La décision de la Cour internationale de justice d’ordonner à Israël d’empêcher un génocide à Gaza n’a pour l’heure aucun effet sur la violence des combats, qui ont redoublé. Le mauvais temps s’ajoute aux bombardements pour des civils palestiniens dans une situation toujours plus précaire.

Matthieu Suc

27 janvier 2024 à 20h07

Des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, portant couvertures et baluchons, qui fuient au milieu des ruines face à l’avancée des chars israéliens. « Ce qui arrive aux enfants et aux femmes est injuste. Nous vivons dans l’humiliation. Arrêtez la guerre ! Arrêtez-la ! », s’écrie une femme interrogée par l’Agence France-Presse (AFP).

Des combats meurtriers entre l’armée israélienne et le Hamas font rage samedi dans le sud de la bande de Gaza, principalement à Khan Younès, une ville considérée par Israël comme une place forte du mouvement palestinien. Les combats font rage notamment aux abords des deux principaux hôpitaux de la ville, Nasser et Al-Amal, qui ne fonctionnent plus qu’au ralenti et qui abritent des malades mais aussi des milliers de déplacés. « Des tirs de chars massifs visent depuis le matin les secteurs ouest de la ville, le camp de réfugiés de Khan Younès et les abords de l’hôpital Nasser », où ils ont provoqué « une coupure d’électricité », a déclaré samedi le gouvernement du Hamas.

La « capacité chirurgicale » de l’hôpital Nasser est « quasiment inexistante » et les « quelques membres du personnel médical qui sont restés doivent composer avec des stocks de matériel médical très faibles », selon Médecins sans frontières (MSF).

« Il reste actuellement 350 patients et 5 000 personnes déplacées dans l’hôpital », a ajouté sur X Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « L’hôpital est à court de carburant, de nourriture et de fournitures », a-t-il ajouté, appelant à un « cessez-le-feu immédiat ».

Le Croissant-Rouge palestinien a une nouvelle fois condamné samedi le siège « pour le sixième jour consécutif » de son hôpital, Al-Amal, par l’armée israélienne.

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Le mauvais temps a entraîné des inondations dans les zones où des centaines de milliers de Palestiniens cherchaient refuge. © Abed Zagout/Anadolu via AFP

Quelques kilomètres plus au sud, des dizaines de milliers de civils sont massés à Rafah, coincés dans un périmètre très réduit contre la frontière fermée avec l’Égypte. Plus de 1,3 million de personnes s’entassent dans la ville surpeuplée, selon le bureau de coordination des affaire humanitaires de l’ONU (Ocha). Pendant la nuit, des pluies diluviennes ont inondé les camps de tentes, ajoutant à la détresse des déplacés qui piétinaient dans l’eau boueuse en tentant de sauver quelques affaires.

Samedi matin, le ministère de la santé du Hamas a annoncé que 174 nouvelles personnes ont été tuées durant les dernières 24 heures.

Sur le terrain,  la décision rendue vendredi par la Cour internationale de justice (CIJ), qui a ordonné à Israël d’empêcher un génocide à Gaza n’a donc rien changé, à ce jour.

D’après l’instance judiciaire internationale, « il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé » aux Palestiniens de Gaza. Saisie à la suite d’une plainte de l’Afrique du Sud, la Cour demande à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission […] de tout acte » de génocide, et de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

Ces mesures de protection ont été chacune adoptées par 15 ou 16 des 17 juges de la juridiction basée à La Haye (Pays-Bas) ayant statué sur ce dossier. Ils ont en revanche choisi de ne pas appeler au cessez-le-feu.

Un très hypothétique cessez-le-feu

Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a salué samedi la décision de la Cour internationale de justice : « La décision confirme le respect du droit international et la nécessité pour Israël de se conformer impérativement à ses obligations en vertu de la Convention sur le génocide », a-t-il déclaré dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux, dans lequel il se félicite des mesures ordonnées par la Cour.

La veille, la Palestine et l’Afrique du Sud bien sûr, mais aussi le Brésil, le Chili, l’Égypte, l’Espagne, l’Iran, l’Irlande, le Mexique, la Namibie, le Pakistan, le Qatar, la Slovénie et la Turquie avaient également salué cette décision. De son côté, la Commission européenne avait appelé Israël et le Hamas à s’y conformer. L’Union européenne « attend [la] mise en œuvre intégrale, immédiate et effective » des mesures préconisées, avait-elle souligné dans un communiqué.

Dans ce concert des nations, la France a fait entendre une note discordante. Tout en réaffirmant « sa confiance et son soutien » à la CIJ, elle s’est contentée de dire qu’elle « relève » que la juridiction a pris des mesures conservatoires. Paris a même manifesté une forme de distance à l’égard de la décision des juges. Dans un communiqué publié après la décision de la CIJ, le Quai d’Orsay a annoncé son intention de déposer des observations afin de souligner « l’importance que [la France] attache à ce que la Cour tienne compte de la gravité exceptionnelle du crime de génocide, qui nécessite l’établissement d’une intention ».

Quelques jours plus tôt, le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, s’était indigné, à l’Assemblée nationale, du fait qu’« accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral ».

Des employés d’une agence de l’ONU accusés d’être impliqués dans l’attaque du 7 octobre

L’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) espérait sans doute avoir éteint la polémique vendredi. Son chef, Philippe Lazzarini, avait fait savoir dans un communiqué que l’agence s’était séparée de plusieurs employés, accusés par Israël d’être impliqués dans l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre. D’après le Département d’État américain, 12 d’entre eux sont concernés, sur un total de 13 000 personnels.

« Les autorités israéliennes ont fourni à l’UNRWA des informations sur l’implication supposée de plusieurs de ses employés », avait indiqué Philippe Lazzarini, qui précisait : « Pour protéger les capacités de l’agence à délivrer de l’aide humanitaire, j’ai décidé de résilier immédiatement les contrats de ces membres du personnel et d’ouvrir une enquête. » Cela n’aura pas suffi.

Israël veut « s’assurer » que l’UNRWA ne joue plus aucun rôle à Gaza après la guerre, a déclaré samedi son chef de la diplomatie, Israël Katz. Ces dernières heures, plusieurs pays, dont les États-Unis, les principaux contributeurs de l’UNRWA, ont annoncé suspendre leur aide à l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. C’est également le cas de l’Italie, du Canada ou encore de l’Australie.

Le Hamas a pour sa part demandé dans un communiqué « aux Nations unies et organisations internationales de ne pas céder aux menaces et au chantage » d’Israël, accusant Israël de vouloir « couper les fonds et priver » la population de Gaza de toute aide internationale.

Hormis la France, Israël, bien évidemment, et son plus fidèle allié, les États-Unis, ont contesté les accusations de génocide. Et encore, Washington a pris soin de rappeler dans sa déclaration avoir « toujours dit clairement qu’Israël devait prendre toutes les mesures possibles pour minimiser les dommages causés aux civils, augmenter le flux d’aide humanitaire et lutter contre la rhétorique déshumanisante ».

La juge Joan Donoghue, qui a donné lecture vendredi de la décision de la CIJ, avait insisté sur son caractère provisoire, qui ne préjuge en rien de son futur jugement sur le fond des accusations d’actes de génocide. Celles-ci ne seront tranchées que dans plusieurs années, après instruction. En attendant, si la décision de la CIJ est juridiquement contraignante, la Cour n’a pas la capacité de la faire appliquer.

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Un enfant remplit un seau d’eau de pluie après que des tentes de fortune ont été inondées à Rafah, le 27 janvier 2024. © Abed Zagout/Anadolu via AFP

Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira mercredi pour se pencher dessus, à la demande de l’Algérie, « en vue de donner un effet exécutoire au prononcé de la Cour internationale de justice sur les mesures provisoires qui s’imposent à l’occupation israélienne », a indiqué le ministère algérien des affaires étrangères. Avec pour objectif un très hypothétique cessez-le-feu que la Cour internationale de justice n’a pas réclamé dans sa décision. Pourtant, cette décision « envoie le message clair que dans le but d’atteindre tous les objectifs qu’elle fixe, il y a besoin d’un cessez-le-feu », veut croire l’ambassadeur palestinien à l’ONU Riyad Mansour. Les ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch réclament qu’Israël applique les mesures prévues par la Cour international de justice.

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Ce n’est pas gagné. Les autorités israéliennes ont critiqué les ordonnances d’urgence réclamées par les juges de La Haye. « Nous poursuivrons cette guerre jusqu’à la victoire absolue, jusqu’à ce que tous les otages soient rendus et que Gaza ne soit plus une menace pour Israël », a commenté vendredi le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.

Le patron de la CIA, le service de renseignement américain, va rencontrer « dans les tout prochains jours à Paris » ses homologues israélien et égyptien, ainsi que le premier ministre qatari, pour tenter de conclure un accord de trêve entre Israël et le Hamas, a indiqué vendredi à l’AFP une source sécuritaire.

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui a fait environ 1 140 morts en Israël, majoritairement des civils, et  conduit à la prise en otage de 240 personnes, selon un décompte de l’AFP, la guerre menée dans la bande de Gaza par Israël a causé la mort de 26 257 Palestiniens, en grande majorité des femmes, enfants et adolescents, selon le dernier bilan du ministère de la santé contrôlé par le Hamas.

Matthieu Suc

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