Ce 26 mai 2019, Mohammed ben Zayed, homme fort des Émirats arabes unis, rencontre à Khartoum le général Abdel Fattah Burhan Abdelrahman. Les Émirats arabes unis sont l'un des premiers investisseurs au Soudan et le premier soutien politique et financier des militaires soudanais.<br />
  Ce 26 mai 2019, Mohammed ben Zayed, homme fort des Émirats arabes unis, rencontre à Khartoum le général Abdel Fattah Burhan Abdelrahman. Les Émirats arabes unis sont l’un des premiers investisseurs au Soudan et le premier soutien politique et financier des militaires soudanais.
 AP 02 déc 2021 Mise à jour 03.12.2021 à 12:13 par Pierre Desorgues

Les Émirats arabes unis célèbrent leurs 50 ans d’existence. Ce petit État du Golfe fait preuve d’une activité tous azimuts en Afrique pour mettre la main sur ses ressources pétrolières, hydriques, alimentaires et humaines. Ainsi ce petit pays d’un peu plus de 10 million d’habitants est devenu en moins de vingt ans l’un des principaux partenaires commerciaux du continent. Où s’arrêteront les ambitions des Émirats arabes unis en Afrique ? Entretien avec Sebastien Boussois, docteur en Sciences politiques, auteur de l’ouvrage Les Émirats arabes unis à la conquête du monde.
 

TV5MONDE : Comment peut-on qualifier la politique des Émirats arabes unis sur le continent depuis la mort de Cheikh Zayed en 2004 (Émir d’Abu Dhabi et fondateur des Émirats arabes unis en 1971) ?

Sébastien Boussois
: C’est une politique impériale. L’objectif des Émirats arabes unis est d’assurer leur survie mais aussi de se constituer aussi une zone d’influence. On qualifie souvent les Émirats de nouvelle Sparte (Cité-État de la Grèce Antique, connue pour sa force militaire) des pays du Golfe. Je dirai plutôt que les Émirats constituent une nouvelle Venise (Cite-État à la tête d’une empire commercial et maritime entre le XIIIème et le XVIIème siècle, ndlr). C’est une puissance maritime commerciale tournée vers la mer mais qui veut user de son influence un peu partout dans le monde et dans tous les domaines.
 Mohammed ben Zayed est l'homme fort des Émirats arabes unis.<br />

  Mohammed ben Zayed est l’homme fort des Émirats arabes unis.
 AP

Mohammed ben Zayed, le prince héritier et homme fort des Émirats arabes unis, veut constituer un empire émirati dans le monde. Il y a une part d’intérêts stratégiques, de recherches de ressources mais aussi une forme de mégalomanie. On est habitué à voir de grand pays d’une certaine puissance être influent au-delà de leurs frontières.
 

“MBZ”, l’homme fort du pays

À la fois président des Émirats et souverain d’Abou Dhabi, cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane, est rarement apparu en public depuis qu’il a subi une opération à la suite d’un AVC en 2014.

Son demi-frère, cheikh Mohammed ben Zayed, “MBZ”, prince héritier d’Abou Dhabi et ministre de la défense, est considéré comme le dirigeant de facto du pays.

On l’est beaucoup moins pour un État de la taille des Émirats. Des villes-monde, des villes comptoirs comme Singapour ou Kuala Lumpur ont des ambitions conformes à la taille de leur pays. Ces ambitions sont commerciales et régionales. Des États comme les Émirats Arabes unis ou le Qatar veulent être présents sur toutes les sphères du globe, la terre, la mer mais aussi l’espace (en février 2021, ils ont placé leur sonde “Amal” autour de l’orbite de Mars, devenant le premier pays arabe à réaliser un tel exploit, ndlr). Les ambitions émiraties apparaissent en Afrique et hors de l’Afrique démesurées, gigantesques et impériales.Les Émirats, riche fédération du Golfe.

L’État des Émirats arabes unis, qui célèbre le 50e anniversaire de sa création, est un riche pays pétrolier du Golfe, devenu l’un des plus influents de la région et un important centre économique et commercial. L’État fédéral est composé de sept émirats: Abou Dhabi, Dubaï, Charjah, Foujaïrah, Ajman, Oum Al-Qaïwaïn et Ras Al-Khaïmah.


Les expatriés représentent 90% des 10 millions d’habitants du pays.  Abou Dhabi, capitale des Émirats, et surtout Dubaï, carrefour aéroportuaire et ville ultraconnectée, accueillent les bureaux régionaux de milliers d’entreprises. Deuxième économie du Golfe après celle de l’Arabie saoudite, les Émirats sont devenus un important centre économique et commercial.

TV5MONDE : Quel est le rapport à l’Afrique de Mohammed Ben Zayed ?

Sébastien Boussois : D’un point de vue spirituel et éthique, Mohammed ben Zayed n’a aucun intérêt pour l’Afrique. Il ne s’agit pas de mettre en valeur le continent des origines. ‘MBZ’, pas plus que les responsables chinois, ne voient en l’Afrique le berceau des civilisations. Cela ne les intéresse pas. L’objectif des dirigeants émiratis est de profiter de manière unilatérale dans le développement des ressources du continent, souvent en bafouant le droit international notamment dans l’exploitation de mines en République démocratique du Congo ou en Guinée avec le travail des enfants. L’Afrique est là pour assurer la survie des Émirats arabes unis.
 

Les Émiratis pratiquent en Afrique ce que l’on appelle le “land grabbing”, l’achat massif de terres agricoles pour s’assurer une sécurité alimentaire

L’idée de défendre d’abord ses intérêts n’est cependant pas une exclusivité des Émirats arabes unis. L’Afrique est un continent d’opportunités. Les Émiratis peuvent y pratiquer ce que l’on appelle le “land grabbing”, l’achat massif de terres agricoles pour s’assurer des ressources en biens alimentaires. C’est le cas surtout au Soudan.

Depuis 2009, les Émirats Arabes Unis ont acquis quelque 1,3 million d’hectares dans le monde. Plus de 400 000 hectares ont été acquis au Soudan. Le principal porteur de tous ces « projets agricoles » est la National Holding, une société de la famille royale d’Abu Dhabi. Il faut s’assurer une sécurité alimentaire.

Selon Mohammed ben Zayed, l’Afrique est le réservoir en eau potable des Émirats arabes unis.

Les Émirats arabes unis cherchent à s’approvisionner également en eau potable. Le dessalement de l’eau de mer coûte très cher. Le pays doit faire face à un stress hydrique. Les Émirats arabes unis cherchent donc pas conséquent à construire une influence politique et économique sur les pays qui se trouvent sur le parcours du Nil.

On voit se dessiner un arc d’influence émiratie qui part de l’Égypte en passant par le Soudan et l’Ethiopie. Les Émirats arabes unis veulent être autosuffisants en eau potable. Ils ont des intérêts dans le barrage de la Renaissance construit par l’Éthiopie pour retenir les eaux du Nil. Selon ‘MBZ’ l’Afrique est le réservoir en eau potable des Émirats arabes unis.
 Mohammed ben Zayed rencontre ce 3 mai 2017 le président égyptien Al-Sissi. Abou Dhabi est le principal soutien politique et financier du régime du maréchal Sissi.<br />

Les Émirats arabes unis financent ainsi la construction de la nouvelle capitale du pays à coté du Caire. L'une des principales artères de la ville portera le nom de Mohammed ben Zayed.<br />

  Mohammed ben Zayed rencontre ce 3 mai 2017 le président égyptien Al-Sissi. Abou Dhabi est le principal soutien politique et financier du régime du maréchal Sissi.
Les Émirats arabes unis financent ainsi la construction de la nouvelle capitale du pays à coté du Caire. L’une des principales artères de la ville portera le nom de Mohammed ben Zayed.
 AP/Ryan Carter

Les Émirats arabes unis, un des principaux partenaires commerciaux du continent

Le volume des échanges commerciaux entre le pays du Golfe et l’Afrique n’a cessé de progresser.  Dubaï est devenu une plateforme financière pour les entreprises du continent africain. Plus de 21 000 entreprises africaines ont un correspondant ou un bureau dans la ville émiratie. Les Émirats arabes unis, pays de 10 millions d’habitants, sont le cinquième partenaire commercial du continent derrière l’Union européenne, la Chine, les États-Unis et l’Inde.

TV5MONDE : Accaparement de terres agricoles ou constitution de réserves en eau potable, quelles sont les autres ressources que les Émirats veulent se procurer en Afrique ?

Sébastien Boussois : L’Afrique est effectivement le continent du “land grabbing”, de l’accaparement des terres. Plus de 40% de cet accaparement des terres dans le monde se trouve sur le continent africain. Le « land grabbing » recoupe l’exploitation des minerais et notamment ce que l’on appelle les “terres rares” (les terres rares sont des minerais permettant d’assembler des objets de haute technologie comme le lithium par exemple pour les batteries, ndlr). Ces terres rares permettent par exemple d’avoir des ambitions spatiales. Sans terres rares, vous ne pouvez pas avoir d’ambitions technologiques. Et Mohammed Ben Zayed veut faire des Émirats une puissance spatiale.

Les Émirats sont présents dans le secteur minier en RDC et en Guinée. Ils extraient également de l’or au Ghana autour de deux sociétés émiraties, Emirates Gold et Kaloti Jewellery International tenues par des Indiens et des Sud-Africains. Ils ont des intérêts pétroliers également surtout au Soudan.

Les Émiratis viennent chercher des ressources humaines en Afrique. En juillet 2019, en Éthiopie Abiy Ahmed, le Premier ministre annonçait l’envoi de 50 000 travailleurs à ‘MBZ’ : des employés bon marché, malléables en vue de tous les futurs grands projets émiratisSébastien Boussois, spécialiste des Émirats arabes unis.

Les ressources en Afrique ne se résument pas seulement aux terres, aux biens agricoles, au pétrole… Les Émiratis viennent chercher des ressources humaines en Afrique. En juillet 2019, en Éthiopie Abiy Ahmed, le premier ministre annonçait l’envoi de 50 000 travailleurs à ‘MBZ’ : des employés bon marché, malléables, peu contestataires, en vue de tous les futurs grands projets émiratis.

TV5MONDE : Quelle est leur influence politique en Afrique ? Qu’est-ce qui guide leur diplomatie sur le continent ? Le rapprochement avec le régime du maréchal Al-Sissi au Caire serait dicté par une forme de détestation des Frères musulmans (mouvement islamiste né en Égypte et soutenu par la Turquie et le Qatar). Quelle est la part d’idéologie dans leurs choix politiques sur le continent ?

Sébastien Boussois : Les Émirats arabes unis ne mettent jamais leurs œufs dans le même panier. Les Émirats arabes unis se sont toujours présentés comme étant les grands amis de l’Arabie Saoudite. Depuis juillet 2019, ils se rapprochent de l’Iran, ils ont repris contact avec le Qatar. Ils se sont rapprochés d’États soutiens des Frères musulmans. En même temps Abou Dhabi cherche à toujours conserver de bonne relations avec l’Arabie saoudite. Pour ces petits pays, tout peut être évolutif.  Les Émirats arabes unis se rapprochent en ce moment de la Turquie en anticipant ce que pourraît être l’après-Erdogan. Les alliances changent vite.


Les dirigeants émiratis ont une marque de fabrique notamment en Afrique. Ils soutiennent les régimes militaires et ils s’opposent aux mouvements démocratiques.

Ils ont cependant quelques réflexes idéologiques ou plutôt une marque de fabrique. Ils soutiennent les régimes militaires et ils s’opposent aux mouvements démocratiques. En Afrique, ils soutiennent les militaires au Soudan. Ils soutiennent le régime du maréchal Sissi. Ils soutiennent Haftar en Libye. Le Qatar par défaut avait soutenu les forces alternatives lors du printemps arabe, les islamistes et les frères musulmans. Les Émirats avaient soutenu les militaires. Mohammed ben Zayed est un militaire. Sa préférence personnelle va vers le soutien de régimes tenus par des militaires.

TV5MONDE : En Libye, les Émirats arabes unis ont soutenu le maréchal Haftar. Ils sont aujourd’hui en retrait après les échecs militaires d’Haftar (échec à prendre Tripoli au début de l’année 2021). Est-ce que leur engagement en Libye n’a pas montré les limites de leurs ambitions sur le continent ?

Ils sont capables de rebondir assez rapidement. C’est le cas au Soudan où ils ont été proches du régime d’Omar El-Béchir. Omar El-Béchir est renversé et aujourd’hui ils soutiennent les militaires du général Abdelfattah Al Buhrane qui sont au pouvoir. Quelles sont les limites des ambitions de Mohammed ben Zayed sur le continent ? Pour l’instant, je n’en vois pas.



 Pierre Desorgues

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