Pour le 77e anniversaire de la libération du camp, le premier ministre a insisté sur la nécessité de transmettre la mémoire de la Shoah. Et mis en garde contre les visages de la haine qui changent souvent d’« enveloppe », alors que « le fond reste le même ».

Par Claire Gatinois(Auschwitz- Birkenau (envoyée spéciale))

Jean Castex (gauche) et des jeunes lycéens se recueillent au Musée mémorial d’Auschwitz-Birkenau, à Oswiecim, en Pologne, le 27 janvier 2022.
Jean Castex (gauche) et des jeunes lycéens se recueillent au Musée mémorial d’Auschwitz-Birkenau, à Oswiecim, en Pologne, le 27 janvier 2022. BARTOSZ SIEDLIK / AFP

Elie Buzyn, matricule B7572, doit sa survie à un coup de poing ; celui que l’officier SS lui a lancé dans la poitrine sans parvenir à le faire vaciller. En ce mois d’août 1944, le nazi avait la preuve que le jeune freluquet de 15 ans à peine mais qui en revendiquait 17 était apte au travail. La vie du matricule 14811, Léon Lewkowicz, elle, s’est jouée sur un coup d’épaule. Celui qu’un autre détenu d’Auschwitz lui a donné en lui enjoignant, à son arrivée dans le camp de la mort, de rejoindre lors de la sélection la file de son père et non celle de sa mère promise à être gazée. La mère d’Elie Buzyn est morte dès son arrivée à Auschwitz, comme celle de Léon Lewkowicz. Mais c’est à elles que les deux rescapés de la barbarie nazie, aujourd’hui âgés de 93 et 92 ans, pensent quand ils racontent leur tragédie. « Elle m’avait fait promettre de survivre pour raconter », explique Elie Buzyn. Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’hymne à la vie d’Elie Buzyn, grand témoin de la Shoah

Ce 27 janvier, le premier ministre, Jean Castex, venu commémorer le 77anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, semblait accompagner les deux rescapés plutôt que l’inverse. C’est à eux que le locataire de Matignon entendait donner la parole pour devenir, à son tour, « témoin des témoins » et faire en sorte que l’histoire ne s’efface pas. Venu dans le cadre d’un protocole officiel, le chef du gouvernement le concède, la visite du camp répondait aussi à une volonté personnelle.

Pour démontrer que rien ne doit s’oublier, Jean Castex avait aussi convié une poignée de lycéens. « Là où tout commence », souligne-t-il, rappelant que la Shoah est enseignée en classes de CM2 et de terminale, au moment où les jeunes s’initient aussi à la philosophie. Lire aussi Article réservé à nos abonnés Une survivante du camp d’Auschwitz raconte « la boue, les odeurs, les cris, les peurs » à des lycéens normands

Malgré des décennies de paix, l’antisémitisme reste un fléau en France comme ailleurs en Europe. Selon une étude IFOP réalisée pour l’American Jewish Committee (AJC) et la Fondation pour l’innovation politique, publiée la veille par Le Parisien, 68 % des Français juifs déclarent avoir subi moqueries et vexations, 20 % avoir été victimes d’agressions physiques. Mais peu importent, au fond, les statistiques, balaie le premier ministre, car « s’il n’y avait qu’un seul acte antisémite, il serait toujours de trop », lâche-t-il.

Le premier ministre Jean Castex salue les survivants Elie Buzyn (gauche) et Léon Lewkowicz (droite), à l’occasion du 77e anniversaire de la libération d’Auschwitz à Oswiecim, en Pologne, le 27 janvier 2022. BARTOSZ SIEDLIK / AFP)

« Un devoir de mémoire, de vigilance et d’engagement »

A soixante-treize jours du premier tour de l’élection présidentielle, prévu le 10 avril, le brouhaha de la campagne pouvait sembler bien loin. Pourtant, les mots du candidat nationaliste, Eric Zemmour, affirmant que le maréchal Pétain a sauvé des juifs et doutant de l’innocence du capitaine Dreyfus, hantaient les esprits. « La bête sommeille encore, il ne faut pas qu’elle se réveille », soupire Léon Lewkowicz.

Deux ans après le discours d’Emmanuel Macron, à l’occasion du 75anniversaire de la libération du camp, évoquant « le mal souterrain » qui progresse parfois sous d’autres formes, Jean Castex s’est fait, à son tour, le chantre d’un rappel à la vigilance. Une veille contre tous les négationnistes et autres « falsificateurs de l’histoire » .

« Cette vérité [sur le génocide des juifs], nous avons la responsabilité impérieuse d’en maintenir le souvenir intact, alors que les témoins directs de la Shoah disparaissent. Il nous revient de nous préparer à transmettre aux générations futures cette mémoire sans témoins », a souligné le chef du gouvernement lors de son discours. « Ce devoir de mémoire est aussi un devoir de vigilance et d’engagement. Auschwitz est une rupture dans l’histoire de l’humanité, disait Simone Veil. Oui. Ce qui s’est passé ici nous oblige à tout jamais. La barbarie et les ressorts qui y conduisent doivent toujours nous trouver en travers de leur chemin. C’est la condition même de notre humanité », a-t-il insisté, rappelant la « complicité active de l’Etat français » dans la déportation de 76 000 juifs de France dont 11 000 enfants.

Le premier ministre Jean Castex (gauche) visite le musée mémorial d’Auschwitz-Birkenau, ancien camp de concentration et d’extermination nazi allemand, à Oswiecim, en Pologne, le 27 janvier 2022. BARTOSZ SIEDLIK / AFP

« Pulsions malsaines »

Si les visages de la haine et de l’intolérance, de la xénophobie comme de l’antisémitisme, changent souvent d’« enveloppe », ou tentent de prendre des allures moins effrayantes, « le fond reste le même », a appuyé en aparté le locataire de Matignon. Une possible allusion, au-delà des outrances d’Eric Zemmour, à la candidature de Marine Le Pen, prétendant incarner une extrême droite dédiabolisée.

Présent dans le cortège, Serge Klarsfeld, éternel défenseur de la cause des déportés et chasseur de nazis, abonde. « La plupart des dictatures se sont effondrées et pourtant les nouvelles générations d’adultes sont animées par des pulsions malsaines. Il faut rappeler que l’extrême droite quand elle prend le pouvoir n’a jamais apporté le bonheur aux gens », martèle-t-il, observant avec effroi l’extrême droite séduire, au total, en France, plus de 30 % des électeurs.

L’avertissement le plus brutal à l’évolution de la politique mondiale, mais aussi française, est toutefois venu de Pologne. De la part du directeur du Musée national d’Auschwitz-Birkenau, Piotr Cywinski. Regrettant la « disparition des clivages idéologiques entre gauche et droite » au profit d’une opposition entre « ceux qui cherchent à défendre un monde humanisé et ceux qui prônent un monde d’inhumanités », il a redouté, aussi, que chacun ne « sombre dans le silence ».

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