Après le drame survenu à Calais où 27 personnes ont péri en tentant de rejoindre le Royaume-Uni, les dirigeants de la Croix-Rouge britannique et française appellent, dans une tribune au « Monde », à reprendre les discussions sur les politiques d’asile et d’immigration afin d’aboutir à des règles claires qui protègent et qui sauvent.

Tribune. Le 24 novembre, 27 femmes, hommes et enfants tentant de rejoindre le Royaume-Uni depuis Calais (Pas-de-Calais) sont morts noyés dans la Manche. Ce drame, au triste record depuis 2018, est un coup supplémentaire porté à notre commune humanité. Aucun pays ne peut à lui seul résoudre cet enjeu global et complexe. Mais, en ce moment même, alors que nous avons besoin que les États travaillent ensemble, il semble que les portes se ferment.

Parce que personne ne souhaite voir une nouvelle tragédie se produire dans la Manche, les gouvernements français et britannique doivent travailler de concert et maintenir les opérations de recherche et de sauvetage en mer pour sauver des vies.

Les Croix-Rouge française et britannique, membres fondateurs du plus grand mouvement humanitaire mondial, partagent la conviction qu’une réponse basée sur la solidarité et la responsabilité partagée de l’accueil constitue le seul horizon désirable. Chacun doit y prendre sa part. Par conséquent, nous accomplissons notre devoir au secours de ceux qui risquent tout pour un autre destin, et ce de façon inconditionnelle. Chaque jour, nos bénévoles et salariés, depuis des années, viennent en aide aux personnes exilées à la frontière franco-britannique aux côtés de nombreuses autres associations et habitants dont la volonté ne faiblit pas.

Processus de déshumanisation

Notre espace humanitaire doit être préservé pour nous permettre d’intervenir au service des voyageurs de cette terrible odyssée, qui, après avoir souvent fui le pire chez eux, suivent une route pavée de dangers et d’insécurité. Ceux qui l’empruntent peinent à répondre à leurs besoins de base : accès à l’hygiène, à l’eau potable, aux soins… Leur parcours est jalonné de passeurs et de trafiquants dont la misère est le fond de commerce. Surtout, leur parcours d’exil se présente bien souvent comme un processus de déshumanisation, qui anéantit leur vie dans sa dimension biographique. Etre en vie sans se sentir vivant.

D’autres périssent dans ce périple. Aussi, sur le littoral, des deux côtés de la Manche, les équipes de rétablissement des liens familiaux participent à l’identification des dépouilles, accompagnent les familles de personnes décédées, aux côtés des autorités, et permettent aux vivants de maintenir le contact avec leurs proches. Nous travaillons à la mise en place de points d’accueil adaptés pour répondre à l’urgence humanitaire, apporter l’accès aux premiers soins, à l’information, et aux dispositifs de protection de l’enfance. Notre coopération n’a qu’un but : qui qu’ils soient, d’où qu’ils partent et où qu’ils aillent, l’entraide doit être présente à chaque étape du chemin des exilés.

Pour répondre à ce drame humanitaire, deux enjeux doivent nous guider : une réponse humanitaire avec les populations locales à la hauteur des détresses et des souffrances des exilés et une législation internationale plus protectrice.

Sur le terrain, aucune solution pérenne ne saurait s’envisager sans associer les habitants. Ces populations locales, nous les avons interrogées à l’occasion d’une enquête d’opinion. Qu’ils habitent en France (Nord et Pas-de-Calais) ou au Royaume-Uni (Kent, Sussex de l’Ouest, Sussex de l’Est), ceux-ci ont en commun d’être profondément heurtés par la séparation des enfants migrants de leurs parents (72 % en France, 78 % au Royaume-Uni) mais aussi par les décès en mer (69 % en France, 75 % au Royaume-Uni). Ils sont aussi majoritaires à être prêts à venir en aide à une personne migrante en danger (79 % en France et 88 % au Royaume-Uni).

Ils ont également exprimé, au travers de ce sondage, leur tiraillement entre compassion et rejet, à l’évocation de ces douleurs continues, vingt ans après la fermeture du camp de Sangatte (Pas-de-Calais). Dès lors, nous devons continuer à agir auprès des populations locales pour favoriser l’hospitalité et la perception des bénéfices de l’accueil.

Prendre tous les risques pour plus de sécurité

Le second enjeu est celui de politiques publiques plus concrètes, d’une législation plus protectrice. Les personnes fuyant les conflits et les persécutions doivent pouvoir accéder aux systèmes de demande d’asile des deux côtés de la Manche. Les discussions en vue de construire un accord pour des itinéraires sûrs et légaux doivent continuer, mais surtout, ils doivent aboutir à la mise en place de politiques publiques claires qui protègent et qui sauvent des vies. Ces discussions ne peuvent passer sous silence la question des pays de départ afin de réduire ces périples dangereux vers l’Europe.

La sortie de crise ne sera possible que par une coopération internationale renforcée des deux rives

Nous devons ainsi comprendre quelles sont les réalités qui poussent les exilés à prendre tous les risques pour plus de sécurité. L’une d’elles est l’absence d’options plus sûres pour accéder à des pays susceptibles d’offrir une protection. Ces discussions doivent aussi permettre aux personnes en quête de sécurité d’accéder à la procédure d’asile du Royaume-Uni depuis la France ou tout autre pays européen, et notamment aux fins du regroupement familial, lorsque le Royaume-Uni est impliqué.

En tout état de cause, la sortie de crise ne sera possible que par une coopération internationale renforcée des deux rives. Le premier Forum humanitaire européen, qui se tiendra en janvier 2022, conjointement organisé par la Commission européenne et la France dans le cadre de sa future présidence du Conseil de l’Union européenne, est le rendez-vous de l’humanité avec elle-même. Pour répondre au drame humanitaire qui se déroule sous nos yeux, pour que les discussions sur l’asile et l’immigration ne se tiennent que dans l’ambition partagée du respect de la dignité humaine. De toutes les routes qui s’offrent désormais à nous, c’est le chemin de l’humanité qu’il faut retrouver.

Mike Adamson est directeur général de la Croix-Rouge britannique. Il fait partie du Comité consultatif sur les droits de l’homme auprès du ministre des affaires étrangères britannique et du conseil de prévention du National Health Service.

Philippe Da Costa est président de la Croix-Rouge française. Il est également secrétaire du Conseil économique, social et environnemental et président du conseil scientifique et d’orientation de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.

Mike Adamson(Directeur général de la Croix-Rouge britannique) et Philippe Da Costa(Président de la Croix-Rouge française)

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.