Enfin ! C’est fini. C’était long, c’était nul. Je ne ferai pas le bilan de ces derniers mois, ça a déjà été fait par ailleurs. J’en ai marre, et je veux passer à la suite. Personnellement, je ne vois presque aucune raison de me réjouir dans cet interminable crépuscule démocratique. Alors, comme on dirait dans le dernier film de Lech Kowalski : « On va tout péter ! »

Mačko Dràgàn

Mačko Dràgàn Journaliste punk-à-chat à Mouais et Télé Chez Moi Abonné·e de Mediapart

Rassurez-vous, en ce dernier dimanche d’élection –et de fête des pères, mais je ne la fête plus depuis mes trois ans, hélas-, je ne me suis pas laissé abattre. La trépidante vie politique niçoise m’ayant donné le choix, dans la 1ère circonscription des Alpes-Maritimes, entre Ciotti et un quelconque disciple d’Estrosi, ce qui revient à devoir choisir entre se brosser les dents avec du papier ponce ou se torcher le cul avec une râpe à fromage, je suis donc aller faire barrage à la bêtise en faisant la grève des urnes, et en allant baguenauder (comme j’aime ce mot) et bricoler avec les potes d’Emmaüs-Roya.

Et c’est donc après deux jours à faire du tracteur, ranger, trier, garder les gosses, marcher, jouer à la rivière et, bien sûr, picoler, que suis rentré chez moi pour, une fois passées mes retrouvailles avec le chat, voir un peu quelle final dantesque allait connaitre ce si long, trop long, dimanche électoral, qui n’en finit plus de n’en plus finir depuis un an.

Passons rapidement sur les bonnes nouvelles. L’union des gauches, avec son score bien-mais-pas-top, accouche non pas d’une souris, mais, disons, d’un marsupial de bonne dimension, mettons d’un quokka, afin que vous puissiez chercher ce mot sur internet et profiter de la bonne bouille de cet animal velu si adorable dont la vue adoucirait le cœur du plus bourru des chefs de clan Viking, mais je m’égare nom de dieu. On note l’arrivée de personnalités comme Mathilde Hignet, ouvrière agricole, et bien sûr Rachel Keke, première femme de ménage, qui plus est racisée, de notre histoire parlementaire à accéder à l’Assemblée, et ça va faire tout drôle à beaucoup de testicule-cravate de devoir donner du « madame la députée » à une personne Noire élevant seule cinq enfants et payée au smic pour rincer leurs draps souillés quand ils partent en week-end aux frais du contribuable.  

La Macronie tombe en grumeaux aussi peu ragoutants que le duvet de moustache du petit Darmanin (qui, damnation, reste en place). Certes Damien Abad a été élu par un électorat a priori pas très sensible aux questions féministes car en dépit des lourdes accusations qui pèsent sur lui (mais si le « dépeceur de Montauban », qui a purgé 24 ans de prison pour le meurtre d’un homme découpé en morceau, a obtenu 59, je dis bien 59, qui sont ces gens, voix dans la 2eme circonscription du Vaucluse, alors pourquoi notre délinquant sexuel supposé (1) n’aurait-il pas eu lui aussi sa chance). Mais Amélie de Montchalin, la petite bourgeoise prout-prout à serre-tête qui voit des anarchistes partout (même au PS, c’est dire sa paranoïa) a été vaincue, de même que Castaner l’éborgneur disco, Laetitia Avia la mangeuse de taxi, et bien d’autres encore, donc ne boudons pas notre plaisir.

Un plaisir sublimé par ce qu’il est convenu de désigner par le terme scientifique rigoureux de « monumentale branlée » infligée à Zemmour, qui repart comme il était venu, c’est-à-dire très loin de toute forme de dignité. « “Les classes populaires sont analphabètes” : Zemmour se lâche, son parti implose », a titré ainsi ce mardi l’Express, actant le suicide politique en plein vol au ras des pâquerettes de celui qui se rêvait déjà en nouveau Benito mais aura finalement la même carrière politique qu’Adolf s’il n’avait pas abandonné la peinture.  

Mais pour le reste… Si le parlement change de visage avec l’arrivée de quelques personnes jeunes, racisées, issues des classes populaires (quoique la bâtisse demeure « ni paritaire ni populaire », comme le rappelle très justement Mediapart), il prend aussi une sale gueule avec le débarquement de 89 futur absentéistes fachos incapables de pondre un amendement mais bien pratiques pour renflouer les caisses du parti. Et rappelons qu’avec 16,49% pour Macron et ses alliés-qui-veulent-prendre-sa-place-en-2027, 13,94% pour la NUPES, 7,39% pour le RN, quelques autres pour-cent ici et là, et pas de moins de 53,77% pour l’abstention, c’est cette dernière qui sort vainqueur des élections, même si en l’espèce personne n’est vraiment gagnant dans cette victoire. Et j’espère que cette débâcle sonnera la fin d’un certain abstentionnisme «militant» que je commence à trouver de plus en plus agaçant. Car regardons les choses en face : il y a un lien indubitable entre les mesures antisociales et l’abstention des classes populaires, et il serait temps de se réveiller un peu, car les vieilles ordures égoïstes droitisantes fans des mesures climaticides, elles, elles n’ont aucun problème à lever leurs petits culs pour aller voter. Ce qui (entre autres) nous mène là où on en est aujourd’hui.

C’est donc ainsi que ce long dimanche se termine. Macron va lorgner toujours plus encore vers la ligne dure de la droite de LR pour gouverner, le RN est au plus haut, et l’union des gauches se déchire déjà comme un mouchoir usagé. La canicule ravage le pays, avec des températures qui excèdent les prévisions les plus pessimistes du GIEC, je sue dès 9 heures du matin comme Pierre Ménès s’il devait jouer au foot plutôt que d’en parler entre deux baisers forcés, mais Estrosi ne trouve rien de mieux à faire que de proposer d’organiser un grand prix de F1 à Nice, histoire de faire cramer 110 kilos de carburant par voiture tournant en boucle pour la plus grande gloire des marques partenaires et des touristes venus en kérosène volant.

C’est la merde. L’essence est au prix du caviar, les billets de trains sont si coûteux que je devrai bientôt disposer du PIB d’un pays émergent pour aller voir ma copine à Paris, il faudra très prochainement faire un crédit pour s’acheter des coquillettes (sans beurre parce que c’est trop cher et sans jambon parce ça fout le cancer), je vais partir en vacances dans le Sud mais j’habite déjà dans le Sud, autre façon de dire que je n’ai pas de budget pour prendre des vacances, ma colère est immense, notre impuissance me semble parfois infinie, et je ne me rappelle plus depuis combien de temps je n’ai pas vu une mésange dans les jardins où je travaille. Un monde sans mésanges, pouvez-vous imaginer ça.

Tout ceci me rappelle cette séquence dans le film Joker, dans lequel le personnage incarné par Joaquin Phoenix, rendu fou notamment par les défaillances de santé publique (suivez mon regard) se confronte, sur un plateau de télévision, à Murray Franklin, présentateur star vaniteux joué par de Niro, et qui symbolise des classes supérieures vulgaires, carnassières et imbues d’elles-mêmes. Le Joker : « Qu’est-ce que vous diriez d’une dernière blague, Murray? » Franklin essaye de le couper, méprisant : « Je pense que nous avons entendu assez de vos blagues ». Le Joker commence cependant à raconter sa « blague » : « -Qu’est-ce qu’on obtient… -Arrêtez. -…Quand on croise… -On a fini avec vos blagues, arrêtez ça. – … un déséquilibré solitaire avec une société qui l’abandonne à son sort COMME UNE MERDE ?? –Appelez la police, Gene ! -Je vais vous dire ce qu’on obtient ! -Appelez la police ! -On obtient CE QU’ON PUTAIN DE MERITE ! » Il sort alors son pistolet et tire une balle en direct dans la tête du présentateur, qu’il tue sur le coup.

Le pacifiste que je suis ne souhaite évidemment pas une explosion violente, ni la mort de personne, encore moins par arme à feu, l’arme des lâches et des fascistes, ce qui revient au même. Mais effectivement, il ne peut pas y avoir aucune conséquence à la maltraitance sociale généralisée. Je pense que nous avons été bien trop gentils, et qu’ils en ont bien trop profité, et que maintenant, pour le bien de nos gosses, de nos chats, de nos plantes, des mésanges et de nous-mêmes, il va falloir commencer à sortir les crocs.

J’en arrive donc à ma conclusion. Le film « On va tout péter », du cinéaste activiste Lech Kowalski, a été présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Ce documentaire prend son point de départ au printemps 2017, dans la cour de l’usine GM&S, dans la Creuse, où deux bonbonnes de gaz sont accrochées à une citerne ; bonbonnes sur lesquelles il est inscrit, donc : « On va tout péter ». Confrontés à la fermeture annoncée de l’équipementier automobile, les salariés se munissent d’une bombe artisanale, d’un détonateur, et menacent de faire sauter l’usine. Le début d’une longue lutte sociale, que Kowalski a suivi au plus près de celles et ceux qui l’ont menée.

Comme il est écrit sur le site du réalisateur, « Chronique d’un monde ouvrier qui se désagrège, « On va tout péter » s’interroge sur les moyens de se battre et de préserver sa dignité face à la loi du plus fort, sans sombrer dans la violence. » Puis : « Un mix de blues et de rock and roll : voilà le secret d’une révolte réussie. Quand je suis arrivé au plein cœur de la France dans l’usine d’équipement automobile GM&S menacée de fermeture, j’ai senti qu’un concert exceptionnel allait s’y donner. Il le fut : paroles inventées par des salariés poussés au-delà des limites du supportable, musique écrite par des êtres humains déterminés à bouleverser toutes les règles, y compris celles de la lutte… Et comme le son était suffisamment fort pour attirer les médias nationaux, le concert a résonné dans le pays tout entier. J’étais là, caméra en main, composant mon film grâce au lyrisme déchaîné de ces hommes et de ces femmes, en retrait, mais avec eux. »

Puisse ce genre de films s’écrire partout dans le pays. Parce que c’est la merde, et que si nos député.e.s-du-peuple, de Keke à Ruffin, vont très certainement charbonner et apporter une aide bienvenue, elles et ils ne pourront pas tout faire, (très) loin s’en faut. Tout doit péter. C’est une question de survie. Et ça commence dès maintenant.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn

Le film est en accès libre sur Arte.

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(1) Présomption d’innocence, tout ça.

Capture d’écran du film Joker, de Todd Philips

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