Par Clémentine Goldszal

Publié aujourd’hui à 01h45, mis à jour à 12h13

Portrait Révélé adolescent par son talent comique dans « Le Grand Journal », le comédien de 25 ans explore son « africanité » dans « Twist à Bamako », de Robert Guédiguian, en salle le 5 janvier. Et se désespère des stéréotypes toujours attachés à sa couleur de peau.

Stephane Bak le 28 novembre 2021 à Paris

On cherche dans la très haute et athlétique silhouette de Stéphane Bak quelque chose de l’adolescent gringalet qui, voilà dix ans, tenait une chronique sur le plateau du « Grand Journal » et faisait se gondoler Michel Denisot avec ses vannes maladroites. Cela avait duré le temps d’un Festival de Cannes et de deux saisons de l’émission sur Canal+. Puis, dans l’œil de celui que l’on appelait alors « le plus jeune humoriste de France », la maturité est arrivée. Stéphane Bak est devenu acteur.

Sa gouaille, son charisme d’entertainer ont séduit des réalisateurs comme Marie-Castille Mention-Schaar (qui lui confia son premier « vrai » rôle en 2014, dans Les Héritiers), Paul Verhoeven (Elle) ou Wes Anderson (The French Dispatch). En 2019, il enchaîne deux rôles de premier plan. Dans Roads, de l’Allemand Sebastian Schipper, Stéphane Bak est un jeune Congolais en route pour la France, qui s’embarque dans un improbable périple avec un Anglais en rupture familiale. Dans L’Adieu à la nuit, d’André Téchiné, il incarne un imam rigoriste qui organise le départ en Syrie d’un jeune Blanc en quête de sens.

Parler à des témoins directs

Deux ans plus tard, à 25 ans, le voilà à l’affiche de Twist à Bamako, le nouveau long-métrage de la figure du cinéma d’auteur engagé, Robert Guédiguian. Un film d’époque, tourné en Afrique, où Bak devient Samba, le fils privilégié d’un riche chef d’entreprise qui tente de propager l’idéologie socialiste au Mali, au lendemain de l’indépendance.

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Pour préparer le rôle et en apprendre plus sur le Sénégal (où le film fut tourné) et le Mali (où se déroule l’histoire), Stéphane Bak a voulu parler à des témoins directs. « Il y a une grosse communauté sénégalaise au Blanc-Mesnil [Seine-Saint-Denis], où j’ai grandi, explique-t-il. J’ai aussi demandé à des amis maliens de me raconter cette époque, et parlé avec des gens qui étaient à Bamako au début des années 1960 et avaient vécu cette période de fête révolutionnaire qui a suivi l’indépendance. »

Il le dit avec pudeur, mais avec ce film, c’est aussi de l’histoire de sa propre famille qu’il entend se rapprocher et ainsi explorer son « africanité » : « Twist à Bamako, c’est aussi l’occasion de faire un film qui parle à mes parents, à ma généalogie », explique-t-ilévoquant son père, qui les « bassinait avec la politique française, et allait au siège du PS rue de Solferino pour les élections ».

Détermination et force de vie

Stéphane Bak fait partie des jeunes premiers sur lesquels le métier garde un œil. Mais sa couleur de peau n’est pas sans conséquence. Dès le début de sa carrière de cinéma, il rêve de rôles qui ­l’emmènent « loin de [lui]-même et de là où on [l]’attend », mais au début, ce sont les propositions de comédies qui affluent. « Sur le papier, je n’ai rien, précise-t-il, mais les rôles qu’on me propose y sont parfois discriminants et peu inventifs. » Il se souvient du scénario d’un film qui a fini par faire « plus de 4 millions d’entrées » et « le gag, c’était que je souris dans le noir et qu’on peut me reconnaître grâce à mes dents… » Il précise : « Ce n’était pas en 1980, mais en 2016 ! »

« Jouer un rôle stéréotypé, ça a aussi des répercussions, ça perpétue le cliché et ça retombe ensuite sur des jeunes lors d’un entretien d’embauche… » Stéphane Bak

Si son personnage de Samba dans Twist à Bamako, hâbleur et idéaliste, lui ressemble par son charisme, Stéphane Bak affirme être « bien plus pessimiste ». Il palpite pourtant d’une détermination et d’une force de vie auxquelles le rêve n’est pas étranger. « C’est vrai que je n’accepte pas le mot “non”, dit-il, mais j’ai beau mener le combat, il y a toujours une petite voix dans ma tête – que je m’attelle à tuer chaque jour – qui me dit c’est peut-être peine perdue. »

Les acteurs « issus de la diversité » sont, dit-il, des « arbres qui cachent la forêt », dans une industrie – et une société – sclérosée par les stéréotypes. Aujourd’hui même, il a encore reçu un scénario où on lui propose de jouer un serrurier cambrioleur. La veille, la gardienne de son immeuble du 6arrondissement de Paris lui a assuré qu’il s’était fait suivre par trois policiers en civil alors qu’il passait la porte cochère. Ils avaient vu entrer dans la cour un jeune homme « habillé comme la racaille »… Le Goût de M

S’il tente de construire une carrière qui lui ressemble, Stéphane Bak a aussi une conscience brûlante du poids de ses choix. « L’image peut tuer le rêve politique et l’engagement, dit-il. Jouer un rôle stéréotypé, ça a aussi des répercussions, ça perpétue le cliché et ça retombe ensuite sur des jeunes lors d’un entretien d’embauche… Ce sont des petites choses qui comptent. »

« Un prophète » : « Ça a été la révolution »

Bak est déterminé, intense, photogénique. Il est aussi « prêt », comme il dit. Prêt à apprendre, à travailler, à découvrir. On l’a vu au premier rang des défilés homme de Louis Vuitton par Virgil Abloh, et en janvier dans une campagne de la maison Loewe. Son cercle intime est pourtant constitué d’amis d’enfance (l’un vient d’ouvrir un restaurant, l’autre est un boulanger en pleine ascension), et de quelques « collègues » avec qui parler boutique. Son tempérament de bon camarade, devenu un atout dans une carrière d’acteur construite sur le collectif, lui a pourtant valu quelques problèmes dans le passé.

Elève « extrêmement turbulent », de son propre aveu, il est renvoyé de son collège en début de troisième après une scolarité difficile. « J’étais ingérable, mais les profs avaient de la sympathie pour moi », résume-t-il. La professeure de français qui demandera son exclusion est la même qui, quelques années plus tôt, lui avait ouvert un peu par hasard le chemin vers sa vocation.

« Je passais ma vie à faire rire les gens. De 8 heures à 18 heures, c’était le Stéphane show. » Stéphane Bak

« Un jour, alors que je devais avoir 12 ans, elle nous a ordonné à tous d’aller au cinéma le soir même, après s’être désolée pendant tout le cours de notre inculture », raconte Bak. Il opte avec un copain pour le Louis Daquin, la petite salle de son quartier du Blanc-Mesnil. Presque au pif, parce que l’affiche leur plaît peut-être, ils voient ce soir-là Un prophète, de Jacques Audiard. « Ça a été la révolution », souligne-t-il.

Bak a trouvé un cinéma qu’il aime, mais est encore à des années-lumière de pouvoir imaginer un jour devenir acteur. Quelque temps plus tard, dans un café en face du Comedy Club de Jamel Debbouze, où il sirote un coca après s’être fait recaler d’un spectacle « soi-disant gratuit de Jamel et Gad », il entend parler de la scène ouverte qui laisse s’ébrouer en public de jeunes comiques plusieurs soirs par semaine.

Stéphane Bak a 14 ans. Son talent comique, qui amuse ses copains de classe depuis la primaire, est sur le point de le propulser dans la cour des grands. « Je passais ma vie à faire rire les gens. De 8 heures à 18 heures, c’était le Stéphane show », sourit-il. En 2022, on le verra dans les films du très viril Cédric Jimenez et de la délicate Léonor Serraille. Le Stéphane show ne fait que commencer.

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