Alors que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris va examiner,
début janvier, les demandes d’extradition de dix anciens militants italiens
d’ultragauche accusés de terrorisme, l’écrivain dénonce un acharnement
judiciaire
I l s’agit d’une poignée d’Italiens, français de cœur depuis plus de la moitié d’une vie, qui défendent
leur cause auprès de la magistrature française. Ils ont été accueillis en France dans le lointain
XX siècle à la condition de dire un adieu définitif aux armes. Ils l’ont respectée. Ce ne sont pas des
clandestins, ils ont une résidence légale. Ils ont été accueillis par le président Mitterrand car il existait
une loi spéciale en Italie selon laquelle la seule déclaration d’un délateur, appelé collaborateur de justice,
suffisait pour être arrêté et soumis à une détention préventive pouvant aller jusqu’à cinq ans, sans
procès.
Aucune preuve de ces dénonciations n’était requise. En outre, on était condamné pour délit
d’appartenance à un groupe armé, sans entrer dans les responsabilités individuelles. Une personne qui
avait hébergé un fugitif partageait la même responsabilité. J’arrête par manque de place.
Le président Mitterrand et ses successeurs ont confirmé le droit à la résidence des réfugiés italiens. La
France a confirmé son statut spécial de nation d’accueil des réfugiés politiques. C’est sa supériorité
morale et mondiale qui en fait une terre d’asile. En Italie, on entend souvent parler du droit des parents
des victimes à voir punis les responsables de leurs deuils. Ce droit leur a été refusé par l’État italien.
Deux collaborateurs de justice, par exemple, l’un appartenant aux Brigades rouges et l’autre à Prima
Linea, ont avoué être coupables d’une vingtaine d’homicides. Dès qu’ils ont été arrêtés, ils ont dénoncé
tous les deux des dizaines de membres de leurs organisations. Tous les deux ont été intégrés dans des
programmes de protection sans purger de peine de détention, mais au contraire rétribués et pourvus
d’une nouvelle identité.
Rancune morbide
Les parents des victimes de ces homicides ont constaté la bienveillance de l’État envers les artisans de
leurs deuils. A plus grande échelle encore, les membres de ces organisations ont eu de fortes remises de
peine, profitant de la formule de dissociation, une simple abjuration. L’éventuelle extradition de ces
vieux réfugiés en France n’a rien à voir avec le mot justice.
En Italie, nous soufrons encore d’accusations embaumées conservées comme des reliques d’une
époque lointaine. Les vies d’une dizaine de personnes âgées d’environ 70 ans ont leur place dans notre
musée de cire, non dans une procédure judiciaire. Je ne crois ni ne veux croire que l’État de droit français
consente à entretenir la rancune morbide d’un pays qui s’obstine à tenir en suspens des comptes
clôturés et apurés depuis des décennies

.Erri De Luca, écrivain et poète italien, prix Femina étranger 2002 pour son livre « Montedidio »
(Gallimard), dernier ouvrage traduit en français : « Impossible » (Gallimard, 2020)

Voir sur ce blog une longue itw de Sergio Thornagi par Ch Dabitch sur ce même blog

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