Londres et Paris se renvoient la responsabilité à la suite du naufrage qui a coûté la vie à 27 demandeurs d’asile le 24 novembre. Après une lettre que Boris Johnson a adressée à Emmanuel Macron et publiée sur Twitter, le gouvernement français a désinvité la ministre de l’intérieur britannique lors des pourparlers européens prévus à Calais ce dimanche.

Marie Billon

27 novembre 2021 à 12h28

Pendant que la Manche se transforme en cimetière, les dirigeants français et anglais élucubrent sur leurs responsabilités administratives. Alors qu’Emmanuel Macron appelle les Britanniques à « être sérieux », Londres rétorque que l’opinion publique réclame de la transparence.

La lettre rendue publique de Boris Johnson à Emmanuel Macron, jeudi 25 novembre au soir, a été jugée « indigente et totalement déplacée » par le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Lors d’un briefing réservé aux journalistes britanniques vendredi matin, un de ses homologues du 10 Downing Street lui a répondu que « le public veut savoir quelles solutions sont étudiées pour régler le problème ».

La lettre de Boris Johnson propose un plan d’action en cinq points et celui qui semble le plus gêner le gouvernement français est la proposition d’un « accord bilatéral de réadmission pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche ». Alors que le premier ministre britannique estime que cela aurait « un effet immédiat et significatif », Gabriel Attal a estimé que « cet accord de “relocalisation”, n’est évidemment pas ce dont on a besoin ». Pour le porte-parole du gouvernement français, « c’est à se demander maintenant si Boris Johnson ne regrette pas d’avoir quitté l’Europe, parce que dès qu’il a un problème, il considère que c’est à l’Europe de le gérer ».

Le ministre des transports britannique Grant Shapps, de son côté, estime que les traversées des exilés n’ont « rien à voir avec le Brexit ». Mais en quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni est aussi sorti de l’accord de Dublin, un texte qui part du principe que les conditions d’accueil sont homogènes dans tous les pays membres de l’UE et prévoit donc qu’un individu doive déposer sa demande d’asile dans le premier pays de l’UE où il arrive. S’il présente son dossier dans un autre pays, il peut être « dubliné », renvoyé dans le premier pays européen où il a mis les pieds. Mais seulement 11 % de ces procédures dites de « transfert » sont menées à terme, selon un rapport de la Commission des affaires intérieures du Parlement européen du 2 décembre 2020.

Le problème est entièrement avec le gouvernement britannique […]. Sous prétexte qu’on est une île, ils veulent qu’on devienne une forteresse

Bridget Chatman, militante de l’Action pour les réfugiés du Kent

Quitter l’accord de Dublin n’a donc pas changé radicalement la donne pour le Royaume-Uni. D’autant plus qu’un individu peut demander à ce que son dossier soit traité dans un pays où il a déjà de la famille. Or de nombreux migrants – des mineurs en particulier – disent avoir des proches au Royaume-Uni. C’est l’une des raisons pour lesquelles les exilés cherchent en grand nombre à traverser la Manche.

Gérald Darmanin a d’ailleurs dit le 2 octobre dernier que les Britanniques doivent « rendre leur territoire moins attractif pour les migrants qui voudraient y travailler illégalement ». Londres a raffermi les règles ces dernières années : les employeurs, les agences immobilières ou propriétaires de logements sont chargés de vérifier si le candidat a bien droit de résider au Royaume-Uni. Mais c’est un système facile à contourner pour ceux qui ont les contacts.

Selon Bridget Chatman, de l’association Kran (Action pour les réfugiés du Kent), il s’agit cependant d’un faux problème : « Personne ne veut vivre une vie de non documentée s’il est possible de faire autrement, assure-t-elle. Car ne pas avoir de papiers, c’est ne pas avoir accès à un bon emploi, à l’éducation, à la santé. S’ils veulent venir au Royaume-Uni, c’est qu’ils ont des raisons : ils ont peut-être de la famille sur place, ou bien ils savent qu’il y a de nombreux membres de leur communauté. » Et d’insister sur l’héritage de la décolonisation britannique : « La Grande-Bretagne a eu beaucoup de colonies et on leur a toujours présenté le Royaume-Uni comme la mère patrie. Ils parlent donc anglais aussi, bien sûr. »

Malgré tout, l’association ne blâme pas la France, qui a « déjà accueilli trois fois plus de réfugiés que le Royaume-Uni », précise Bridget Chatman, pour qui « le problème est entièrement avec le gouvernement britannique, qui refuse de prendre ses responsabilités et un nombre équitable de personnes qui ont besoin d’un sanctuaire. Sous prétexte qu’on est une île, ils veulent qu’on devienne une forteresse. » Les Britanniques disent, eux, faire preuve de « bonne foi » et veulent « accroître la coopération » entre les deux pays, comme le dit la lettre ouverte de Boris Johnson.

Pour remplacer l’accord de Dublin, Londres demande à Paris un accord bilatéral pour renvoyer les demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni depuis l’Hexagone. Mais le gouvernement français insiste pour que toute discussion se fasse au niveau européen. Enjeu de la discussion : la création de patrouilles franco-britanniques sur les plages hexagonales, une option qui ne semble pas avoir la faveur de Paris, qui plaide plutôt pour accueillir des agents de l’immigration sur son sol pour étudier les dossiers des migrants voulant traverser la Manche. Une proposition qui ne semble pas convenir aux Britanniques.

À travers la loi « Nationalité et frontière », actuellement étudiée au Parlement, Boris Johnson préfère ainsi l’envoi de migrants dans un pays tiers, le temps que leur dossier soit examiné, comme le fait par exemple l’Australie. Cela pour réduire l’attractivité de la traversée de la Manche, selon le gouvernement. Priti Patel, ministre de l’intérieur, a aussi évoqué la possibilité d’autoriser le refoulement des embarcations en mer. Une méthode dangereuse qui a même interloqué Gérald Darmanin, pour qui la « France n’acceptera aucun chantage ».

Plusieurs députés conservateurs voudraient aller encore plus loin. Scott Benton, élu de Blackpool South, une circonscription anciennement travailliste devenue Tory après Brexit, demande ainsi à ce que le Royaume-Uni se retire de la Convention des droits de l’homme, car « le pouvoir paralysant des cours de justice interfère directement avec [son] habilité à régler le problème ».

Et au milieu de ces tergiversations bureaucratiques éloignées de tout humanisme, des migrants se noient.

Marie Billon

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