Un chercheur de l’université de Pau a été interpellé à Montpellier avec des manifestants qu’il suit dans le cadre de sa thèse, en raison de la présence de feux d’artifice dans son véhicule. Il est convoqué jeudi par le parquet pour une composition pénale qu’il compte rejeter.

Jérôme Hourdeaux

18 janvier 2023 à 18h24

LeLe parquet de Montpellier a lancé une procédure pénale contre un universitaire enquêtant sur les mouvements sociaux, interpellé en compagnie de manifestants dont il avait fait son sujet d’étude. Convoqué jeudi 19 janvier par le parquet pour une composition pénale, ce sociologue a décidé de la refuser et risque des poursuites pour « participation à un groupement préparant des actes violents ».

Les faits remontent au samedi 10 décembre 2022, jour de la tenue d’une manifestation « contre la vie chère » organisée à Montpellier par divers collectifs de citoyen·nes, qui avait réuni environ 500 personnes selon France Bleu Hérault.

Un rassemblement qu’avait décidé de suivre Samuel Legris, doctorant à l’université de Pau et des pays de l’Adour (UPPA), où il prépare depuis le mois d’octobre dernier une thèse intitulée « Une sociologie des mouvements populaires contemporains : les mobilisations anti-passe en France ».

Manifestation des gilets jaunes à Montpellier, le 16 novembre 2019. © Photo Iselyne Perez-Kovacs / Hans Lucas via AFP

Cela fait en réalité trois années que le sociologue travaille sur les mouvements sociaux en pratiquant « l’observation participante », explique-t-il à Mediapart, une méthode d’enquête reposant sur l’immersion du chercheur au plus proche de son sujet.

Ce jour-là, Samuel Legris a rendez-vous avec trois de ses « enquêtés » « gilets jaunes » pour les suivre durant la manifestation. « Nous avions prévu de faire du covoiturage et un des enquêtés gilets jaunes m’a demandé si nous pouvions prendre mon véhicule, car il était en meilleur état. Ce que j’ai accepté », raconte le sociologue.

Le groupe a rendez-vous avec « environ vingt, trente autres personnes, sur un parking à Vic-la-Gardiole », une ville située à une trentaine de minutes de Montpellier. « Nous avions prévu d’aller à la manifestation ensemble, en convoi de sept voitures », explique Samuel Legris.

« Alors que je m’apprête à faire marche arrière pour repartir, poursuit le chercheur, une personne que je ne connais pas place des objets, que je ne vois pas, derrière le fauteuil du côté passager. Je démarre et une des personnes à l’arrière me dit qu’il s’agit de fumigènes ou de pétards. » Samuel Legris concède n’avoir pas su comment réagir à ce moment-là. « J’ai été un peu pris de court. Je ne me voyais pas leur dire de les jeter par la fenêtre. »

La police ne lui laisse de toute manière pas beaucoup de temps pour y réfléchir. Peu après leur départ, « une voiture de police me dépasse et me force à m’arrêter ». Il est 13 h 40. Les policiers fouillent le véhicule de Samuel Legris, y trouvent quatre feux d’artifice et interpellent ses quatre occupants. À lire aussi Les «gilets jaunes» jugés à la chaîne pour un délit d’intention

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Avec cinq autres passagers d’un second véhicule, ils sont emmenés au commissariat. Les policiers l’accusent d’avoir violé l’article L222-14-2 du Code pénal qui sanctionne d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende « le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». En l’espèce, les « faits matériels » caractérisant la préparation de violences seraient la présence des feux d’artifice.

Introduite par la loi du 2 mars 2010 « sur la violence en bande », cette infraction visait alors explicitement à lutter contre les phénomènes des bandes de jeunes en banlieue, alors dans le viseur du gouvernement. Mais, depuis quelques années, elle est massivement utilisée lors de manifestations pour pratiquer des arrestations préventives régulièrement dénoncées par les associations de défense des libertés publiques.

Samuel Legris ne ressort que le lendemain après près de vingt-quatre heures de garde à vue, des arrestations qui avaient été relayées le 20 décembre par le site d’informations local Le Poing. Durant cette période, la directrice de thèse du chercheur a pourtant bien été contactée, et celle-ci a transmis aux policiers des documents, notamment l’ordre de mission, prouvant qu’il était présent dans l’exercice de ses fonctions.

Mais, à sa sortie, Samuel Legris apprend que le parquet a décidé de le convoquer le jeudi 19 janvier à une composition pénale, une procédure dans le cadre de laquelle l’auteur reconnaît les faits en acceptant une sanction proposée par le procureur, lui évitant ainsi un procès.

Une procédure que l’avocat de Samuel Legris et des trois manifestants a décidé de rejeter dans un courrier envoyé le 17 janvier au parquet de Montpellier. « Ils ont été interpellés à plusieurs kilomètres du lieu de rassemblement, explique Me Hervé Kempf à Mediapart. Les feux d’artifice ne sont pas une arme. Ils peuvent l’être dans certains cas. Mais il n’y avait aucune intention de la part de mes clients de commettre une quelconque violence. »

Le parquet de Montpellier doit classer sans suite.

Me Hervé Kempf

« Il n’y avait aucune contestation possible sur la qualité de chercheur de Samuel Legris, plaide encore l’avocat. Sa directrice de thèse avait envoyé tous les éléments nécessaires. Et alors qu’ils ont tous les quatre contesté les faits, le parquet a néanmoins décidé de les convoquer pour une composition pénale, procédure qui repose sur leur reconnaissance. »

« On les a placés en garde à vue et on les a empêchés de manifester, insiste Me Kempf. Désormais, le parquet de Montpellier doit classer sans suite. Il n’y a pas de honte à reconnaître que l’on a fait une erreur. »

Samuel Legris. © Photo DR

« Je voudrais également souligner que durant la garde à vue, on leur a fait la remarque :“Est-ce que vous saviez que cette manifestation n’était pas autorisée ?”, ajoute l’avocat. Cela démontre une méconnaissance et un mépris de la liberté de manifester. Cette manifestation n’avait pas été interdite et les manifestations en France n’ont pas à être autorisées. Et c’est également un mépris de la liberté académique. »

Principe fondamental, cette liberté académique des enseignants-chercheurs est normalement principalement assurée par les universités et les établissements d’enseignement supérieur via divers dispositifs. Ainsi, en cas de poursuites civiles ou pénales, la direction d’un universitaire se doit de lui accorder une « protection fonctionnelle » consistant à lui financer sa défense. Celle-ci ne peut lui être refusée que s’il a commis « une faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».

L’article L134-4 du Code général de la fonction publique précise même que « la collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui […] est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ».

L’université hésite à accorder la protection fonctionnelle

Or, jusqu’à présent, la présidence de l’université a refusé à Samuel Legris cette protection, « par trois fois oralement ». « La présidence a avancé trois motifs, affirme le sociologue. Tout d’abord, les faits pour lesquels je suis poursuivi. Ce qui est ridicule. Ensuite, le fait que j’ai participé à une manifestation illégale. Or elle n’était pas interdite, juste pas déclarée. Elle s’est d’ailleurs déroulée. Enfin, j’aurais mal fait mon ordre de mission en ne précisant pas que je prenais mon véhicule. »

Contacté par Mediapart, le président de UPPA, Laurent Bordes, confirme mais tout en modérant désormais ce refus. « C’est vrai que, dans un premier temps, nous avons dit à l’oral que nous ne voyions pas réunies les conditions pour lui apporter la protection fonctionnelle, explique-t-il. Mais il s’avère qu’il s’agit d’une situation complexe, et le dossier est toujours à l’étude. »

« Il avait un ordre de mission pour se rendre à Montpellier en covoiturage, explique Laurent Bordes pour justifier ses réticences. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il n’avait pas respecté le cadre en utilisant son véhicule personnel pour transporter des tierces personnes. Ça peut engager l’établissement, par exemple en cas d’accident. Et la police a retrouvé des feux d’artifice qui sont des armes par destination. »

« Je sais que ce n’est pas facile, et je n’ai pas envie de freiner le travail de terrain, poursuit le président de l’UPPA. Mais j’ai besoin d’avoir tous les éléments. J’ai demandé au comité d’éthique d’évaluer la situation. L’arbitrage n’est pas encore fait. Mais si les conditions sont remplies, il aura droit à la protection fonctionnelle. » Cet arbitrage sera rendu « dans les prochains jours ».

« Cela fait plus d’un mois et je n’ai pas reçu de courrier, se plaint de son côté Samuel Legris. Je ne peux plus faire mon travail de thèse correctement si je ne suis pas soutenu par ma direction. »

« Je couvre très souvent des manifestations anti-passe qui continuent encore à rassembler quelques dizaines de personnes chaque samedi à Pau, où le mouvement perdure, poursuit le sociologue. Cela voudrait dire que je pourrais potentiellement être arrêté chaque samedi. Et ma direction ne me protégera pas parce que j’aurais mis dans ma lettre de mission que je partais à 8 h 05 alors que je suis parti à 8 h 10 ? »

Je suis soutenu par le milieu de la recherche.

Samuel Legris

Samuel Legris se félicite en revanche d’être « soutenu par le milieu de la recherche ». Un comité de soutien a en effet mis en ligne une pétition, signée par plus de 1 600 personnes mercredi 18 janvier en milieu de journée, accompagnée d’une cagnotte destinée à financer ses frais de procédure.

Le chercheur a également reçu les soutiens de ses collègues enseignants-chercheurs sociologues des syndicats CGT de l’enseignement supérieur et Mouvement étudiant de l’UPPA, de l’Association française de sociologie, de l’Association française de science politique ou encore du groupe enseignement supérieur et recherche de La France insoumise, dont le chercheur est par ailleurs militant.

Contacté par Mediapart, le procureur de Montpellier, Fabrice Belargent, a fait savoir qu’il attendait, pour se prononcer sur la suite de la procédure, d’avoir toutes les pièces du dossier et que le rejet de la composition pénale soit acté par l’absence de Samuel Legris lors de l’audience de jeudi.

Jérôme Hourdeaux

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