Ce mercredi 22 février, a eu lieu l’inauguration de la Maison des Livreurs, ouverte depuis le 10 janvier rue du Fort-Louis à Bordeaux. Équipée d’un salon, d’une cuisine, d’un atelier vélo et d’un espace de consultation médicale, elle accueille les coursiers adhérents à l’association Amal (Aide à la mobilisation et à l’accompagnement des livreurs). Chaque semaine, une quarantaine d’entre eux bénéficie de ses services, d’une consultation médicale, ou d’un accompagnement administratif.

Deux canapés disposés autour d’une table basse meublent le salon de la Maison des Livreurs, inaugurée ce mercredi 22 février 2023 à Bordeaux. Mamadou Balde, l’une des personnes à l’origine du projet, accueille les visiteurs avec le sourire dans cette pièce chaleureuse et accueillante et entreprend une visite guidée à qui le veut.

Ici, la cuisine en libre-service. Micro-ondes, frigos, cafés et thés, n’attendent qu’à être utilisés. Plus loin, la salle de soin, sommairement meublée, propose une consultation médicale. Au fond, c’est l’atelier. Les livreurs peuvent y réparer leur vélo, grâce à la trentaine d’outils à disposition. 

Cet espace de 75m2, situé rue Fort-Louis et prêté par la Ville de Bordeaux, est géré par l’association AMAL (Aide à la mobilisation et à l’accompagnement des livreurs), dont le nom signifie espoir en arabe. Un choix « qui n’est pas dû au hasard » selon le président, Khalifa Kota, ancien livreur à vélo. C’est « la consécration d’un projet de longue date et nécessaire » auquel d’autres associations telles que Médecins du monde et Étu’Récup ont adhéré. 

« Nous ne sommes pas respectés »

À l’origine du projet, la rencontre entre plusieurs acteurs. D’abord celle de Khalifa Kota, Mamadou Balde, et Mafoud (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille), anciens livreurs pour les plateformes Uber Eats et Deliveroo, exténués par leurs conditions de travail. 

« Quand j’étais livreur, j’ai vu deux personnes se faire renverser par des véhicules. La première fois, l’automobiliste ne s’est même pas arrêté. Nous sommes en danger et pas respectés. Quand nous faisons des livraisons, la plupart des restaurateurs ne nous laissent même pas utiliser leurs WC. Tout ce que nous demandons, c’est d’être considérés comme des êtres humains. Ce n’est pas juste de nous traiter comme cela », s’emporte le président. 

Khalifa Kota parle avec ses mains. Des gestes qui accompagnent des mots forts, engagés. À ses côtés, Mamadou acquiesce. Les semaines à 70 heures, la négligence des clients, il les connaît aussi. C’est pour remédier à cela que ce lieu a été créé : « Permettre aux livreurs livrés à eux-mêmes d’être vus et reconnus. » Sur la métropole Bordelaise, ils sont 6 000 selon l’association Amal, et 15% d’entre eux gagnent l’équivalent d’un SMIC brut.

Arthur Hay (également à l’initiative du projet), Khalifa Kota, Mamadou Balde, et Mafoud (AG/Rue89 Bordeaux)

Maison multifonction

A la Maison des coursiers tout est fait pour que les bénéficiaires « se sentent comme chez eux », explique Khalifa. Ouvert de 14 heures à 18 heures du mardi au vendredi, le lieu les accueille sur leur temps de pause, entre les livraisons. Ils peuvent s’y sustenter, se reposer, recharger leurs batteries, réparer leur vélo, voir un médecin, un avocat, ou obtenir de l’aide dans une démarche administrative.

Un soutien non négligeable pour ces individus à la situation souvent complexe. Kone Donipre, 21 ans, en profite tous les jours depuis l’ouverture de la maison le 10 janvier dernier. Ivoirien, il est arrivé en France en septembre pour trouver du travail et aider sa famille, restée en Côte d’Ivoire. Tous les jours pendant 12 heures, il livre à vélo. Pour lui, cet endroit est un havre de paix. Parfait pour y rencontrer du monde et se reposer. 

« Cet endroit est très important entre les livraisons. Il nous permet de ne pas rester sous la pluie ou dans le froid par exemple. On rencontre beaucoup de personnes qui sont dans la même situation que nous. On joue au baby-foot, on s’entraide. Par exemple, si quelqu’un a besoin d’une pompe pour son vélo, d’autres peuvent la lui fournir. » 

D’après Jonathan L’Utile, chargé de projet, la maison permet de sortir les courisers de leur solitude. Souvent isolés à cause de la barrière de la langue, ils trouvent ici « une communauté », des amis avec qui échanger sur leur quotidien.  

« Faciliter la tâche »

Pour Kone, l’endroit est à la fois sécurisant et utile. Grâce aux bénévoles, il a pu y être soigné et aidé dans ses démarches administratives pour sa demande de titre de séjour. Comme lui, d’autres personnes ont eu recours à l’aide d’avocats, ou de médecins. Une présence nécessaire dans un établissement comme celui-ci. Juliette, médecin bénévole, confirme : 

« Ces gens ont des difficultés à consulter dans le système classique pour plusieurs raisons. Ils n’ont pas de droits ouverts car pas de papiers et il y a la barrière de la langue. En venant vers eux, on renverse le système classique des cabinets médicaux où les patients doivent faire eux-mêmes la démarche de se déplacer. Ça leur facilite la tâche. »

La salle de consultation (AG/Rue89 Bordeaux)

Ici, plusieurs types de pathologies sont prises en charge. Des pathologies liées à leur métier (traumatisme après un accident), des pathologies liées à leur habitat parfois insalubre (maladies infectieuses), ou des pathologies classiques (rhume, angine, etc). 

Dans la Maison des Livreurs, Médecins du Monde n’a pas vocation à se substituer au système de santé. Le but est surtout d’orienter les bénéficiaires en fonction de leurs besoins. Dans la métropole Bordelaise, un tiers des livreurs ne disposent d’aucune couverture maladie, selon l’association AMAL et deux tiers se plaignent de douleurs récurrentes (majoritairement au dos).  

Améliorer le concept

Depuis son ouverture, la Maison des Livreurs est un véritable succès affirme Jonathan L’Utile. Chaque semaine, une quarantaine de personnes au profil varié utilise ce lieu, notamment des étudiants qui travaillent pour financer leurs études. Afin d’améliorer le concept, de nouveaux projets sont en cours. À l’avenir, des formations vélos seront dispensées. 

« Le but c’est qu’ils soient autonomes dans l’atelier et qu’ils puissent s’entraider. On prévoit également de former ceux qui le souhaitent au Code de la route, ou à la position à adopter sur un vélo pour ne pas se faire mal sur le long terme. Par exemple, si on est trop bas sur la selle, ça peut créer des douleurs dans les genoux et dans le dos », explique Ronan Keogh, chargé de mission vélo et aménagement à Étu’récup. 

Des associations d’aides juridiques telles que La Cimade ou Alifs, ainsi que des avocats engagés sur Bordeaux seront également intégrées dans les semaines à venir. À partir du mois d’avril, la maison pourrait même être ouverte plus longtemps, de 9 heures à 19 heures, du mardi au samedi.

Pour l’heure, l’initiative fait office d’exemple après celle de Paris, ouverte en septembre 2021. A son inauguration, en plus d’Harmonie Lecerf-Meunier adjointe à la ville de Bordeaux et le député de Gironde Loïc Prudhomme, elle a eu la visite de l’insoumise Leïla Chaibi, eurodéputée œuvrant pour la reconnaissance des droits sociaux des travailleurs des plateformes comme Deliveroo, Uber, ou encore Amazon.

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