Le député macroniste estime que l’initiative de son collègue de banc Mathieu Lefèvre, qui a décidé de projeter mardi aux députés français les images compilées par l’armée israélienne des massacres du 7 octobre, n’est « pas une bonne idée ». Il s’en explique auprès de Mediapart.

Pauline Graulle

14 novembre 2023 à 07h40

Sylvain Maillard, le président des députés Renaissance à l’Assemblée nationale, a prévenu : il regardera de près qui sera présent ou pas, mardi 14 novembre, dans la salle obscure du Palais-Bourbon. Tout le monde sait pourtant que le film qui sera diffusé ce jour-là est insoutenable. Il s’agit d’une compilation d’images de vidéosurveillance ou issues de téléphones portables filmées lors du massacre perpétré par le Hamas, le 7 octobre.

C’est le député Mathieu Lefèvre, président du groupe d’amitié France-Israël et défenseur d’un « soutien inconditionnel » à Israël, qui a décidé de projeter ce film de 45 minutes, qui avait fait pleurer d’horreur une journaliste, rapporte Télérama, lors d’une projection devant la presse le 7 novembre. Contacté par Mediapart pour en savoir plus sur les objectifs de son initiative, Mathieu Lefèvre n’a pas répondu.

Il était en revanche l’invité de France Inter mardi matin. Il y a défendu son choix de faire diffuser le film car « face à la barbarie terroriste islamiste rien ne serait pire que l’oubli ». En se défendant de vouloir faire une « opération politique » ou une « opération de communication », Mathieu Lefèvre a tout de même insisté sur le fait que son collègue, le député de La France insoumise David Guiraud, s’était rendu coupable à ses yeux d’une forme de « complaisance » à l’égard d’une sorte de négationnisme dans une vidéo diffusée le week-end dernier.

Député breton et spécialiste du terrorisme, Éric Bothorel, qui siège lui aussi dans le groupe Renaissance à l’Assemblée, est très critique contre cette initiative. Il explique pourquoi à Mediapart.

Mediapart : Vous avez indiqué sur Twitter la semaine dernière qu’organiser une projection des massacres du 7 octobre à l’Assemblée nationale n’était « pas une bonne idée ». Pourquoi ?

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Éric Bothorel lors d’un débat à l’Assemblée nationale le 28 avril 2020. © David Nivière / AFP

Éric Bothorel : Il s’avère que j’ai déjà vu une partie de ces images – elles sont atroces –, et que je ne comprends pas bien la raison qui justifie de les montrer aux députés. Si la raison avancée est qu’il faut montrer des images pour combattre l’obscurantisme ou convaincre les négationnistes – si tant est qu’il y en ait dans l’hémicycle –, ce n’est pas un bon argument.

Non seulement on n’a pas eu besoin de voir la décapitation de James Foley pour faire comprendre ce qu’est l’État islamique ou de montrer la tête de Samuel Paty pour rendre compte de l’atrocité de son assassinat, mais, surtout, les images, on le sait, ne persuadent pas les complotistes : la preuve, il y a eu plein d’images du 11-Septembre et ça n’a pas empêché des centaines de gens de dire que cela n’avait pas eu lieu.

Ce film peut-il être considéré comme de la propagande de guerre du gouvernement israélien ? Rappelons qu’il a été diffusé une première fois à la presse internationale sur une base militaire de Tel-Aviv.

Ces images, dont certaines viennent de vidéos du Hamas, ont été compilées par Israël qui, pour des raisons qui lui appartiennent, a décidé de les publiciser, via des relais de l’État hébreu sur les réseaux sociaux. Le gouvernement est allé jusqu’à acheter des espaces publicitaires pour les diffuser – par exemple l’image d’un couple calciné a été postée sur Google Ads. Dans le film qui sera montré, il y a des images de caméras de surveillance devant les kibboutz ou de films réalisés lors de la rave party sanglante, mais aussi des images issues de GoPro ventrales des terroristes…

En France, notre doctrine n’a jamais été de montrer ce genre de choses au grand public ou aux journalistes. Ne serait-ce que pour la protection des victimes : c’est une question de dignité d’abord que nous leur devons, mais aussi une question de droit à l’image et d’exploitation de ces images pour leurs proches survivants. Nous menons d’ailleurs une politique volontariste pour éviter que ce genre de choses soit diffusé sur les réseaux sociaux.

Cette initiative est donc contraire à ce que vous faites en tant que législateur ?

Voir cela est vraiment traumatisant et ne résout rien. Même dans les procès, les juges se posent la question de diffuser les enregistrements ou les images – c’est ce qu’il s’est passé par exemple à propos des audio du 13-Novembre. Par ailleurs, si l’on veut montrer des images choquantes, les historiens ou les journalistes savent très bien le faire en les contextualisant.

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Après, je comprends que les juifs soient sensibles à l’idée de montrer les choses, parce qu’ils ont une histoire singulière, les survivants des camps de concentration n’ayant, au départ, pas été crus par l’opinion publique et les politiques de l’époque. Ce matin, le compte de Tsahal en France a d’ailleurs diffusé sur Twitter la photo de la fosse du Bataclan le 13 novembre. Je le répète : ce n’est pas notre doctrine. On ne se nourrit pas de voir les victimes agoniser !

Lundi matin, sur Sud Radio, Sylvain Maillard, le président de votre groupe à l’Assemblée, a estimé qu’il serait « intéressant » de voir qui, parmi les députés, serait dans la salle ce soir, suggérant que certains refuseraient pour des raisons politiques de regarder le film. N’y a-t-il pas une forme de pression pour aller voir ces images ?

Si c’est ce qu’a voulu dire Sylvain Maillard, je suis en désaccord. Il y aura en effet de bonnes raisons d’être absent. Ce sont des images ultra-violentes, qui peuvent nous traumatiser profondément, et que personne ne doit se sentir obligé de regarder. Si l’on en arrivait à culpabiliser les gens qui ne sont pas là, ce serait plus que maladroit : ce serait dégueulasse.

Pauline Graulle

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