libérale de l’État italien permet à ces grands propriétaires d’exporter dans de meilleures conditions.

Dans les yeux de Modesta, le monde de Goliarda ?

Goliarda Sapienza fait partie de ces auteurs qui livrent leur vie dans leurs romans. Si Modesta réussit à s’élever dans la société, c’est qu’elle est aussi très stratège, elle sait adopter les codes sociaux des différents univers dans lesquels elle évolue, selon Manuela Martinice qui est intéressant dans ce personnage, c’est son amour du savoir, de l’apprentissage perpétuel. C’est un roman d’apprentissage et de formation, même si la première partie est totalement irréaliste. Il y a cette soif d’apprendre dans le domaine social et culturel, cette quantité d’informations qu’elle arrive à ingurgiter, il y a la dimension de sa curiosité vers les autres milieux sociaux, que ce soit l’aristocratie ou le monde des militants socialistes. Elle doit apprendre comment fonctionnent ces différents milieux”. Si Modesta s’élève dans la société, ce n’est pas pour le prestige ou pour l’argent, c’est parce que c’est le seul moyen à ses yeux de conquérir la liberté, Nathalie Castagné complète “Modesta n’est pas abîmée par un arrivisme, elle est animée par une force vitale qui ne cède quasiment jamais. Cette force vitale au départ, ce n’est pas la joie, cela peut être la haine aussi, ce sont des choses très violentes, c’est aussi la sexualité d’un bout à l’autre du livre. C’est un point central avec aussi la liberté. Par ailleurs, la joie est ce que Goliarda a essayé de trouver“.

Pour aller plus loin

  • Goliarda Sapienza : L’Art de la joie, traduit de l’italien par Nathalie Castagné (Le Tripode)
  • Études réunies par Enrica Asquer, Anna Bellavitis, Giulia Calvi et al. : Vingt-cinq ans après, Les femmes au rendez-vous de l’histoire (Collection de l’École française de Rome, 2019)
  • Article de Manuela Martini “Dynamiques de l’histoire du travail, des femmes et du genre à l’époque contemporaine” dans l’ouvrage collectif Histoire des femmes et du genre : historiographie, sources et méthodes (Armand Colin, 2022)

À réécouter : Goliarda et l’art de la joie

La Compagnie des auteurs

58 min

Références sonores

  • Extrait du film Le Guépard, Luchino Visconti, 1963
  • Lectures extraits de L’Art de la joie

Références musicales

  • BO du film SENSO (Visconti 1954) ouverture du film. VERDI Trovatore
  • Noise of you, par John Cale

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