Plusieurs études publiées récemment s’accordent sur le fait que, s’il est impossible de prédire précisément combien nous consommerons d’énergie en 2050, atteindre la neutralité exigera de réduire drastiquement nos besoins.

Par Perrine Mouterde Publié aujourd’hui à 04h45

Analyse. Ils s’intitulent « Futurs énergétiques » ou « Transition(s) 2050 », ont nécessité des années de travail et pèsent des centaines de pages. En quelques semaines, plusieurs « scénarios » visant à atteindre la neutralité carbone ont été mis sur la table. Celui de négaWatt, une association défendant la sobriété, l’efficacité énergétique et les renouvelables ; ceux du gestionnaire national du Réseau de transport d’électricité (RTE), missionné par le gouvernement ; et, enfin, ceux de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), un établissement public placé sous la double tutelle des ministères de la transition écologique et de la recherche. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait également présenté, en mai, ses pistes pour parvenir, en trente ans, au « zéro émission nette ».

Que retenir de cette profusion d’analyses sur les trajectoires possibles pour réussir à ne pas émettre davantage de gaz à effet de serre qu’il est possible d’en absorber ? Publiés à peu de temps d’intervalle, ces exercices prospectifs varient considérablement par leur approche, leur ampleur, leur périmètre et leur méthode. Mais s’ils ne sont nullement comparables, il en ressort finalement, de manière assez frappante, des messages convergents.

Réduire drastiquement nos besoins

Tous partent d’un constat : s’il est impossible de prédire précisément combien nous consommerons d’énergie en 2050, il est en revanche certain qu’atteindre la neutralité carbone exigera de réduire drastiquement nos besoins. Et ce n’est pas seulement négaWatt, apôtre de la sobriété, qui le dit : le gouvernement français, par le biais de sa stratégie nationale bas carbone, prévoit une réduction par deux de la consommation globale d’énergie. Or s’interroger sur ces besoins ne va pas de soi. « Aujourd’hui, l’énergie n’a plus de visibilité, de réalité physique, ce que l’on consomme est totalement abstrait, observaient, début décembre, les experts de La Fabrique écologique, une fondation pluraliste et citoyenne. Il faut que les acteurs se réapproprient ce sujet. »

« Sommes-nous prêts à modifier profondément nos usages et à remettre en cause la manière dont nous nous déplaçons, dont nous occupons nos logements, dont nous mangeons ? »

Les gains en matière d’efficacité – qui permettent d’obtenir le même service mais en utilisant moins d’énergie – permettront de faire baisser la consommation. Mais seront-ils suffisants ? La nécessité de réfléchir à la notion de sobriété s’est clairement imposée comme l’un des enseignements de ces travaux. Cette notion, largement absente du débat public, est éminemment clivante. A tel point que RTE, au vu de l’importance prise par le sujet lors des concertations, a révisé ses hypothèses pour en faire une trajectoire à part entière.

Sommes-nous prêts à modifier profondément nos usages et à remettre en cause la manière dont nous nous déplaçons, dont nous occupons nos logements, dont nous mangeons ? Sommes-nous d’accord pour faire évoluer des pratiques aussi fondamentales et structurantes, sans que cela pénalise les moins favorisés ? Ou souhaitons-nous préserver nos modes de vie actuels, quitte à rendre l’atteinte de nos objectifs climatiques encore plus ardue ? Bien plus qu’une question technique, il s’agit là d’un véritable choix de société. « La sobriété, ce n’est ni un scénario du Moyen-Age ni un scénario où les trains s’arrêtent quand il n’y a plus de vent pour faire tourner les éoliennes, mais c’est clairement un scénario où le pacte de société n’est plus le même », expliquait Thomas Veyrenc, le directeur exécutif stratégie et prospective de RTE.

Les auteurs de tous ces travaux plaident également pour dépasser l’opposition binaire entre énergies renouvelables et nucléaire, à laquelle est souvent réduit le débat sur la transition énergétique. D’abord parce que la nécessité d’un déploiement massif de l’éolien et du solaire apparaît comme incontournable, tous les scénarios prévoyant que les renouvelables soient majoritaires dans le mix énergétique en 2050. Mais aussi parce que, si les questions du système électrique et de la place qui sera accordée au nucléaire sont majeures, elles ne sont que deux des multiples pièces du puzzle à assembler.

Espérer atteindre la neutralité carbone implique certes de produire de l’électricité bas carbone, mais aussi de réussir à sortir totalement des fossiles, de développer les énergies renouvelables non électriques, de réformer les systèmes agricoles et alimentaires, de préserver les forêts et les océans qui assurent la fonction de puits de carbone, de repenser le modèle de développement économique, l’organisation du territoire… Le défi est systémique et toutes ses dimensions doivent être prises en compte.

Consulter la population

Enfin, ces travaux soulignent un paradoxe : il y a urgence à agir, mais il est aussi impératif de consulter la population. Il faut tout à la fois concilier le temps court et le temps long, faire des choix en acceptant les incertitudes…Les scientifiques n’ont de cesse de répéter que la prochaine décennie – qui ne compte d’ailleurs plus que huit années… – sera cruciale pour le climat. Or, en matière d’énergie, les nouveaux projets mettent de longues années à aboutir, en France encore plus qu’ailleurs, et doivent donc être lancés au plus vite.En même temps, les responsables politiques ne peuvent s’exonérer d’un véritable débat démocratique, au Parlement et au sein de la société. C’est à cette condition que les efforts gigantesques nécessaires pour viser la neutralité carbone auront une chance d’être acceptés – voire mieux, souhaités !

Pour l’heure, on peut s’inquiéter de la pauvreté des discussions sur l’écologie dans la campagne présidentielle. Une « paralysie du débat » que La Fabrique écologique explique notamment par « l’incapacité des Français et des dirigeants à se projeter dans l’avenir » et à porter une vision de ce que pourrait être une société de la neutralité carbone en 2050. Les divers scénarios désormais sur la table doivent aider à en dessiner les contours.

Perrine Mouterde

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