Alors qu’en ce 23 décembre 2020, on commémore les dix ans de la convention pour la protection contre les disparitions forcées, nous vous proposons quelques échos d’une journée nationale d’études sur le thème des disparus de la guerre d’Algérie organisée par les Archives nationales le 4 décembre :

Les archives pour reconstituer l’Histoire et les parcours

La journée d’étude proposée par les Archives nationales le 4 décembre dernier visait à présenter le Guide numérique sur les disparus de la guerre d’Algérie et à faire un point sur les avancées de la recherche en ce domaine.

Ce guide est consultable sur le portail France Archives (https://francearchives.fr/fr/actualite/223693824). Il ne propose pas de liste des disparus mais des sources d’archives publiques (Archives nationales, notamment d’outre-mer, archives de la Défense, archives des Affaires étrangères, archives de Paris et de la préfecture de police, archives de la commission de sauvegarde des droits et libertés individuels créée le 7 mai 1957 pour que la vérité soit établie sur les pratiques de l’armée, etc. seules les archives privées et les archives du CICR sont absentes de ce guide) permettant d’apporter des éléments ou des réponses à la recherche des disparus de la guerre d’Algérie.

Les disparus, ce sont ceux considérés comme tels au moment de la constitution du dossier. Cela concerne ceux dont le corps n’a pas été retrouvé mais aussi des personnes qui ont pu réapparaître plus tard ou dont le corps a été retrouvé plus tard (Algériens en Algérie, Algériens en France, Harkis, militaires français en Algérie, civils français en Algérie). Ce ne sont donc là qu’une partie des nombreuses victimes de cette guerre. Cette question des disparus est aussi vaste que le terrain de la recherche désormais défriché. Au fil des échanges et des recherches, il est bon de constater que le raisonnement sur les catégories de disparus peut être abandonné, les chercheurs se retrouvant sur des questionnements communs, mais il faut reconnaître qu’on ne peut pas toujours trouver la vérité sur les personnes disparues en raison de réalités transformées par l’armée et l’administration. Si le système de la torture et de la disparition encadré par l’État a été reconnu, on peut répondre à une demande de reconnaissance sans pour autant produire les détails de ce qui est arrivé faute d’éléments probants.

Les archives comme entraves à la mémoire

  • En Algérie

Le premier obstacle pour les chercheurs et les familles réside dans la difficulté d’accès aux archives algériennes. Il faut savoir que, ces dernières années, il y a eu un recul par rapport à l’accès aux documents et certains, qui avaient été auparavant consultés, ne sont plus consultables. Sans compter le problème de documents détruits par les inondations et incendies provoqués. C’est une chape de plomb mise en place par les différents gouvernements qui pèse sur la vérité et l’histoire, formant l’une des principales entraves sur l’autre rive de la Méditerranée.

Il faut ajouter à cela que les historiens ne se sont jamais vraiment intéressés à la question des disparus et, qu’en plus, les documents de cette époque sont rédigés en français et cette langue est nettement moins usitée aujourd’hui. Si l’on ne cherche pas à reconstituer l’histoire, au  moins les archives relatives aux disparitions forcées peuvent-elles participer à la recherche dans l’intérêt des familles et à la constitution de dossiers de pension.

Il faut aussi savoir que, lorsqu’on trouve des ossements (voire un charnier) lors d’opérations  de travaux divers, une enquête de police scientifique est diligentée dont les historiens sont entièrement exclus. On note – et plusieurs témoins présents l’ont confirmé – une grande attente en Algérie concernant la vérité sur les disparus de la guerre. Ainsi, les recherches d’associations telles 1 000autres.org (mise en ligne de listes à partir du dépouillement d’archives notamment aux Archives nationales d’outre-mer d’Aix-en-Provence) sont-elles très bien reçues en Algérie. Alors qu’en 2006, une convention sur les disparitions avait été signée entre les deux pays, il serait bon que des recherches soient effectuées dans un cadre franco-algérien mais c’est une question d’ordre diplomatique qui met l’accent sur l’enjeu politique des archives.

  • En France

Côté français, l’obstacle majeur est celui des archives classifiées. De quoi s’agit-il ? Cela concerne des documents confidentiels produits par l’armée mais pas uniquement qui portent les mentions « Secret » ou « Très secret » (avant 1952), auxquelles on a ajouté entre 1952 et 1966 « Secret confidentiel » et auxquelles s’est substituée de 1966 à 1981 la mention « Secret défense ».

Si la reconnaissance officielle, par le président de la République française, le 13  septembre 2018, de la responsabilité de l’armée dans la disparition de Maurice Audin a engendré l’arrêté de dérogation générale pour la consultation des archives relatives à Maurice Audin (9 septembre 2019) et l’arrêté de déclassification des dossiers des disparus (9 avril 2020), l’ouverture des archives se heurte à la fameuse IGI 1300. Ce barbarisme caractérise l’instruction générale interministérielle n°1300 sur la protection du secret de la défense nationale datée du 15 novembre 2011. Son article 63 subordonne toute communication de documents antérieurs à 1970 comportant un tampon « secret » à une procédure administrative dite de déclassification.

F60, Archives de la Commission de Sauvegarde des Libertés et Droits Individuels, © Archives nationales

Ainsi, les autorités émettrices, ou services producteurs de ces archives, demandent aux autorités de conservation de produire des listes détaillées pièce à pièce de ces documents classifiés. Inutile de dire que cela prend beaucoup de temps ! Puis, les représentants des services producteurs viennent sur place consulter les documents avant de transmettre leur assentiment. Après chaque décision, il faut démarquer les documents un à un en apposant le timbre idoine puis intégrer le tout dans les systèmes informatiques. L’opération de démarquage préalable à toute consultation est obligatoire sous peine de compromission. À cet effet, trente personnes ont été recrutées par le ministère. Pour aller un peu plus vite dans ces opérations, le directeur du service historique de la Défense (SHD) peut décider et signer la déclassification à l’article (ensemble cohérent de documents) et non à la pièce (mais il faudra toujours démarquer pièce à pièce).

Or, la loi de 2008 sur les archives (voir Code du patrimoine), qui a abaissé les délais de communicabilité des documents, stipule que les documents Secret-défense sont communicables de plein droit après un délai de 50 ans (et non plus 60) sans qu’aucune autre condition particulière ne soit exigée. Voilà donc une belle contradiction entre les textes qui fait piaffer les historiens et autres chercheurs ! C’est pourquoi, en septembre 2020, l’AAF (association des archivistes français), l’AHCESR (association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche) et l’AJMA (association Josette et Maurice Audin) ont saisi le Conseil d’État pour faire constater l’illégalité de cette disposition réglementaire (en effet, l’IGI a été produite après la loi sur les archives). On peut souhaiter que cette instance suprême rende un avis positif sans trop tarder, même si les nombreux documents fragiles et en mauvais état qui sont à numériser au préalable retarderont encore d’autant les consultations.

Une chose est sûre : les archives et les travaux des historiens sont plus que jamais nécessaires  pour répondre au besoin d’une mémoire apaisée entre les deux pays. En ce sens, le rapport commandé à l’historien Benjamin Stora par la présidence de la République française sur la mémoire et les relations entre ces deux pays est très attendu.

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