Barrage illégal, menaces envers une élue… Dans le Lot-et-Garonne, le syndicat de la Coordination rurale impose sa volonté. À sa tête, Serge Bousquet-Cassagne joue sur le désarroi des agriculteurs pour développer un sentiment identitaire paysan.

« Ma poule tu t’es encore échappée. Je vais t’attraper et te plumer… », tel est le contenu du texto reçu par Marine Tondelier le 29 mars 2023. Son auteur était Serge Bousquet-Cassagne, président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, qui la traquait depuis deux jours. La secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) était dans ce département pour participer à différents événements. Serge Bousquet-Cassagne, leader du syndicat agricole Coordination rurale 47 (CR 47), lui avait interdit l’accès au Lot-et-Garonne en représailles à sa participation à la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Partisan inconditionnel de toutes les retenues d’eau, le président de la chambre d’agriculture s’est impliqué personnellement dans la réalisation d’un immense lac collinaire illégal dans le département, le lac de Caussade, et a apporté son soutien à la réalisation du lac controversé de Sivens dans le Tarn en 2014 en envoyant des membres de la CR 47 s’opposer aux zadistes.

Serge Bousquet-Cassagne déteste les écologistes et ne s’en cache pas. Juste avant l’arrivée de Marine Tondelier dans le Lot-et-Garonne, il l’avait menacée dans la presse : « Vous incarnez la racine du mal dont souffrent les agriculteurs. Ne venez pas chez nous, ça va mal se passer ! »

Malgré les conseils dissuasifs de la préfecture et d’élus du département, la responsable d’EELV est venue et a réussi à échapper aux pièges tendus par la CR 47. Des dizaines d’agriculteurs ainsi que des chasseurs l’attendaient devant la gare de Marmande, où elle devait arriver. Ne la trouvant pas, ils ont déversé sur place du lisier. Ils ne l’ont pas trouvée non plus devant le Pôle de Santé de Villeneuve-sur-Lot où elle devait participer à un rassemblement en soutien à la maternité menacée de fermeture. Elle était à Marmande à la manifestation contre la réforme des retraites. Furieux, ils ont à nouveau déversé du lisier empêchant les syndicats de soignants de manifester vers le centre-ville.

« Je me suis rendu compte de ce que cet homme fait vivre aux militants du Lot-et-Garonne, dit Marine Tondelier. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien d’habitants du département qui me félicitaient de lui avoir tenu tête. » Fin avril, elle a porté plainte contre le président de la chambre d’agriculture pour entrave à la circulation accompagnée de menaces et de voies de fait. Celui-ci lui a de nouveau envoyé un texto : « Ma poule, il faut qu’on se rappelle ! »

« Bousquet-Castagne »

Serge Bousquet-Cassagne est pépiniériste, producteur de pruneaux et de maïs sur une centaine d’hectares à proximité de Fumel. Il a été joueur de rugby, connu pour sa violence verbale mais aussi physique qui lui a valu son surnom de « Bousquet-Castagne ».

L’homme est sans nuance. Au début des années 2000, suite au décès d’un militant de la CR 47 dont la voiture avait percuté un platane, il a réuni des membres du syndicat pour abattre à coups de tronçonneuses les arbres qui bordaient la départementale. En 2001, quand la CR 47 a détrôné la FDSEA [1] de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, il était aux côtés du nouveau président de la chambre, Michel de Lapeyrière, dont il a été le vice-président très influent jusqu’en 2013, date à laquelle il a été élu à son tour président. Aux élections de la chambre de 2019, il a renouvelé son mandat et la CR 47 a confirmé sa domination sur le paysage syndical local en obtenant près de 60 % des voix des exploitants agricoles. Âgé de 64 ans, Serge Bousquet-Cassagne n’envisage pas de se représenter lors des prochaines élections.

Avant d’être un syndicat, la Coordination rurale (CR) a été un mouvement paysan né en 1991 lors de la contestation de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui remettait en cause la défense des préférences communautaires. « L’agriculture a été livrée au marché, explique Christian Crouzet, ancien porte-parole de la Confédération paysanne locale, producteur de semences bio à la retraite, toujours membre du syndicat. Face à la passivité de la FNSEA [2], le syndicat dominant, une coordination s’est créée dans le Sud-Ouest avec des militants de la Confédération paysanne, du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), proche des communistes, des dissidents de la FNSEA et des paysans non syndiqués. C’était un mouvement construit sur la contestation du modèle dominant et qui a pris de l’importance. »

En juin 1992, la CR a organisé le blocus de Paris et intercepté des poids lourds en provenance d’Espagne, chargés de fruits et légumes qui faisaient concurrence aux producteurs locaux. « Mais l’opposition entre l’aile gauche du mouvement et son aile droite a intensifié les querelles de pouvoir et en 1995 une partie de la CR s’est transformée en un nouveau syndicat, accentuant la division des paysans, explique Christian Crouzet. C’est la partie droitière du mouvement qui en a pris la tête. »

Première branche locale du syndicat à se créer, la CR 47 se distingue très vite de la CR nationale par sa radicalité et ses actions violentes. « Avec soixante-dix types de productions agricoles, notre département a un potentiel économique très fort, mais nous avons un revenu moyen agricole parmi les plus faibles de France », ajoute Christian Crouzet.

Et d’ajouter : « Les agriculteurs sont très éprouvés et sont souvent surendettés. On peut comprendre qu’il y ait une désespérance et un sentiment d’abandon. Les dirigeants de la CR 47 ont un discours simplificateur et identitaire. Son leader Serge Bousquet-Cassagne aime se comparer à un chef de meute et répéter que les paysans sont seuls contre tous. Cela plaît. Nous, nous demandons aussi que les paysans décident de leur avenir, mais avec un programme syndical et un projet agricole cohérent, ce que ne fait pas la CR 47. »

L’extrême droite jamais loin

Le nouveau syndicat adopte très vite des pratiques proches de celles du mouvement corporatiste créé dans les années 1950 par Pierre Poujade dans le département voisin du Lot, implanté parmi les commerçants et les artisans et dont Jean-Marie Le Pen fut un temps député. Leur programme était simple : guerre à l’administration, liberté d’entreprendre sans contrainte ni contrôle et actions musclées.

Adoptant les mêmes pratiques, la CR 47 occupait en 2001 la préfecture d’Agen pour réclamer la venue d’ouvriers agricoles polonais et marocains avec des contrats précaires les rendant corvéables à merci. Les militants de la CR 47 refusaient d’embaucher les travailleurs français, qualifiés de « bras cassés » et leur leader Serge Bousquet-Cassagne demandait « des gens qui ont faim et qui ont envie de travailler ».

Malgré les sympathies de bon nombre de membres de la CR 47 pour le Front national, le syndicat n’avait pas peur d’encourager la venue d’ouvriers marocains, main-d’œuvre ne connaissant pas ses droits et facilement exploitable.

En 2004, la CR 47 apportait son soutien à un agriculteur de Dordogne qui avait abattu deux inspecteurs du travail enquêtant sur les conditions de travail de ses saisonniers migrants. Le syndicat avait placardé des affiches sur les bords de route : « Non à l’inquisition ! »

Les thèses de l’extrême droite ne sont jamais loin. En 2013, Étienne Bousquet-Cassagne, le fils du leader de la CR 47, était candidat du Front national aux élections municipales partielles de Villeneuve-sur-Lot et obtenait 46 % des voix. Dans un article du Monde diplomatique, Serge Bousquet-Cassagne se déclarait foncièrement de droite, mais niait avoir une sympathie pour le FN. Il expliquait le vote frontiste en pointant une affiche de la CR 47 placardée dans son bureau : « Foutez-nous la paix, laissez-nous travailler ! »

« Un rôle de chef de milice »

Serge Bousquet-Cassagne et la CR 47 se sont toujours opposés à toute contrainte liée à la défense de l’environnement. En 2014, plusieurs centaines d’agriculteurs du syndicat occupaient durant toute une journée la ville d’Agen pour s’opposer à l’extension des zones vulnérables dans le cadre du programme de préservation de la qualité des eaux. Les manifestants incendiaient plusieurs bâtiments officiels, causant plus de 230 000 euros de dégâts. Craignant d’entrer en conflit avec la CR 47, le maire d’Agen ne porta pas plainte.

Christian Crouzet, alors élu de la Confédération paysanne à la chambre d’agriculture, avait condamné cette occupation. Tout en contestant la décision du gouvernement, prise sans mesure d’accompagnement, la Confédération paysanne dénonçait l’attitude de Serge Bousquet-Cassagne qui avait usé et abusé de son autorité de président de la chambre d’agriculture pour organiser la manifestation.

« Il a abandonné sa mission de responsable agricole pour prendre le rôle de chef de milice », précisait le communiqué signé par Christian Crouzet. « Il est sans cesse dans le rapport de force, il se considère dans une citadelle assiégée, ajoute aujourd’hui le syndicaliste. Les dirigeants de la CR 47 se veulent des entrepreneurs agricoles. Ils acceptent la manne publique, et en même temps disent “Foutez-nous la paix !”. Il n’est pas question de développer un objectif commun, de structurer une politique agricole. Ils défendent juste un libéralisme absolu. »

« Il répétait sans cesse que ses ennemis c’était l’administration et les écolos »

Bernard Péré, fondateur de la Confédération paysanne dans le Lot-et-Garonne, a créé à proximité d’Agen BioGalline, un groupement de producteurs d’œufs bio. Il est aujourd’hui à la retraite. Conseiller régional de 2010 à 2015 en tant qu’élu d’EELV, il a siégé aux côtés de Serge Bousquet-Cassagne, au comité technique de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) qui attribue les terres aux agriculteurs. « Ça ne se passait pas toujours bien entre nous. Il répétait sans cesse que ses ennemis c’était l’administration et les écolos. »

Bernard Péré l’a aussi côtoyé durant une manifestation destinée à protéger des cèdres centenaires menacés par la construction des bâtiments d’un lycée agricole géré par la CR 47. Des membres du syndicat n’ont pas hésité à bousculer les gendarmes présents et à abattre les arbres avec leurs tronçonneuses. « Son comportement déterminé et parfois violent plaît à certains paysans. À partir du moment où un paysan est menacé par l’administration, par des écologistes ou par n’importe qui d’autre, Serge Bousquet-Cassagne sera disponible et le défendra. Même si la CR 47 est dirigée par de gros exploitants, il sera aux côtés des petits agriculteurs. Mais c’est souvent démagogique. »

En tant que président de Terre de liens Nouvelle-Aquitaine, Bernard Péré se confronte toujours aux positions intransigeantes du leader de la CR 47 au sein de la Safer. En mai dernier, Serge Bousquet-Cassagne a réussi à empêcher l’attribution d’une ferme de 35 hectares à un couple soutenu par Terre de liens avec un projet d’élevage et d’arboriculture. C’est un agriculteur dont la famille exploite déjà 290 hectares qui l’a obtenue. « Bousquet-Cassagne a décidé de s’opposer systématiquement à Terre de liens quand plusieurs candidats sont en concurrence et il privilégie les locaux par rapport aux nouveaux arrivants, regrette Bernard Péré. De plus, il nous considère comme des collectivistes, car nous achetons les terres pour les louer aux paysans que nous installons alors que lui ne veut que des propriétaires. »

Pourquoi Serge Bousquet-Cassagne est-il opposé à Terre de liens, qui défend aussi la résilience du monde paysan ? Interrogé par Reporterre, celui-ci répond : « Chez Terre de liens, le paysan qui s’installe doit être en bio et locataire. Ça ne me va pas du tout. S’il veut faire du glyphosate, c’est son droit. Et il n’est pas interdit d’être propriétaire dans ce pays, les kolkhozes c’est fini ! »

Intérêts communs

Au niveau national, la CR 47 a fait parler d’elle avec le lac de Caussade. Le projet de retenue d’eau collinaire de 900 000 m3 porté par la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne avait d’abord été validé par la préfecture en 2018 puis retoqué en septembre sur pression des ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique. Serge Bousquet-Cassagne et la CR 47 ont quand même décidé de le réaliser avant les élections de la chambre d’agriculture de 2019.

« La majorité des élus du département, tous les syndicats agricoles, y compris la Confédération paysanne, soutenaient le projet, se souvient Denis Barrault, ancien directeur de la chambre d’agriculture du département. Serge Bousquet-Cassagne aurait pu revoir sa copie et le projet aurait été sans doute de nouveau accepté, mais le passage en force a fait la promotion de la CR 47. L’État a été inconséquent dans cette affaire et a été incapable de s’opposer à lui. » Depuis, Serge Bousquet Cassagne et l’ex-président de la CR 47 ont été condamnés à de la prison avec sursis et la chambre a une amende. Le lac, lui, est désormais là. « Mais si demain il devait être remis en cause, cela déclencherait une jacquerie. »

Pour Denis Barrault, Serge Bousquet-Cassagne pense être guidé par un supposé bon sens paysan et prétend faire la loi en son nom. « Il a une fascination pour la tradition. Il a ainsi fait bénir par un prêtre le lac de Caussade et lors de l’inauguration d’une exposition sur les paysans morts durant la guerre de 14-18 il a fait entonner un Notre-Père devant les autorités du département ébahies. »

« Si son adversaire lui fait un coup non prévu, rien ne va plus »

« Serge Bousquet-Cassagne est un joueur d’échecs et il n’avance jamais une pièce sans savoir quel coup va être le suivant, confie François Seurat, journaliste dans le Lot-et-Garonne depuis vingt ans. Si son adversaire lui fait un coup non prévu, rien ne va plus. » En tant que vice-président de la Safer, le leader de la CR 47 a un pouvoir direct sur les ventes et les achats de foncier. S’en sert-il pour défendre les petites exploitations familiales ? « En vingt ans, depuis l’arrivée de la CR 47 à la tête de la chambre d’agriculture, le nombre d’exploitations du Lot-et-Garonne est passé de 12 000 à 5 000 alors que la surface agricole utile est toujours la même. Les exploitations restantes sont de plus en plus grandes. C’est le plus gros qui gagne, dans la pure logique de l’agriculture productiviste que défend Serge Bousquet-Cassagne », commente le journaliste.

Leur leader et les dirigeants de la CR 47 entretiennent sans cesse un double langage pour préserver leurs intérêts. Ainsi, l’une des affiches placardées un temps par le syndicat était destinée à conforter sa base dans le rejet de la mondialisation : « Poulet brésilien, bœuf américain, lait d’outre-Rhin, tout fout le camp ! » Pourtant, plusieurs dirigeants et membres de la CR 47 sont de gros exploitants agricoles et profitent eux-mêmes de cette mondialisation, car ils exportent leur production en Europe et au-delà et importent une main-d’œuvre indispensable pour garantir la rentabilité de leur modèle économique../…….

Extraits de l’article de Philippe BAQUE dans la revue “Reporterres”

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