Au-delà de la lutte emblématique des années 1970, le célèbre causse fut aussi le théâtre des guerres de religion et un lieu de relégation. Un récit passionnant de Philippe Artières.

Cinquante ans. À l’automne 1971, au sud de l’Aveyron, quelques dizaines de paysans se mobilisent contre l’extension d’un camp militaire sur leurs terres agricoles, dans ce haut lieu de la tradition de l’agropastoralisme méditerranéen (classé pour cela en 2011 au Patrimoine mondial de l’Unesco). « Gardarem lo Larzac ! » devient vite un slogan repris jusqu’au boulevard Saint-Michel encore fumant des barricades soixante-huitardes, avec des échos chez les Amérindiens de Californie ou les étudiants contestataires japonais… Bien connue des lecteurs de Politis, cette lutte, après une décennie, sortit victorieuse (dans le sillage de l’élection de Mitterrand en 1981) par l’invention d’un modèle original de gestion collective. Un laboratoire de nouveaux modes d’action et surtout de convergence de luttes : paysanne, écologiste, environnementale, autogestionnaire, localo-linguistique (occitan en l’occurrence), antimilitariste, anticapitaliste, libertaire… Et un modèle de combat au long cours, contre la centralisation et « contre l’arbitraire politique », qui en fit un carrefour mondial de résistance.

Ce passionnant travail de l’historien Philippe Artières, directeur de recherches à l’EHESS (CNRS) et dont la famille paternelle est originaire du lieu, revient bien évidemment sur cette lutte marquante des années 1970, qui fait écho dans nos mémoires collectives à celles de Plogoff,
de Creys-Malville, mais aussi, plus récentes, de Notre-Dame-des-Landes, de la vallée de la Roya ou de Bure. Au-delà, son livre retrace l’histoire physique et humaine de ce causse calcaire et d’argile qui, d’une époque à l’autre, transforme cette contrée pauvre, de l’Antiquité romaine (et ses traces préhistoriques) jusqu’aux refuges des protestants durant les guerres de religion, des invasions sarrasines au retour de Jérusalem des Templiers, vaincus et chassés de la « Terre sainte », dont l’« impérialisme » sur le Larzac s’imposera des siècles durant.

Pourtant, refusant de se limiter à une fresque historique et chronologique, Philippe Artières, en « foucaldien », plonge, presque en géographe, dans cet espace rude, voire austère, en suivant pas à pas ceux qui l’ont foulé. On découvre alors que le (rebelle) Larzac n’est pas, loin de là, seulement le « plateau » de la grande lutte des années 1970. Il fut aussi le lieu de relégation ou de détention, avec son « petit camp » militaire, d’enfants délinquants, d’anciens officiers nazis après-guerre, puis de prisonniers algériens du FLN, enfin de familles parquées des « harkis méprisés ».

Cette histoire, très personnelle, du causse esquisse ainsi, dans une écriture sensible assumée, une « histoire mondiale » où apparaît « sur la longue durée un lieu de rencontres improbables, où des destins collectifs et individuels se sont entremêlés ». Un lieu des luttes de ce monde, dans ce monde.

Le Peuple du Larzac Philippe Artières, La Découverte, 304 pages, 21 euros.


Olivier Doubre

par Olivier Doubre
publié le 27 octobre 2021

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.