L’aviation israélienne a bombardé, dimanche 26 mai au soir, un camp de déplacés à Rafah. Des dizaines de personnes sont mortes brûlées. Ce massacre intervient seulement quelques jours après que la Cour internationale de justice a demandé la fin de l’offensive sur la ville palestinienne.

Gwenaelle Lenoir

27 mai 2024 à 20h25

IlsIls et elles se croyaient sinon en sécurité, en tout cas moins en danger qu’ailleurs. N’avaient-ils pas suivi les ordres de l’armée israélienne, et installé leurs abris précaires, tentes bricolées de bâches en plastique et de morceaux de bois ou de métal, dans une des « zones sûres » désignées par l’état-major israélien ?

Un surcroît de sûreté leur était offert, pensaient ces familles, par la proximité de la base logistique de l’UNRWA, l’Agence des Nations unies chargée de l’assistance aux réfugiés palestiniens, et son drapeau bleu, qui désigne à toute partie prenante à un conflit une zone de non-belligérance et de protection des civils.

Une fois de plus, l’armée israélienne a démontré que nul endroit n’est sûr dans la bande de Gaza et que chaque homme, femme, enfant, de l’enclave palestinienne est une cible. En tout lieu. À toute heure.

Il faisait déjà nuit quand les missiles, huit selon des témoins cités par la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, ont été largués par l’aviation israélienne sur le camp Baraksat, dans le quartier de Tel Al-Sultan, quasiment collé à la bande frontalière égyptienne, à l’ouest de la ville de Rafah. Sur ces rangs serrés d’abris posés sur le sable, et où les familles s’apprêtaient à dormir.

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Les secours sur les lieux de la frappe israélienne à Rafah, le 26 mai 2024. © Photo de la Défense civile palestinienne / UPI / Shutterstock via Sipa

Cette partie de Rafah n’était pas incluse dans les zones soumises à l’offensive terrestre de l’armée israélienne contre la ville la plus au sud de la bande de Gaza, zones qui avaient reçu un ordre d’évacuation forcée.

Les explosions des missiles ont allumé des incendies, qui se sont propagés à toute allure dans cet endroit surpeuplé. Les flammes ont dévoré le plastique et les chairs des êtres humains. « Les tentes fondent et les gens dedans fondent ! », a hurlé un homme sous le choc, filmé par un journaliste d’Al Jazeera dans un hôpital de campagne empli de cris de souffrance d’enfants brûlés.

« Il y a eu une énorme déflagration non loin de chez moi. Il y a beaucoup de femmes et d’enfants parmi les blessés, des enfants sont morts aussi, raconte Mohamed, un habitant de Rafah, au micro de RFILeurs corps ont été déchiquetés. Il y a des corps décapités, des corps dont les membres ont été amputés par la violence de la déflagration. Ils ont perdu leurs bras, leurs jambes, leurs mains… Certains corps sont méconnaissables, on n’arrive pas à identifier les victimes… » 

Des brûlures au-delà du troisième degré

L’ONG Médecins sans frontière (MSF), qui a dû évacuer les deux hôpitaux de Rafah où elle travaillait après l’ordre de déplacement de l’armée israélienne début mai, soutient un centre d’urgences dans lequel les blessés sont stabilisés avant d’être transférés vers des hôpitaux situés à proximité des lieux frappés par les missiles israéliens.

« Très rapidement après le bombardement, les équipes ont reçu 28 morts et 180 blessés, raconte à Mediapart Caroline Seguin, responsable des opérations de MSF dans la bande de Gaza. Il s’agit de blessures de guerre, de corps traversés par des éclats, et de brûlures au troisième degré ou plus. Ces personnes brûlées nécessitent des soins palliatifs qui sont très difficiles à administrer dans les conditions que nous subissons dans la bande de Gaza. Nous avons déposé des demandes auprès des autorités israéliennes pour des évacuations vers des hôpitaux égyptiens, mais il y a peu d’espoir, le point de passage étant fermé. »

L’UNRWA, elle, indique avoir des difficultés à joindre ses équipes sur place. « C’est une horreur qui ne s’arrête pas et dont on ne voit pas le bout », a écrit sur le réseau social X Juliette Touma, la directrice de la communication de l’agence. Comme les autres acteurs humanitaires, cette dernière semble assommée par ce massacre supplémentaire. « Aucun lieu et aucune personne n’est à l’abri. Chaque jour qui passe, de nouveaux civils meurent et des familles sont forcées de vivre dans des conditions de plus en plus innommables. La bande de Gaza est devenue un enfer sur terre. Le seul espoir qui subsiste est un #CeasefireNow », a posté l’agence. 

https://datawrapper.dwcdn.net/vaGJS/1/ © Infographie Mediapart

L’offensive terrestre israélienne contre Rafah, la fermeture du point de passage éponyme avec l’Égypte et, plus généralement, les entraves mises par l’État hébreu à l’entrée de matériel médical rendent les opérations de sauvetage et de soins encore plus difficiles : « Depuis plusieurs semaines, nous ne réussissons plus à acheminer des médicaments vers la bande de Gaza, reprend Caroline Seguin. Nous commençons aussi à manquer de carburant. Et nous avons demandé les autorisations aux autorités israéliennes de faire entrer deux hôpitaux de campagne. Cela fait plus de cinq semaines, et nous n’avons toujours pas de réponse. »

Mohamed Al-Mughayyir, chef de la défense civile à Rafah, témoigne lui aussi auprès de l’AFP de la difficulté d’organiser les secours : « Il y a une pénurie de carburant… Certaines routes ont été détruites, ce qui entrave la circulation des véhicules de la défense civile dans ces zones ciblées. »

En milieu de journée, lundi 27 mai, le ministère de la santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas, indiquait que 45 personnes avaient été tuées par les bombes israéliennes, dont 23 femmes, enfants et personnes âgées, et 249 blessées.

Après avoir indiqué lundi matin « lancer une enquête », le gouvernement israélien, par l’intermédiaire de son porte-parole Avi Hyman, a reconnu que les 45 personnes mortes recensées en milieu d’après-midi « pouvaient avoir été tuées par un incendie causé par des raids aériens israéliens » et le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a qualifié les frappes d’« erreur tragique ».

Plus tôt dans la journée de lundi, l’armée israélienne avait indiqué avoir ciblé deux responsables du Hamas pour la Cisjordanie, Yassin Rabia et Khaled Nagar, et avoir pris « de nombreuses mesures […] pour réduire les risques de dommages aux personnes non impliquées, y compris une inspection aérienne visuelle, l’utilisation d’armes de précision et l’utilisation d’informations de renseignement supplémentaires – sur la base desquelles il a été estimé que des dommages aux civils non impliqués n’étaient pas attendus ».

Les justifications israéliennes ne convainquent pas. Condamnations et critiques ont afflué du monde entier, à l’exception notable, à l’heure où ces lignes sont écrites, de l’administration américaine qui, jusque-là, se gardait de fustiger l’offensive sur Rafah, acceptant la version israélienne d’une attaque « limitée ».

Une administration américaine sévèrement critiquée par l’Autorité palestinienne qui, selon le porte-parole de Mahmoud Abbas, le président palestinien, tient son homologue américaine pour « responsable » des « crimes israéliens » et a exigé de Washington qu’il « oblige Israël à mettre fin à la folie et au génocide en cours à Gaza ». Le porte-parole a qualifié les frappes de « massacre haineux » et souligné la « nécessité urgente d’une intervention pour arrêter immédiatement les crimes contre les Palestiniens ».

Un obstacle supplémentaire pour les négociations

Alors que les trois pays européens, Irlande, Espagne et Norvège, qui s’apprêtent à reconnaître l’État de Palestine mardi 28 mai, tenaient une conférence de presse à Bruxelles lundi matin, le ministre norvégien des affaires étrangères, Espen Barth Eide, a déclaré : « Nous disons depuis des mois que nous craignons que le style de guerre israélien à Gaza ne soit contraire au droit humanitaire international. Maintenant, nous le savons. Nous avons reçu une injonction de la Cour internationale de justice ordonnant à Israël de cesser son attaque à Rafah. Il s’agit d’un ordre obligatoire. Elle est contraignante, ce qui signifie que la poursuite […] à Rafah constitue une violation matérielle de la décision de la plus haute juridiction du monde. » 

Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, s’est dit « horrifié », avant de rappeler lui aussi le caractère contraignant de la décision de la Cour internationale de justice, qui a exigé vendredi 24 mai que l’État hébreu cesse son offensive sur Rafah. Même l’Allemagne, pourtant soutien d’Israël contre vents et marées, y est allée de sa condamnation. « La loi humanitaire internationale s’applique à tous, y compris à Israël dans sa conduite de la guerre », a déclaré Annalena Baerbock, sa ministre des affaires étrangères.

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Quant au Qatar, État impliqué avec l’Égypte et les États-Unis dans la négociation pour la libération des otages israéliens et un cessez-le-feu, il a souligné que cette nouvelle attaque israélienne risquait d’« entraver » les discussions. Quelques heures plus tard, le Hamas déclarait qu’il ne participerait pas aux négociations, prévues pour reprendre ce mardi au Caire.

L’ambiance est plus que jamais électrique. Des tirs au point de passage de Rafah ont opposé soldats israéliens et soldats égyptiens. Les deux capitales refusent d’en dire plus pour le moment, dans une évidente volonté de faire baisser la tension. Tout juste le Caire a-t-il annoncé la mort d’un garde-frontière.

À Tel Al-Sultan, au milieu des tentes brûlées et des morceaux de métal tordus, des restes de vie jonchent le sable. Des milliers de familles vont, une nouvelle fois, être jetées sur les routes. Pour la sixième, septième, huitième fois depuis le début de la guerre. Elles vont devoir s’installer au milieu des ruines, dans des lieux sans eau, sans latrines, sans hôpitaux. Encore plus conscientes qu’avant qu’elles sont des cibles, en tout lieu et à tout moment.

Gwenaelle Lenoir

Milou Grenier, jeune homme qui vit dans l’entre-deux-mers en Gironde a passé en février dernier trois semaines à Gaza pour Médecins Sans Frontière. Témoignage  qui sera diffusé dans le cadre d’un dossier dans le n°89 d’Ancrage à sortir en juillet.  

Emilian (Milou) Grenier Ph JF meekel

  Je me suis formé en logistique humanitaire à Bioforce, une école privée dans la banlieue de Lyon à Vénissieux en 2013. Je suis parti directement sur le terrain avec Médecins Sans Frontières en tant que logisticien chargé de toutes les fonctions support sur les missions pour accompagner les médecins et les aider à fonctionner : gestion électrique, l’eau potable, achats…   J’ai fait ça pendant 5 ans, mission d’urgence en Haïti, mission Ébola en 2014. Ensuite, je me suis encore spécialisé à Bordeaux, un master en sciences politiques, gestion des risques dans le pays du Sud. Après cette formation, je suis parti pour Handicap International, Action contre la faim et d’autres ONG, sur des postes sécurité, analyse de risque, rencontre avec les autorités locales ou les groupes armés quand il est possible de rentrer en contact avec eux. Mais aussi ouvrir l’accès humanitaire, négocier pour l’ONG, former des équipes sur le terrain. Ou comment réagir face à un kidnapping, à un bombardement, réduire les risques.    

 Qu’est-ce qui t’a poussé à travailler dans l’humanitaire ? Ce n’est pas banal !

  Oui ce n’est pas banal. L’envie d’aider mais aussi j’avais besoin de mettre du sens dans ce que faisais.   J’avais commencé médecine à Bordeaux sans beaucoup de résultats mais je voulais faire médecin humanitaire et après médecine je suis parti voyager sur un coup de tête et je me suis dit c’est ce que je veux faire : voyager, rencontrer d’autres cultures, d’autres gens, me confronter à l’autre, c’est ça qui a inspiré mes envies.

               La gestion de l’eau potable et celle des corps

Quelles sont les missions les plus compliquées, qui te restent en mémoire ?

 Ma meilleure amie parle d’aidiction. On repart parce qu’on aime aider et parce qu’on a des vies là-bas qui sont à 100 000 volts. On voit des choses, on est au cœur de l’action. Ebola fait partie des missions les plus difficiles. Je suis parti deux fois à 25 ans et   pendant 6 semaines à chaque fois…  On était   water and sanitation, il s’agissait de gérer l’accès à l’eau potable mais aussi la gestion des corps. Le body management, on gérait les camps d’Ebola avec MSF. Quand les gens décédaient, notre mission c’était d’aller informer les familles, c’était la mission parmi les plus dures sur le plan psychologique. En me spécialisant dans la sécurité, je me suis trouvé sur des théâtres très violents. Au Yémen où j’étais chargé de la gestion du bateau entre Djibouti et Yémen. On convoyait des médecins japonais de MSF en particulier et des médicaments. Toutes les semaines, on traversait la mer. Au bout de deux semaines, le bateau a été bombardé en arrivant sur le port d’Aden pour des problèmes d’accès sanitaires et de négociations. En 2018 encore en Syrie dans le Rojava, le Kurdistan syrien, là aussi très près des lignes de front de Daech, 2 mois après la libération de Raqqa en décembre. Il y a des images qui restent, ça fait partie du métier mais on est beaucoup aidé pour en parler. Même le fait d’en parler avec toi, c’est aussi pour ça qu’on témoigne, c’est important.

Et quelles furent les circonstances de ta mission à Gaza ?

  Ça faisait 8 ans que je n’étais pas parti avec MSF et en passant à Paris par hasard, j’ai rencontré une amie responsable du recrutement des logisticiens d’urgence. J’ai toujours été intéressé par la Palestine mais je n’avais jamais pu y aller. Elle m’a dit mais si tu veux aller à Gaza, sur les questions de sécurité, il y a pas mal de besoin.  C’est comme ça que je suis parti officiellement en tant que logisticien sur l’aspect sécurité et communication avec l’armée israélienne. C’était un cauchemar là-bas, je suis parti sur ce travail pendant 3 semaines en février dernier. MSF est une   grosse organisation très bien huilée et ça s’est décidé en moins de 5 jours une fois que j’ai dit oui. Ils nous ont préparé psychologiquement, des expatriés ont même dû faire leur testament car on leur disait que c’était la mission la plus difficile, du jamais vu : le type de blessures, l’état des blessures qu’on allait voir… Là je me suis vraiment dit que ça allait être très difficile psychologiquement. En arrivant en Égypte, au Caire, où se trouvaient toutes les équipes internationales, ils nous ont préparé en deux jours, donné un sac de voyage déjà tout rempli comme si on partait en camping et comme si on n’avait rien avoir sur place. Deux jours de briefing, notamment comment faire pour la traversée par le mont Sinaï une zone très militarisée qui n’a pas vu un expatrié depuis 20 ans. Exceptionnellement MSF et les Nations Unies avaient l’autorisation de passer par le mont Sinaï pour rentrer dans la ville de Rafah qui est coupée en deux, Egypte et Palestine. Quinze heures de route et on arrive dans le chaos de Gaza.

                     Entre espoir et désespoir

Et ce chaos ça ressemble à quoi et comment on y réagit ?

J’ai vu des zones de guerre et des endroits difficiles mais quand on arrive, ce qui m’a plus le plus choqué, moi qui viens de Lugasson un village de 180 habitants, c’est le monde à Rafah, un million et demi de personnes concentré sur un territoire de la taille du canton de Lugasson.  Moi qui aime bien les espaces, là il y avait des gens partout, tout le temps ! Sur la route, une marée humaine entassée contre ce mur. Je ne savais pas qu’il y avait un mur coté égyptien, ce grand mur avec des miradors. Tous ces gens entassés dans des tentes, sous des toiles plastiques, en attente. Beaucoup d’enfants dans les rues qui vendent toutes les conserves, au bord des routes plein de petits stands de l’aide humanitaire détournée, des choses qui leur ont été données et qu’ils vendent car ils sont dans un vrai dénuement, un total dénuement.

 En février, ils sont tous déjà à Rafah, Khan Younès est alors sous les bombes, aujourd’hui l’est de Rafah est aussi pilonné. Nous, MSF et Les Nations-Unis, étions basés à Al Mawasi un quartier au bord de la plage, un endroit qui est censé être safe, sécurisé, sachant que ce qu’on apprend rapidement à Gaza, c’est que rien n’est sécurisé réellement.  Mais c’était officiellement la zone sûre notamment parce que c’est la plage et qu’il ne peut y avoir de tunnel dans le sable, et peu de chance que Hamas soit dessous et peu de chance encore qu’Israël soit intéressé pour bombarder ou venir sur place. Ça c’était la ligne rouge de MSF :  les bombardements quotidiens, des drones tout le temps    qui volent 24 sur 24. On entend des moteurs d’avions tout le temps    ça tape dur le soir. Le long de la mer, les bateaux de guerre israéliens qui torpillent, les hélicos qui torpillent, les avions de chasse qui torpillent, tout qui torpille. Mais quand ils font ça à distance ils sont assez précis et on l’a vu, s’ils veulent détruire un étage d’un immeuble, il détruise l’étage de l’immeuble.  Le problème c’est les soldats au sol même pour nous qui étions en contact quotidiennement avec eux. Tous les matins, mon travail c’était d’annoncer tous les mouvements de nos 6 véhicules pour aller de la plage à l’hôpital. Il y avait 3 km on mettait une heure et demi deux heures en roulant pas à pas au milieu des gens, on annonçait aux israéliens où on allait pour être sûr qu’on ne nous tire pas dessus même si chaque retour de mail des israéliens précisait que cela ne garantissait en rien notre sécurité. Et en effet, on a vu que beaucoup d’humanitaires ont été tués comme les gens de World Central Kitchen qui se sont fait bombarder. Quand j’y étais, ils ont tué des staffs nationaux de MSF.   C’est la ligne rouge de MSF : si arrivent des troupes au sol ou des tanks, on est évacué parce qu’alors c’est le chaos. En février la question c’était : est-ce que Rafah va être bombardé ? Est-ce qu’on va faire une trêve ? Tous les jours, c’était cette question entre espoir et désespoir. Dès le premier jour, on m’avait dit d’ailleurs, peut-être que tu repars demain.  C’est un contexte qui change tellement rapidement. En Syrie, pendant 1 an on savait où étaient les endroits sûrs. Là c’est tellement concentré dans un espace si petit qu’il est très difficile d’être en sécurité

Mais comment garder la tête sur les épaules dans ces conditions-là ?

C’est simple : on est avec les Palestiniens. J’ai rencontré un peuple dont j’avais entendu parler.  J’ai rencontré d’autres peuples résilients comme les Congolais du Kivu, les Kurdes mais les Palestiniens, c’est le niveau au-dessus. Ils ont une détermination sans faille, ils gardent le calme, c’est ça qui est le plus dur. Nous sommes impuissants à Gaza, un pansement sur une jambe de bois. Pourtant nos collègues palestiniens de MSF, ça fait 20 ans qu’ils sont sur la bande de Gaza, tout le monde connaît docteurs sans frontières, tous nous remercient de venir. Mais pour moi, c’est presque indécent. J’ai   l’impression de faire du tourisme alors qu’ils sont bloqués là à vie et pourtant ils disent merci pour ce que tu fais, merci de venir nous aider, ça compte beaucoup, moi je ne sais pas si je l’aurais fait à ta place… Ces collègues qui gardent toujours le sourire alors qu’on arrive tous les matins avec des morts autour de nous, des histoires difficiles à entendre mais encore une fois on voit que ce qu’on fait c’est important. Mais dans ce cas, l’hôpital de MSF n’était pas en première ligne, nous ne prenions pas les blessés en direct, c’était un hôpital de référencement de 60 lits où les blessés arrivaient d’un autre hôpital où ils avaient déjà été pris en charge et en soin.  Il s’agissait quand même d’amputations, de très nombreux enfants, beaucoup de brûlures mais ils avaient déjà été soignés donc c’était moins violent sur le plan émotionnel, c’était moins difficile à vivre.

               Sur le terrain on n’est ni gazaoui ni israélien

Et comment tu gères cela au retour ?

C’est une longue expérience. Comme je te disais, j’ai commencé à 25 ans. A 20 ans, je suis parti chez les Pygmées, deux mois dans la forêt alors que je vivais très bien ici. Alors quand tu reviens, tu as un petit décalage, j’ai vite appris à   jongler avec deux vies   quand je reviens dans ce que j’appelle mon lieu refuge, une ferme collective et diversifiée avec des amis, un petit hameau de paix. Ça demande une petite phase de transition mais Gaza, c’est quand même quelque chose qui prend aux tripes, c’est l’impuissance, c’est dur et plein d’amis ici me demandent mais qu’est-ce qu’on peut faire ?  Mais quand on est là-bas on sait bien que c’est que politique malheureusement.

Maintenant tu peux repartir du jour au lendemain

 Oui   MSF propose souvent de repartir, ils ont du mal à recruter car ils envoient des gens expérimentés dans ce contexte difficile. Je vais peut-être repartir à Jérusalem cette fois pour faire la coordination avec les autorités militaires et les gens du terrain. Il y a de fortes chances en effet que je reparte.  

Le fait que ta compagne et tes amis ici soient aussi humanitaires, que vous partagiez cet engagement cela doit aussi aider ? 

Oui, c’est sûr, ça aide d’avoir autour de soi des gens qui s’y intéressent. J’ai aussi dans mon entourage des personnes qui ne veulent pas savoir ce que je fais parce que ça leur fait mal ou peur. Mais en effet j’ai des   amis avec lesquels je peux parler de ce qu’on a vécu, ça suffit pour faire une thérapie. Des gens qui sont engagés dans les mêmes cercles d’intérêts, avec des engagements politiques même si l’humanitaire est à priori apolitique. On est impartial, neutre, c’est une chose sur laquelle j’insiste beaucoup pour la sécurité de mes équipes.  Sur le terrain, on n’est ni gazaouis ni israéliens.  

                           JFM

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