Le 17 octobre 1961. Entre histoire et mémoire de « l’aventure coloniale », en Algérie  notamment. Double exception, en vérité, puisque la France est également la seule ancienne  puissance coloniale à s’être engagée dans cette voie par la « grâce » d’une majorité revancharde et toujours plus complaisante à l’endroit du Front national hier et de son successeur aujourd’hui. De facto sur ces sujets, notamment, l’une et l’autre défendent désormais des positions similaires avec la caution d’un chœur nombreux et bruyant où se retrouvent d’importantes personnalités de la droite gouvernementale ,quelques académiciens comme Max Gallo, des historiens, des philo-idéologues, et des bateleurs médiatiques influents et vociférants.

De là aussi, leur critique systématique de toute reconnaissance. A chaque fois que cette question surgit dans l’actualité politique, tous s’y opposent en mobilisant des arguments démagogiques et trompeurs destinés à vanter ce qu’ils osent encore nommer « l’œuvre » et la « grandeur » de la France, et les « aspects positifs »de la colonisation. Banale mais efficace écholalie. Au mieux, elle prospère sur l’euphémisation des faits, au pire sur leur dénégation  pour mieux courtiser l’électorat que l’extrême-droite et la droite se disputent toujours plus âprement. S’y ajoutent la dénonciation  pavlovienne d’une prétendue « repentance », forgée pour les besoins de leur mauvaise cause, la critique du « communautarisme », don tsont accusés les premiers concernés qui militent pour la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961, et la stigmatisation de la « surenchère victimaire » imputée aux mêmes. Eu égard aux commémorations qui s’annoncent en 2021 comme en 2022, lors du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, nul doute que les représentant-e-s de ces organisations vont, dans un contexte politique particulièrement important en raison de la proximité des élections présidentielles, donner de la voix et s’opposer plus que jamais à tout changement.

15. Cf. M. Gallo,

 FIER d’être Français

, Paris, Fayard, 2006. Auteur de

 Pour en finir avec la repentance coloniale(2006), l’historien Daniel Lefeuvre condamne tous ceux qui disent qu’en Algérie « la France s’est mal conduite. » Réforme n° 3194, 12-18 octobre 2006.

Le 18 novembre 2005, Alain Finkielkraut déclare au journal israélien Haaretz  : « Actuellement on enseigne l’histoire coloniale comme une histoire uniquement négative. On n’enseigne plus que l’entreprise coloniale avait aussi pour but d’éduquer, d’apporter la civilisation aux sauvages.  On n’en parle que comme une tentative d’exploitation, de domination, de pillage. » (Souligné  par nous.) Depuis, il a été rejoint dans ce combat pour le moins douteux par le chroniqueur Eric Zemmour qui a publiquement défendu le général Bugeaud et les massacres perpétrés par l’Armée d’Afrique qu’il commandait lors de la conquête de l’Algérie dans les années 1840. Deux fois condamné pour propos racistes et incitation à la haine raciale, E. Zemmour affirmait, le 23 octobre 2019 sur la chaîne CNews : «Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça être Français !” Quelques semaines plus tard, réagissant à cette péroraison, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a estimé qu’elle pouvait être perçue comme la « légitimation de violences commises par le passé à l’encontre de personnes de confession musulmane mais aussi comme une incitation à la haine ou à la violence à l’égard de cette même catégorie. » Délicate formulation. Soyons plus précis : cette saillie obscène relève de l’apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

De son côté, le parti socialiste et François Hollande, élu chef de l’État en 2012, s’en tiennent à une formule très en-deçà des termes requis pour nommer de façon précise ce qui a été perpétré en ce mois d’octobre 1961. En atteste ce communiqué de l’Élysée du 17 octobre 2012. Après avoir qualifié les événements de «sanglante répression », il est précisé que « la République » les « reconnaît avec lucidité ». Bricolage politique et rédactionnel, et tour de passe- passe rhétorique élaborés par des communicants soucieux, comme leur maître, de ménager les droites parlementaires tout en feignant de satisfaire celles et ceux qui, depuis fort longtemps, sont mobilisés  pour exiger la reconnaissance claire et précise de ces massacres. S’y ajoute une formule remarquablement contradictoire. En effet, la « lucidité », revendiquée de façon abusive pour faire croire à une décision courageuse conforme aux promesses électorales faites antérieurement, aurait dû conduire à identifier les auteurs : Maurice Papon, et, au-delà de ce fonctionnaire, l’État qui est à la fois responsable et coupable de ces faits. Ceux-là mêmes qui échappent toujours à la seule qualification adéquate : celle de crime. Une fois encore, ce communiqué élyséen témoigne de tergiversations et d’une couardise politico-langagières parées des atours de la raison et de la modération. Et bénéfice ultime de ces circonvolutions discursives destinées à préserver aussi le mythe d’une République immaculée parce que toujours fidèle à ses principes

Le 13 juin 2000, le socialiste Jean-Jacques Queyranne, alors secrétaire d’Etat à l’Outre-mer dans le gouvernement de Lionel Jospin, répondait ainsi à la sénatrice D. Bidard-Reydet, qui venait de l’interpeller sur les massacres d’octobre 1961 : « un travail important de recherche a été effectué ; il a permis de progresser dans la révélation de la vérité. » Après avoir cité les rapports Mandelkern et Géronimi, le même conclut par cette affirmation péremptoire conforme implicitement les héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale qui continuent de manifester, et ceux qui soutiennent leurs revendications, comme des « radicaux » irresponsables à l’origine d’une « guerre des mémoires » susceptible de porter gravement atteinte à l’unité nationale. Pour plusieurs autres organisations des  gauches politiques, syndicales et associatives, à quelques exceptions  près, la question de la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 est rarement mise à l’agenda politique national et, trop souvent hélas, ces organisations se mobilisent fort peu pour faire progresser le dossier, selon l’expression consacrée.Que fera l’actuel président, Emmanuel Macron, qui, plus souvent qu’à son tour, a flatté et continue de flatter les électeurs du centre, de droite voire d’extrême-droite en tressant hier les louanges de Philippe de Villiers, qui préside aux destinées du barnum pseudo-historique du Puy-du-Fou, puis en mobilisant son obligé, le très réactionnaire et très opportuniste ministre de l’Intérieur ? Difficile de le prédire quand bien même un « geste fort » est attendu aux dires de certains qui prétendent avoir l’oreille du chef de l’État. Soit. Mais en dépit de cette formule communément employée, l’expérience prouve trop  souvent que les actes effectivement réalisés ne sont « forts » que dans la rhétorique officielle des communicants au service du pouvoir et des béni-oui-oui de la majorité en place. Parfois mobilisés depuis plus de trente ans, les héritiers de l’immigration coloniale et postcoloniale, certains partis politiques,  syndicats et associations exigent que les crimes d’État du 17 octobre 1961 soient enfin reconnus, les archives relatives à ces derniers ouvertes au plus grand nombre et un véritable lieu de mémoire érigé dans la capitale afin que nul n’ignore les torts insignes subis par celles et ceux qui, au péril de leur vie et de leur liberté, ont courageusement manifesté pour défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Monsieur le président, vous prétendez incarner une politique « disruptive », prouvez-le ! Faites droit à ces revendications et mettez fin à soixante ans de discriminations mémorielles et commémorielles inacceptables, et de tergiversations indignes. à la doxa républicaine adoptée par le Parti socialiste : « En revanche, il n’est pas juste de demander à la République de reconnaître dans ces événements la responsabilité d’un crime qu’elle aurait perpétré. Cela reviendrait à admettre que la république a voulu les tragédies qui ont accompagné ces manifestations. Ce serait absurde. »

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