La présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen voudrait privatiser toutes les chaines de télévision. Ce projet n’a pas ému beaucoup de commentateurs. Et pourtant ! Sur la question du service public une exception française mériterait d’être défendue bec et ongle, celle de l’audiovisuel.

Des matinées informatives de France Culture aux soirées Théma d’Arte (pour ne citer quelques exemples) ces exceptions providentielles doivent leur qualité à leurs producteurs et animateurs, certes, mais elles le doivent aussi à la spécificité de l’« outil ». L’absence de publicité criarde et de jingles abrutissants, le calme relatif régnant sur ces antennes ou ces écrans, ne sont pas étrangers à la fidélité des usagers. Au-delà des contenus proprement dit, c’est une certaine exigence qui s’y trouve honorée. Sans compter que l’indépendance de principe à l’égard des annonceurs y autorise une liberté de jugement assez remarquable, sur le chapitre de l’économie et du social, entre autres. Dans une société où prévalent les logiques marchandes, le lien avec l’État, en ces matières, se révèle paradoxalement libérateur. En défendant le service public de l’audiovisuel, on ne chercherait pas à diaboliser le “privé”. On voudrait simplement rappeler le caractère dévastateur de certaines logiques, en contradiction avec le principe même de la création. Le futur diffuseur, chaîne de télé ou station de radio, qui sent sur sa nuque le souffle des annonceurs publicitaires (avec leurs petits panels portatifs…), sera tenté de veiller préventivement au grain. Ce n’est pas qu’il ait lui-même des préférences philosophiques ou même ce qu’on appelait jadis des préjugés. Non. Un diffuseur n’est pas là pour penser mais pour calculer. Ce qui l’occupe, ce n’est pas l’intelligibilité du monde ou la légitimité de l’art cinématographique, ce sont ces fameuses ménagères de moins (ou de plus) de cinquante ans dont il s’agira de capter l’attention, disent les publicitaires. Un téléfilm n’est pas là pour créer quoi que ce soit mais pour « ratisser ». Et ratisser large, en tenant compte de l’heure, du jour, de la période de diffusion et du type d’annonceurs espérés.A bien écouter ce qui se chuchote aujourd’hui dans les coulisses de l’audiovisuel, on comprend mieux la gêne ressentie devant la plupart des réalisations (variétés, téléfilms, etc.) qui sont d’abord conçus pour satisfaire les annonceurs : quelque chose de lisse, sans aspérité, des « produits » efficaces et ronronnant. Certes, à ce terrorisme de l’alchimie publicitaire, il y a des exceptions notables, mais elles ne font que confirmer la règle.La règle ? Ce qui est en jeu dans cette toute-puissance des logiques marchandes : une interprétation utilitariste du récit et de la fiction ; l’infusion invisible d’une obsession calculatrice qui finit par substituer à toute idée de « création », celle précautionneuse, rapiat et cynique, de « fabrication ». Fabriquer au lieu de créer ; prévoir au lieu de surprendre. Adieu invention, trouvaille et talent ! Voilà ce qui nous semble catastrophique. Misère ! Tout faire pour éviter cette régression.

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