Le 7 octobre, je rentre chez moi après une semaine passée en Israël et en Palestine. Je suis, alors, pleine d’espoir pour une paix entre deux peuples. Ouïghoure et musulmane, ayant vécu sous la colonisation chinoise, je suis sensible à ce conflit. L’Occident doit être du côté de la paix. Les responsables politiques doivent faire pression pour obtenir un cessez-le-feu et la libération des otages.

Dilnur REYHAN (avatar)

Dilnur REYHAN

Sociologue, enseignante à l’Inalco et présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 7 octobre dernier à 2h du matin, je rentre chez moi après une semaine de voyage en Israël et en Palestine. Comme le reste du groupe, composé de femmes francophones, initié par le mouvement des « Guerrières de la paix », je suis pleine d’émotion et d’espoir pour une possible paix entre deux peuples. 

Nous sommes un groupe de femmes musulmanes, juives et chrétiennes, invité par les femmes israéliennes et palestiniennes à participer à une marche pour la paix le 4 octobre. Je fais partie de ce voyage, en tant que membre extérieure du mouvement des « Guerrières de la Paix », fondé en mars 2021 par mon amie et sœur de combat Hanna Assouline. 

En tant que femme ouïghoure et musulmane , ayant vécu sous la colonisation chinoise en Région ouïghoure, je suis, depuis longtemps sensible à la question palestinienne. Néanmoins, au cours de ma scolarité dans mon pays d’origine et de mes études supérieures en Chine intérieure, je n’ai pas reçu de formation sur la Shoah. Dès les premiers mois de mon arrivée dans mon pays adoptif, je rejoins le mouvement des « Femmes en noir » de la ville de Lyon. Je manifeste en silence tous les vendredi après-midi pour la paix et pour la solution à deux États.

Ce voyage « en terre sainte », selon l’expression d’usage partagée par les croyants des trois religions, représentait donc pour moi une précieuse occasion de comprendre les enjeux sur le terrain et de découvrir la réalité vécue in situ par les populations.

Le jour de notre arrivée, une gigantesque manifestation envahit les rues de Tel-Aviv. Les citoyennes et citoyens sont dans la rue pour protester contre le gouvernement israélien d’extrême droite qui tente depuis de nombreux mois d’affaiblir la démocratie et d’élargir plus avant les colonies dans les territoires palestiniens, renforçant ainsi la haine entre les deux peuples. Dans le cortège on peut apercevoir une immense banderole arborant la photo de Netanyahu, flanquée du slogan « Crime Minister ». D’autres citoyens brandissent des pancartes « Palestinian Lives Matter », « Ensemble contre le fascisme and l’apartheid » et d’autres encore portant l’inscription « Stop colonisation ». 

Au cours de ce voyage unique, nous rencontrons des femmes courageuses de l’association palestinienne Women of the Sun et des femmes non moins remarquables de l’association israélienne Women Wage Peace. Toutes deux, travaillent main dans la main, depuis plusieurs années pour mobiliser les femmes des deux côtés. A leur façon bien singulière, elles font pression sur les politiques pour que plus de femmes fassent partie des négociations politiques et que les enfants palestiniens et israéliens grandissent dans un proche avenir en paix. Ces femmes sont d’abord des mères qui ont perdu des enfants et des proches dans ce conflit qui dure désormais depuis 75 ans. 

Les femmes israéliennes de Women Wage Peace dénoncent la situation coloniale dans les territoires palestiniens et viennent en aide aux Palestiniens pour les transporter dans des hôpitaux israéliens. Nous allons à la rencontre des membres de cette association dans le Kibboutz Be’eri, à dix kilomètres de Gaza. Nous écoutons avec attention les témoignages de ces femmes qui tissent des liens avec les Palestiniens. Le 7 octobre dernier, ce village devient soudainement le théâtre d’un carnage perpétré par le Hamas. Vivian Silver, 74 ans, l’une des leaders de ce mouvement pour la paix qui participe avec nous à ce voyage, se retrouve prise en otage. Et notre espoir de Paix se trouve lui aussi confisqué.

Nous rencontrons l’activiste israélienne Hanna Barag, 88 ans, fondatrice de l’ONG Yesh Din qui documente les crimes commis par l’armée israélienne et par des colons dans les territoires occupés. Yesh Din dénonçait en 2020, par un rapport juridique publié bien avant celui d’Amnesty International, l’occupation de la Cisjordanie et le crime d’apartheid qu’Israël a commis dans ces territoires. Hanna Barag est aussi à l’origine de l’ONG des « Femmes des Check-points », connue sous le nom de MachsomWatch, qui interviennent pour faciliter le passage des Palestiniens dans les check-points installés par les autorités israéliennes. Elle nous explique que seule la Cour suprême d’Israël est capable de faire condamner des colons pour des violences commises contre les Palestiniens et d’arrêter des constructions illégales dans les territoires palestiniens occupés. Cependant, selon madame Barag, 83% des plaintes des Palestiniens sont rejetées ou classées sans suite. 

Nous sommes reçues par le maire adjoint arabe israélien et par leur association des femmes près de la ville de Haïfa, du côté israélien. Ils partagent avec nous les efforts de la ville pour faire exister le vivre-ensemble. La maire-adjointe de la commune de Huwara, côté palestinien témoigne de la violente attaque des colons qui ont brûlé son village au début de l’année 2023. A Haïfa, ville présentée comme un modèle de vivre-ensemble, nous visitons le centre interculturel de la ville, en présence des membres des trois religions. L’activiste arabe chrétienne d’Israël Hyam Tannous nous lit la lettre de bénédiction du Pape François qu’elle a reçue en faveur du mouvement de la paix des femmes israéliennes et palestiniennes. 

Au cours de nos visites dans les territoires palestiniens et à Jérusalem, nous sommes guidées par la rabbin Nava Hefetz, membre de l’ONG « Rabbins pour les droits humains » et l’une des dix femmes rabbins en Israël. Cette organisation intervient en Cisjordanie pour protéger les villageois palestiniens des attaques violentes des jeunes colons que Nava qualifie de fascistes. Elle et son ONG mobilisent des Israéliens afin qu’ils protègent les paysans palestiniens lors de la saison de cueillette des olives, moment ou ces derniers sont particulièrement visés par les colons. Extrêmement critique envers le gouvernement israélien et sa politique de colonisation en Cisjordanie, Nava, parfaitement francophone, nous a dépeint avec précision la situation des Palestiniens en Israël et en Palestine et les enjeux des accord d’Oslo de 1993. 

Lors du dernier jour de notre voyage, nous rencontrons Ali Abu Awwad, militant palestinien de la non-violence et fondateur de « Roots », un projet de vivre-ensemble en Cisjordanie. Comme mes sœurs militantes, je suis impressionnée par la force et le courage d’Ali qui est issu d’une grande famille de la résistance palestinienne. L’un de ses frères a été assassiné par l’armée israélienne, tandis que sa mère, l’une des leaders de l’OLP, a été emprisonnée pendant six ans. Lui-même et un autre de ses frères ont également passé plusieurs années en prison. Face aux demandes insistantes de familles israéliennes qui ont perdu des enfants dans le conflit, la famille d’Ali a finalement accepté de rencontrer et de discuter avec ces Israéliens et elle est depuis persuadée que le dialogue peut transformer les gens. 

Il y a encore tant d’autres personnes uniques des deux côté que nous avons eu la chance de rencontrer et qui travaillent sans relâche pour que la voie de la paix soit celle de la résolution de ce conflit. 

Depuis l’attaque inconcevable et atroce du 7 octobre par le Hamas : les terribles images des victimes israéliennes ont repoussé encore plus l’espoir de paix nourri par des milliers de Palestiniens et Israéliens. Elles nous rappellent les heures sombres des pogroms. Ces images insoutenables de massacres qui ont fait plus de 1400 victimes ont sidéré le monde. La prise en otage de plus de 200 personnes qui inclus également des enfants ; la riposte sanglante de l’armée israélienne sur Gaza avec des bombardements incessants dans des zones d’habitations de civils ; les violentes attaques multipliées à cette occasion par les colons israéliens en Cisjordanie ; et les menaces de plus en plus nombreuses sur les citoyens arabes d’Israël qui vivent dans la peur d’être pris pour cible.  

Le monde entier, le peuple israélien en premier, sait que le gouvernement israélien actuel, composé de racistes d’extrême droite tels que Bezalel Smotrich, est obsédé par la guerre et le désir de vengeance. Tandis que de nombreuses organisations israéliennes appellent à trouver une solution autre que la guerre pour éviter de faire couler le sang des innocents et à négocier pour libérer les otages, le monde occidental, notamment les États-Unis et des dirigeants européens, ont encouragé Netanyahu à se venger, sous le prétexte de reconnaître le « droit d’Israël à se défendre ». Grâce à ces multiples soutiens, Israël a imposé un siège complet à Gaza et a ordonné le départ immédiat d’un million de Gazaouis du nord en 24h sous la menace de bombardements. En une semaine de violence, environ 400.000 Gazaouis ont été forcés de quitter leur maison et près de 4000 sont mort dans les bombardements, dont près de 1500 enfants.

L’Occident devrait être du côté de la paix et des peuples au lieu d’encourager la vengeance d’un gouvernement d’extrême droite. L’attitude irresponsable et injuste des politiques occidentaux a d’abord bénéficié aux régimes dictatoriaux qui redorent leur image auprès des sociétés majoritairement musulmanes. C’est en particulier le cas du bloc anti-occidental mené par la Chine, la Russie et l’Iran, qui se sont positionnés comme « les porteurs de l’étendard de la justice ». Ils souhaitent incarner le bloc protecteur du monde musulman face à « l’impérialisme occidental » qui soutient le gouvernement israélien et continue ainsi d’éloigner l’espoir d’une solution pour ces deux États, à travers la colonisation continuelle des territoires palestiniens. 

Alors que cette attaque terroriste du Hamas a été soutenue financièrement et militairement par l’Iran, qui est une théocratie avec un régime d’apartheid genré bien assumé et qui réprime dans le sang la révolte de la jeunesse iranienne ; alors que la Russie mène une guerre afin de rayer l’existence de l’Ukraine en tant que nation indépendante ; alors que la Chine continue de commettre un génocide contre la nation ouïghoure depuis fin 2016 en construisant des camps de concentration pour musulmans, en stérilisant massivement les femmes musulmanes, en réduisant à l’esclave la jeunesse ouïghoure dans l’indifférence totale et même avec le soutien du monde musulman ; la guerre qui fait rage à nouveau depuis le 7 octobre, a donné l’occasion à ces régimes fascistes de se positionner comme des « protecteurs des faibles » face à l’Occident qui soutient aveuglément le gouvernement israélien. 

Je considère que nous n’avons pas pris la véritable mesure de l’échec de l’Occident face au bloc Chine-Russie pendant le Sommet du G20 en Inde en septembre dernier. Contrairement à la déclaration de 2022, celle de cette année n’a pas reconnu la Russie en tant qu’agresseur dans la guerre en Ukraine. C’est une grande victoire pour le camp anti-occidental qui œuvre depuis des années à changer l’ordre mondial pour faire triompher l’autocratie sur la démocratie. Les attitudes injustes et va-t-en-guerre de l’Occident dans le conflit israélo-palestinien ne font que renforcer la position du camp d’en face et ce-faisant elle affaiblit davantage la Démocratie et l’existence même d’Israël à long terme.

Ce conflit affecte les citoyens du monde entier, semant la haine entre les communautés qui se déchirent, prenant partie pour la défense de l’une ou de l’autre, menaçant en premier la sécurité des citoyens de confession juive. Bien que de nombreuses personnes juives en Occident ne soutiennent pas le gouvernement israélien, à chaque fois que la guerre éclate, ce sont eux qui paient le prix fort. Cela représente également un coût supplémentaire pour les pays occidentaux de renforcer la sécurité des lieux communautaires juifs afin d’éviter d’autres drames irréparables. 

Pour protéger la démocratie et le vivre-ensemble face aux ravages de l’autocratie, je ne peux qu’encourager les responsables politiques occidentaux à adopter une position juste qui apaisera les colères de deux peuples. Cela doit à mon sens nécessairement passer par une pression sur le gouvernement israélien pour obtenir un cessez-le-feu immédiat et négocier la libération immédiate des otages pour pouvoir espérer une paix proche. L’Occident doit demander l’arrêt du déplacement forcé et de l’expulsion des Gazaouis ; L’Occident doit endosser les voix de tous ces militants pour la paix et l’arrêt de la colonisation en Palestine afin de pousser véritablement à l’établissement d’un État palestinien indépendant en paix avec son voisin Israël. 

Par Dilnur Reyhan, sociologue, enseignante à l’Inalco et présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe.

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.