A partir de janvier 1939, des centaines de milliers d’Espagnols traversent les Pyrénées, fuyant l’avancée des troupes franquistes ; et parmi eux de nombreux militants anarcho-syndicalistes. José Berruezo était l’un d’eux.

Christophe Patillon

Christophe Patillon

Historien, grand lecteur, militant, chroniqueur pour Alternantes FM, et accessoirement vieux punk

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

José Berruezo, Contribution à l’histoire de la CNT espagnole en exil, Le Coquelicot, 2021.

A partir de janvier 1939, des centaines de milliers d’Espagnols traversent les Pyrénées, fuyant l’avancée des troupes franquistes ; et parmi eux de nombreux militants anarcho-syndicalistes. José Berruezo était l’un d’eux. Avec Contribution à l’histoire de la CNT espagnole en exil, livre achevé en 1966 et édité en 2021 par Le Coquelicot, nous en savons un peu plus sur l’activité de ces proscrits durant la Seconde Guerre mondiale.

La vie des Espagnols parqués dans des conditions innommables dans les camps de concentration français est bien documentée, et depuis longtemps. Comme l’a écrit Vladimir Pozner1, « Nous ignorons les intentions de ceux qui ont créé et qui dirigent les “centres d’accueil”. Mais s’il s’agissait, avec un minimum de moyens et dans un minimum de temps, de créer de toutes pièces, chez un demi-million d’êtres humains, la haine de la France, ce but a presque été atteint. »

José Berruezo eut la chance de sortir très vite de cet enfer, enfer sur lequel d’ailleurs il ne s’étend pas. Le quadragénaire abandonne le camp de Bram (Aude) pour la grisaille du Cantal où il est affecté dès la fin 1939 à la construction du barrage de l’Aigle, sur la Dordogne. C’est de là qu’il tente, avec d’autres, de fédérer les anarcho-syndicalistes ibériques éparpillés sur le territoire national. Oeuvre difficile, et qui l’est encore plus avec la victoire militaire de l’Allemagne en juin 1940. Comment communiquer, comment se déplacer sans éveiller les soupçons de la police française ou de la Gestapo ?

« La plupart de ces militants n’auraient pas su construire et prononcer des discours, ni écrire de brillants articles de journaux, mais ils savaient penser et sentir avec cette grandeur d’âme si commune dans le milieu confédéral », écrit Berruezo. Peu d’intellectuels donc, mais des militants ouvriers, idéalistes mais pragmatiques, austères2, expérimentés ou nés avec la Guerre civile, déterminés à réorganiser la CNT depuis l’exil, tout en prenant langue avec la Résistance française car tous sont persuadés que la défaite de l’Allemagne et de l’Italie entraînera inévitablement la chute de Franco ; d’où leur volonté de favoriser l’entrée des Espagnols dans les maquis…

Mais sur quelles bases se reconstituer ? Car les anarcho-syndicalistes, en exil comme en Espagne, sont profondément divisés, comme ils le furent dès les années 1920. Deux orientations s’opposent vigoureusement. La première considère que la Révolution sociale n’est pas à l’ordre du jour et qu’en conséquence la CNT doit faire des compromis et nouer des alliances avec les « forces démocratiques » en exil. La seconde ne veut ni des uns ni des autres ! Querelle qui porte en elle les germes d’une scission qui n’interviendra qu’après la Libération et fracturera à jamais le mouvement libertaire espagnol de part et d’autre des Pyrénées. Berruezo a beau expliquer qu’il s’est efforcé de « garder au récit un ton de sérénité objective » et de se « placer au-dessus des querelles », le septuagénaire qu’il est n’a pas de mots assez durs pour critiquer ces puristes intransigeants, aventuristes, parfois à la moralité douteuse qui le traitent de « nouveaux judas », de traîtres, de politiciens et de laquais de la bourgeoisie.

Témoin engagé de ces années tourmentées, Berruezo demeura toute sa vie un militant ouvrier au service d’une CNT qui n’était déjà plus que le fantôme de ce qu’elle fut.

[version audio disponible]

———————-

1 Vladimir Pozner, Un pays de barbelés. Dans les camps de réfugiés espagnols en France (1939), Editions Claire Paulhan, 2020

2 L’auteur insiste beaucoup sur la droiture morale des militants de base de la CNT : « Tous ceux qui étaient là étaient des travailleurs et nous n’en connaissons aucun qui pensait à un genre de vie différent de celui que fournit un travail honnête. »

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.