Par Chloé Leprince

Plusieurs centaines de milliers de morts à l'issue de près de huit ans d'une guerre qu'il attendra 37 ans et une loi de 1999 pour avoir un nom.
Plusieurs centaines de milliers de morts à l’issue de près de huit ans d’une guerre qu’il attendra 37 ans et une loi de 1999 pour avoir un nom. © Getty – Dominique Berretty

L’indépendance de l’Algérie a 60 ans, et la “guerre sans nom”, ce n’est pas seulement le titre d’un film de Bertrand Tavernier ou un cliché sur la guerre d’Algérie : c’est aussi le résultat d’une volonté politique, durable, pour éviter de parler d’une guerre qu’on a tout fait pour taire.

A la jointure du vocabulaire et de la chronologie, un discours à la fois à la fois dérisoire et spectaculaire imprègne l’histoire récente de la guerre d’Algérie. Il date de 1997 et on le doit au socialiste Jean-Pierre Masseret. Secrétaire d’État aux Anciens combattants du premier gouvernement Jospin, Masseret, ce jour de juin 1997, avait fait mine de demander la permission, tandis qu’il inaugurait un mémorial : “Permettez-moi d’utiliser l’expression de guerre d’Algérie, je sais bien que c’était une guerre, tout simplement”. La guerre faisait, très tardivement, son entrée dans l’histoire… à cet endroit précisément où se croisent le récit historique et le lexique politique.

Car c’était bien un geste politique : jamais, depuis 1962 et les accords d’Évian (le 18 mars), le cessez-le-feu (le 19 mars) et l’indépendance de l’Algérie (le 5 juillet, après deux référendums de part et d’autre de la Méditerranée), un représentant de l’exécutif français n’avait officiellement parlé de “guerre” pour ces quelque sept années de combats – presque huit. Côté algérien, on avait toujours préféré dire “guerre de Libération” : c’était cette guerre qui mettait un terme à la colonisation entamée à l’été 1830. Mais côté français, on parlera tardivement des “événements” ou encore, dans la loi, des “opérations effectuées en Afrique du Nord”. Les mots ont un sens : il s’agissait, en français politique dans le texte, d’en faire un soulèvement, ou une affaire de maintien de l’ordre. Pas une bascule de l’ordre colonial – même si l’Algérie française, trois départements issus d’une colonie de peuplement, sera le dernier confetti officiel de l’empire. Après 1962, la France n’aura jamais plus des “colonies”, mais des “territoires et des départements d’outre-mer”.

Dans l’organigramme des gouvernements français, l’ancien ministère des colonies était devenu, en 1946, celui de l’outre-mer (avec un tiret, sans quoi on parle de couleur, celle du bleu outremer). Mais dix ans plus tôt, en 1934, “l’Ecole coloniale”, créée à la fin du XIXe siècle pour former les cadres de l’espace impérial dans les tribunaux ou les administrations, était déjà devenue “École nationale de la France d’outre-mer”. Le mot outre-mer prenait la place de colonies ou possessions, et la Seconde Guerre mondiale allait bientôt ouvrir la voie à la décolonisation. Du moins seulement jusqu’aux portes de l’Algérie, qui, elle, restait française. En 1946, les “Musulmans d’Algérie” étaient devenus des citoyens et non plus sujets coloniaux (même si cette citoyenneté-là n’était pas synonyme des mêmes droits). Mais en 1960, quand Paris émancipait ses colonies, deux ans après l’indépendance de la Guinée, l’Algérie, c’était la France.

L'indépendance a deux mois, lorsque cette photo est prise dans un square d'Alger, le 13 septembre 1962.
L’indépendance a deux mois, lorsque cette photo est prise dans un square d’Alger, le 13 septembre 1962. © Getty – Reporters associés / Gamma – Rapho

Les colonies n’existant plus, une guerre  de décolonisation n’avait pas lieu d’être. Et puis, envisager le soulèvement qui avait démarré le 1er novembre 1954 avec la “Toussaint rouge” comme une guerre  de décolonisation, c’eût été prendre acte que l’Algérie, où vivaient un millions d’”Européens” comme on disait, était bel et bien restée une colonie – plutôt que se figurer Belle-île qui aurait changé d’échelle et de latitude (le territoire algérien, c’est près de 30 000 fois la surface de l’île du Morbihan). L’Algérie ayant eu un sort à part, c’est son histoire qui continuera de faire l’objet d’un récit à part dans la loi, les décennies passant.

Du moins jusqu’en 1997. Car Jean-Pierre Masseret n’était pas plus sorti à découvert, un beau matin, devant sa stèle, qu’il n’avait lâché les siens. La transgression lexicale avait un agenda. Trente-cinq ans avaient passé, certes, mais le temps ne faisait pas tout et nommer, c’était encore dire une volonté politique. Lionel Jospin, l’homme de l’inventaire, entendait porter cette rupture-là. Quelques mois plus tard, en 1998, c’est lui, encore, qui chargera Jacques Floch, député socialiste, de préparer un texte. Pour dire ce qu’il conviendrait de dire désormais. Et donc dire ce qui, si longtemps, était resté du domaine de l’indicible : c’était une guerre.

En 1974, pourtant, les Français qui avaient combattu en Algérie, avaient obtenu les avantages matériels du statut d’anciens combattants. C’était une revendication de longue date, qui avait mis du temps à déboucher : elle butait aussi sur le vocabulaire. Reconnaître la guerre, c’était aussi reconnaître la leur, et pas seulement la portée politique d’une lutte pour l’indépendance qui, côté algérien, n’entendait pas se laisser ravaler à des troubles à l’ordre public. En 1997, Masseret, d’ailleurs, avait articulé distinctement : “1,7 million d’hommes mobilisés, 24 000 tués, 60 000 blessés, si ça n’est pas une guerre, moi je n’ai pas d’autre mot dans la langue française pour qualifier ça.”

Alors, l’année suivante, lorsque Lionel Jospin l’avait chargé de plancher tout l’été, Jacques Floch, cet autodidacte socialiste, devenu député de l’agglomération nantaise avec la victoire de la gauche en 1981, avait peaufiné sa proposition de loi. Arrivé à Matignon à la faveur de la cohabitation, Lionel Jospin entendait que l’initiative soit assumée par des députés, représentants du peuple, plutôt que par le gouvernement. Le texte de loi déposé juste avant Noël précisera, pudiquement, qu’il s’agit d’une “substitution” lexicale. Le terme figure même dans l’intitulé du texte législatif, accessible par ici. Floch raconte encore, des années plus tard, les tribunes pleines d’anciens combattants qui étaient venus assister à la séance parlementaire, le jour où son texte avait été à l’ordre du jour. Et puis aussi le vote à main levée, et le climat apaisé des discours, en disaient aussi long, en 1999, sur l’unanimisme que sur l’urgence d’un passage à l’acte lexical… trente-sept ans après le cessez-le-feu.

Le 10 juin 1999, avant que le texte ne parte au Sénat se faire valider en première lecture, les députés dans l’hémicycle avaient applaudi. Et puis là-haut, dans les gradins, le public, aussi. Il faut dire que le temps politique avait du retard sur le temps de l’opinion.

Car en France, depuis le début, on avait bel et bien utilisé le mot “guerre”. Par exemple dans les familles des appelés, qui écrivaient des lettres à leurs parents, souvent pour les rassurer, et parfois pour les informer – le décalage avec ce qu’en disent les informations, alors, est immense. Mais aussi dans la presse, et du côté du monde intellectuel : dès 1955, la guerre d’Algérie n’avait que quelques mois et, déjà, la revue Esprit évoquait la “guerre” – en toutes lettres. Jean-Paul Sartre aussi : par exemple dans son discours de 1956, Le colonialisme est un système (réédité en 2019 par Gallimard dans un recueil intitulé Situations V). Mais aussi dans sa préface au livre d’Albert Memmi, Portrait d’un colonisé, publié au printemps 1957. On y lit par exemple cette phrase de Sartre : “Nous savons à présent que nous abandonnerons la guerre, sans victoire ni défaite, quand nous serons trop pauvres pour la payer.”

Mais le mot “guerre” ne surgit pas seulement dans les plis clandestins de livres frontalement transgressifs qui se publient, au risque de la censure, par exemple, aux Editions de Minuit, ou chez Maspero. Dans le “Que sais-je” Sociologie de l’Algérie, que les PUF avaient confié, pour le faire paraître en 1958, à Pierre Bourdieu, on lit ainsi ceci, par exemple, au sixième et dernier chapitre (“L’aliénation”) : “La situation coloniale et la guerre ont soumis la société algérienne à une véritable déculturation. Les regroupements de population, l’exode rural et les atrocités de la guerre ont précipité en l’aggravant le mouvement de désagrégation culturelle en même temps qu’ils l’étendaient aux régions relativement épargnées jusque-là, parce qu’à l’abri, partiellement, des entreprises de colonisation, à savoir les massifs montagneux de la zone tellienne. Expérience catastrophique de chirurgie sociale, la guerre a fait table rase d’une civilisation dont on ne pourra plus parler qu’au passé.”

C’est le tout premier livre de sociologie du chercheur. En poste cinq années durant dans l’Algérie coloniale, de 1955 à 1960, pour son service militaire, le jeune normalien Bourdieu avait été affecté au gouvernement général d’Alger. Deux ans après le Que-sais-je, il renchérissait encore, au printemps 1960, avec un article dans la revue Études méditerranéennes, co-écrit avec Abdelmalek Sayad, qui s’intitulait : “Guerre et mutation sociale en Algérie”. Bourdieu, entre-temps, s’était lié avec Sayad, l’étudiant auprès de qui il s’engagera du côté des libéraux et avec lequel il articulera une pensée combative. La guerre, en toutes lettres, est au plus près de leur correspondance, de leurs archives et de leurs traces qu’on déplie en lisant le très beau livre Combattre en sociologues, publié en mai 2022 chez Agone par Amin Perez.

Pendant la guerre d’Algérie, deux millions de personnes, déplacées, seront enfermées dans des camps qui détruiront durablement la société algérienne. Le Déracinement, de Bourdieu et Sayad, qui date de 1964 (aux éditions de Minuit), actait sur papier cette réalité-là, si souvent méconnue aujourd’hui encore, en France. Avant leur livre, un texte de Michel Rocard, paru dans le journal Le Monde, le 14 avril 1959, avait fait pourtant grand bruit. Or ces camps, justement, ont directement à voir avec la guerre, son système et ses mécanismes : l’histoire de cet encampement trouve sa source dans les Aurès, dès les premiers mois de la guerre. Dès 1955, l’armée française fait déplacer des civils dans le but de couper l’armée de libération nationale de la population. Avec le tollé suscité par la note de Michel Rocard, l’administration s’en mêle. Il s’agit d’améliorer le sort des centaines de milliers de gens désormais retenus dans les camps, pas d’en repenser la raison d’être : la guerre s’est normalisée, et ces camps en sont un des rouages.

Soixante ans ont passé depuis l’indépendance de l’Algérie, et de ce côté-ci de la Méditerrannée, on connaît encore mal l’histoire de ces camps. Certains les appellent “camps de concentration” – aussi parce que sur le sol métropolitain, c’est au Vel d’hiv que les Algériens auront été parqués, après la répression sanglante de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ; et que dans la capitale, le préfet de Police, pendant toute la guerre d’Algérie, s’appelle Maurice Papon. Mais entre-temps, des lois d’amnistie achèveront de verrouiller le récit de ce qu’en 1992, Bertrand Tavernier et Patrick Rotman nommeront “la guerre sans nom” – le titre de leur film, et aussi un livre co-signé par eux deux, (désormais en poche au Seuil, collection Points).

L’expression “la guerre sans nom” restera. Tavernier et Rotman avaient recueilli, près de trois décennies plus tard, les paroles ensevelies de ces millions d’appelés français qui avaient eu peur, touché la torture, la mort, et l’altérité – et souvent, le tout mélangé. Pour cela, c’est d’abord à leur douleur à eux, et au traumatisme de jeunes Français du contingent, que les mots “guerre sans nom” feront référence. Parce qu’ils avaient été, et souvent continuaient d’être en 1992, l’objet du mutisme. En ne reconnaissant pas cette guerre qu’on les avait envoyés faire, on manquait de les reconnaître, eux. On ne les reconnaissait ni dans leurs séquelles et leur sidération, ni dans les roulis produits par cette histoire collective, politique, coloniale et militaire, dont l’historienne Raphaëlle Branche a par exemple souvent montré l’intrication intime. Celle qui s’attrape dans les fils qui trament cette génération masculine forgée dans l’obscurité du non-dit, et parfois du déni.

2 mars 1962, dans les rues d'Alger, alors que la lutte clandestine de l'OAS s'intensifie.
2 mars 1962, dans les rues d’Alger, alors que la lutte clandestine de l’OAS s’intensifie. © Getty – Keystone

Mais ce que montre en filigrane toute l’historiographie récente, et notamment les travaux d’Emmanuel Blanchard, de Malika Rahal, de Fabrice Riceputi ou de Sylvie Thénault, c’est que ne pas nommer la guerre, c’était aussi confiner l’événement du côté de l’inintelligible. Le tamiser dans le flou d’une balistique exotique et lointaine. Non seulement, euphémiser politiquement la portée d’une lutte pour l’indépendance, mais aussi l’amplitude de la répression militaire après que le Parlement avait voté les pleins pouvoirs spéciaux à Guy Mollet – c’était juridiquement un régime d’exception, mais politiquement, pas une guerre : le 12 mars 1956, à l’Assemblée nationale, les députés avaient approuvé par 455 voix pour (y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français) et seulement 76 voix contre, le texte qui annonçait : “Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire.” Les pouvoirs de police étaient notamment transférés à l’armée.

Ne pas nommer cette guerre, ce sera alors ne pas saisir les responsabilités, ne pas remonter les chaînes de commandement ; s’abstenir de nommer, de circonscrire, de confronter. Mais dès lors, laisser le récit clapoter au risque du flou et du confusionnisme, comme si la guerre des appelés ou encore celle des militaires de métier avait toujours été celle des militants de l’OAS, par exemple. Car eux aussi, après tout, érigent des stèles du souvenir et se disent toujours combattants. Or dans ce qui est aussi une bataille de la mémoire, les lois d’amnistie ont aussi fait obstacle au mot guerre.

Dès 1961, les négociateurs des deux délégations qui discutaient en secret avaient abordé cette question de l’amnistie. Stipulées dans les accords d’Evian, signés le 18 mars 1962, des mesures s’incarneront très rapidement dans le droit français ; quatre jours plus tard, le 22 mars déjà, deux décrets étaient signés, qui portent à la fois sur “des infractions commises au titre de l’insurrection algérienne” et sur “des faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne”. Le chercheur Stéphane Gacon précise qu’environ 15 000 personnes en bénéficieront en Algérie, et 5 500 en métropole. Mais parce que le verrou ne cessera de se consolider, trois autres textes viendront armer un peu plus le silence, avec des lois de 1964, 1966 et 1968 qui renforcent l’amnistie pénale. Avant un ultime passage en force, en 1982, lorsque François Mitterrand fraîchement élu Président de la république, décidera, 49.3 à l’appui à l’Assemblée et contre l’avis d’une partie des élus socialistes, d’élargir l’amnistie… jusqu’à exonérer pour de bon les généraux putschistes qui, au printemps 1961, avaient défié De Gaulle et rejoint l’aile dure et jusqu’au-boutiste de l’Algérie française. Cette année-là, Mitterrand avait réintégré le général Salan et quelques autres dans la carrière et le texte évoquait “les événements d’Algérie”. C’est aussi à ce geste-là que répondra, quinze ans plus tard, le volontarisme politique de Lionel Jospin : vingt ans plus tôt, François Mitterrand faisait partie des soixante témoins cités par la défense de Salan à son procès, en mai 1962. Durant les premières heures de la guerre d’Algérie, il avait été ministre de l’Intérieur, et ministre de la Justice.

Les généraux Edmond Jouhaud, Raoul Salan, Maurice Challe et Andre Zeller, après l'annonce de leur pustch, à Alger, le 21 avril 1961.
Les généraux Edmond Jouhaud, Raoul Salan, Maurice Challe et Andre Zeller, après l’annonce de leur pustch, à Alger, le 21 avril 1961. © Getty – Reporters associés / Gama – Rapho

Ces lois d’amnistie empêcheront de penser la guerre de plusieurs manières. D’abord parce que la guerre d’Algérie restera toujours un peu à part, vis-à-vis de ce qu’on appelle la tradition des “amnisties républicaines” : après la Commune, après Vichy, après l’affaire Dreyfus, par exemple des amnisties avaient bien été votées. Il s’agissait de faire table rase d’un conflit social, de passer l’éponge comme on dit. La toute première loi d’amnistie remonte à la Révolution française, il s’agit d’emblée de traduire, en droit pénal, une politique de l’oubli. Or la France de la Résistance n’a pas négocié d’amnistie avec l’Allemagne nazie pour la bonne raison que l’amnistie, en soi, porte l’idée d’une affaire intérieure. Et si des milliers d’actes commis dans le cadre de la lutte pour l’indépendance ont fait l’objet de négociations en amont des accords d’Evian, qui déboucheront sur une amnistie exonérant aussi les combattants de l’indépendance, ce régime de l’amnistie imprègnera conceptuellement notre imaginaire, quitte à faire tanguer les frontières : c’est la guerre civile qu’on amnistie, pas la guerre tout court.

Mais le verrou ne sera pas seulement conceptuel : en sécurisant l’oubli par le silence, les lois d’amnistie entraveront aussi puissamment la manière dont on pourra avoir accès à cette guerre. Car ces lois, par bien des manières, interdisent de dire. C’est dans ce cadre par exemple que la journaliste du Monde, Florence Beaugé, sera poursuivie. Dans une enquête de 2000, elle avait commencé par évoquer la torture. Ou plutôt, donné la parole au Général Massu, 92 ans entre-temps, qui avait déclaré, dans l’édition du 22 juin 2000 : “Quand je repense à l’Algérie, cela me désole. La torture, on pourrait très bien s’en passer. Elle faisait partie d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment.” Puis, poursuivant l’enquête, Beaugé avait publié des articles, en mai et juin 2002, qui évoquaient cette fois le rôle de Jean-Marie Le Pen, dans cette Algérie de la torture.

Or du fait des lois d’amnistie, c’était interdit. Edwy Plenel, qui dirigeait le quotidien, avait pris la décision de braver les lois d’amnistie, pariant sur le fait que la liberté de la presse l’emportera. Il aura raison : la journaliste sera finalement relaxée. Mais on mesure, si longtemps après, la portée de ce qu’avait saisi l’historien Pierre Vidal-Naquet qui écrivait, dans un texte paru dans Esprit en 1989, puis dans son livre Face à la raison d’État (en novembre la même année, à La Découverte), sur les lois d’amnistie : “A peine la guerre d’Algérie terminée, l’action de la justice, qui ne s’était jamais allumée, fut déclarée éteinte”“comme si les criminels étaient morts” , précisait l’historien. Parce qu’on n’avait pas dit le mot “ guerre ” et parce qu’on aura pris soin d’empêcher, au pas de course, qu’il puisse être possible de fouiller dans ce passé-là, l’histoire d’une guerre de près de 8 ans qui n’aura pas dit son nom sera toujours un peu muette. Même si elle aura fait des dizaines de milliers de morts côté français (25 000 morts militaires environ, et près de trois mille civils tués) et plusieurs centaines de morts côté algérien. Mais aussi de nombreux disparus, dont Malika Rahal et Fabrice Riceputi tentent notamment d’éclairer le sort , tandis qu’en Algérie, le vide n’a jamais cessé.

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