Paru aux éditions de L’Arche – août 2019
80 pages

Il y avait bien longtemps que je n’avais plus lu de théâtre, j’avais oublié à quel point il pouvait être imprévisible, percutant. À quel point le jeu pouvait se ressentir et en un sens nous appartenir. Alice Zeniter avec Quand viendra la vague m’y a redonné goût. 

Ils sont là perchés sur leur rocher à regarder la mer. Attendre la vague. Celle qui engloutira tout. Ils sont là, sur leur petite île retrouvée après des années de ville. Au milieu de rien. Une bergerie et quarante vaches. Ils observent. Ils attendent. La catastrophe évidente. Celle qui nous pend au nez d’avoir tant détruit, tant pollué, tant joué les rois du monde ou du pétrole, les rois de la thune et du consumérisme. Ils sont là, Letizia et Mateo. Ils s’aiment, comme on s’aime quand les années érodent, un peu moins bien, avec reproches et fracas mais amour malgré tout. Ils sont là, perchés au sommet de leur rocher et ils jouent. Ils jouent à qui-sauver-quand-viendra-la-vague. Qui mettre dans l’arche-rocher ? Qui mérite de monter sur leur rocher ? Pile de droite, on jette, pile de gauche, on garde. Quel monde inventé pour demain ? Quel héritage ?
Ils sont là et jouent avec l’humanité. Avec le passé, avec les rancœurs. Ils jouent comme on titille l’autre sur des sujets fâcheux. Ils posent leurs cartes sur table et procèdent à la sélection des espèces. Des personnages imaginés ou surgis du passé. Des trouble-faits. Des animaux qui a la manière d’Orwell se tiennent sur deux pattes et parlent. Ils inventent. Façonnent. Transforment. Déforment. Ce monde qui peu à peu est englouti par une eau qui monte toujours plus haut. Ils observent l’assiette jaune qui flotte. Les rats qui grignotent l’œil d’un ours en peluche. Ils observent, discutent, se disputent. Ils cherchent quel avenir. Individualisme ou collectif ? Quel avenir, pour eux ? Les larmes seront-elles salées ?

“ LETIZIA

Comment tu peux être aussi sûr que c’est impossible ? Les gens changent, Mateo. 

MATEO

Mais qui change, putain ? Diams ? Renaud ? Les héros de séries télé ?C’est à cause des types comme lui qu’on en est là, à attendre la vague en tremblotant. Les types qui prélevaient du sable ici pour construire là, ceux qui brûlaient les arbres pour construire encore plus gros, ceux qui éventraient la terre sur des milliers de kilomètres carrés pour en extraire une pépite de je-ne-sais-quoi et qui laissaient les autres ensuite vivre dans leurs tranchées, les types qui ont écrasé de leurs autoroutes les espèces rares de scarabées, de crapauds ou de mésanges – et même des tribus indiennes entières, pour autant que je sache, des familles de tout petits êtres avec de toutes petites plumes et des colliers multicolore.Et maintenant que l’eau monte par leur faute, il faudrait encore les sauver ? Il faudrait que toi et moi, on fasse preuve d’une belle morale universelle et qu’on laisse un salaud comme ça venir avec nous ? Mais c’est parce qu’ils comptaient sur ça, tous, qu’ils se sont laissé aller à un tel gâchis ! S’ils avaient pensé un seul moment qu’on les accueillerait à coups de pelle dans la gueule, ils se seraient tenus à carreau ! 

LETIZIA

Et c’est quoi la vague alors ? C’est toi qui règles des comptes avec toute la planète ?

MATEO

Non. C’est moi et la planète qui réglons nos comptes avec tous les hommes. ”

Observons-le, respectons-le, notre monde. Nous ne sommes que de passage.Quand viendra la vague, le lecteur-spectateur se pose à leurs côtés, frappés par la folie ou l’humanité. Par ce “tout ce qui flotte prend aussitôt des allures de déchets“. Frappés par la destruction de notre monde. Par ces “fossiles vivants” que nous sommes.  Comédie humaine grinçante dans laquelle on rit autant que l’on prend peur, Alice Zeniter nous entraîne à la dérive voir de près notre monde qui coule autant que notre humanité et dont les messages résonnent : que fait-on de notre monde ? De nos vies ? Qu’est-ce que le bonheur, une utopie ? 
Quatre-vingt pages excellemment bien écrites, punchy, avec un humour qui donne envie d’applaudir de toutes ces forces. Je l’ai lu un après-midi où pour le cinquième jour consécutif pas une goutte de pluie n’était tombée. Je l’ai lu avant que les amis arrivent, là sans être totalement là quand ils se sont installés. Je leur en ai parlé. Je leur ai dit à quel point j’aimais le théâtre. À quel j’avais envie de la jouer. Sans prétention aucune. Si j’avais eu la folie nécessaire, je crois que j’aurais aimé qu’ils m’accompagnent. Jouer Letizia, Mateo, la femme, l’homme et le mouflon sur deux jambes – nous étions exactement cinq cet après-midi là. Prendre du plaisir autant que prendre conscience. Collectivement.
Quand viendra la vague, j’aimerais reprendre ce livre, et le temps que monte la mer, jouer cette pièce avec eux. Tragi-comique. Comme l’Homme.

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