La médiation engagée depuis une semaine pour mettre un terme à la grève de la faim d’un prêtre jésuite et de deux militants bute sur ce point précis.

Par Julia Pascual(Calais, envoyée spéciale) Publié aujourd’hui à 03h15, mis à jour à 09h09

Deux militants et un prêtre font la grève de la faim depuis le 11 octobre 2021. Ici, à l’église Saint-Pierre, à Calais, le 14 octobre 2021.
Deux militants et un prêtre font la grève de la faim depuis le 11 octobre 2021. Ici, à l’église Saint-Pierre, à Calais, le 14 octobre 2021. DENIS CHARLET / AFP

Rien ne semble pouvoir se dresser contre le désir d’Angleterre. Mardi 2 novembre, d’après nos informations, près de 800 personnes ont essayé de traverser la Manche depuis le littoral français à bord de petites embarcations, plus de 450 ont réussi et près de 300 ont été secourues en mer par la France. Un chiffre considérable qui démontre à quel point ni le froid, ni les conditions de vie dans les campements des Hauts-de-France ne dissuadent les migrants de vouloir rejoindre le Royaume-Uni par un moyen éminemment périlleux. Depuis le début de l’année, ce sont autour de 20 000 personnes qui ont réussi cette traversée. Et près de 6 000 qui ont dû être secourues parce qu’elles se trouvaient en détresse en mer.

Mardi soir, tandis que des opérations de secours étaient toujours en cours dans le détroit, la grève de la faim commencée le 11 octobre par l’aumônier du Secours catholique à Calais (Pas-de-Calais) et deux militants – qui dénoncent les démantèlements de campements de migrants – se poursuivait, à l’église Saint-Pierre de la ville. « Ils commencent à être fatigués mais restent déterminés », assure Clara Houin, du réseau d’association Plate-forme des soutiens aux migrants. s

Un peu plus tôt dans la journée, une nouvelle tentative de médiation conduite auprès d’eux et des associations qui les soutiennent par Didier Leschi, directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, s’était soldée par un échec. Mandaté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, il veut croire que « le dialogue continue ». « Le point final de divergence, c’est la question des campements,rapporte M. Leschi. Les associations disent qu’il faut laisser les gens sur place pendant la trêve hivernale. C’est ça le point dur. »

Une politique « attentatoire à la dignité humaine »

Depuis le démantèlement, en octobre 2016, du bidonville de Calais, dans lequel se sont trouvées jusqu’à 10 000 personnes, les autorités veulent empêcher que la ville redevienne un « point de fixation » et, pour ce faire, expulsent continuellement les personnes se regroupant dans les lieux de vie informels qui s’y organisent. Selon des estimations fluctuantes et divergentes, il y aurait aujourd’hui entre 550 et 1 500 personnes éparpillées en différents endroits de Calais et des communes alentour, dans l’attente d’un passage outre-Manche. En février, la Commission nationale consultative des droits de l’homme rapportait qu’il y avait eu en 2020 plus de 1 000 démantèlements d’abris, une politique qu’elle jugeait « attentatoire à la dignité humaine ».

Les grévistes de la faim réclament la suspension de ces évictions pendant la trêve hivernale. Face à cela, l’Etat a avancé plusieurs propositions, telles que prévenir les personnes en amont des évacuations, leur laisser un délai pour récupérer leurs affaires ou encore leur proposer systématiquement un lieu d’hébergement, mais en dehors de Calais. En vain. En attendant qu’une issue se dessine, Didier Leschi annonce qu’il va d’ores et déjà « mettre en œuvre [ses] préconisations ».

Didier Leschi est venu à la rencontre des associations de défense des migrants. Ici, au relais de Pentecôte, à Calais, le 28 octobre 2021. FRANÇOIS LO PRESTI / AFP

Le préfet est convaincu qu’en 2016, « c’est le fait d’avoir cédé à la revendication d’avoir un hébergement en dur qui a suscité un afflux de migrants ». « Les gens pouvaient se regrouper à Calais sans éviction, contrairement à d’autres villes, ajoute-t-il. Nous avions aussi ouvert un guichet d’enregistrement de la demande d’asile, et 100 % de ceux qui demandaient l’asile étaient hébergés. Enfin, on ne transférait pas les “dublinés” [les demandeurs d’asile dont l’examen de situation relève, en application du règlement européen de Dublin, d’un autre Etat membre, où leurs empreintes ont été enregistrées, le plus souvent celui par lequel ils sont entrés en Europe]. Ce sont ces dispositifs favorables qui ont fait la “jungle”. Si on refait ça, on aura de nouveau la “jungle”. »

Une analyse qui ne fait pas consensus. « Il y a des gens à Calais depuis les années 1990 parce que la frontière est ici », fait valoir Clara Houin. « Le gouvernement s’exprime comme s’il n’y avait pas d’alternative entre la “jungle” et le harcèlement quotidien, regrette Juliette Delaplace, du Secours catholique. Il y a une paresse intellectuelle à ne pas chercher de véritable solution. On ne peut pas se satisfaire de cette violation des droits fondamentaux. Expulser, ce n’est pas une manière de lutter contre un “appel d’air”. »

« L’Angleterre, c’est leur dernier recours »

Mariam Guerey travaille pour le Secours catholique depuis presque vingt ans à Calais. « Avant la crainte de la “jungle”, on agitait celle d’un Sangatte bis [du nom du centre d’hébergement ouvert en 1999 dans la commune voisine]. Mais les gens ne viennent pas ici pour une tente ou un repas, ils fuient chez eux. En démantelant, on va masquer leur présence, mais ils sont là. Ils veulent aller en Angleterre. Il faut écouter leurs récits de vie. Ce sont un peu les déboutés de l’asile. L’Angleterre, c’est leur dernier recours. »

Alors qu’il fait désormais moins de 10 °C la nuit, une distribution de 550 tentes a été organisée mardi par plusieurs associations sur différents lieux de vie. A Marck, commune limitrophe de Calais, près des parkings sécurisés aux abords desquels deux hommes sont morts, en octobre, en tentant de se cacher dans des poids lourds, des Soudanais mais aussi des Erythréens et des Afghans se rangent en file pour récupérer une toile.

Fazal (le prénom a été modifié) est l’un d’eux. Il a 26 ans et a quitté la ville de Balkh, dans le nord de l’Afghanistan, il y a moins de deux mois. Il veut aller à « Oxford », dit-il, avec un sourire, sans qu’on parvienne à cerner s’il plaisante. Ahmed (le prénom a été modifié) observe l’agitation, impassible. Ce jeune Erythréen vit en Europe depuis 2014. Il a été « dubliné » en Italie puis en Allemagne, où il n’a pas obtenu l’asile. « Je suis fatigué, dit-il, l’air abattu. Je suis à Calais depuis un mois pour passer en Angleterre, mais je ne sais pas ce que je vais faire. » Il finit par dire qu’il veut demander l’asile en France, mais il ne connaît personne à qui s’adresser.

Hana (le prénom a été modifié) n’est pas encore prête à renoncer. Lorsqu’on la rencontre, sur le parvis de la gare de Calais, cette Syrienne revient de quelques jours de répit loin de la ville, avec son mari, leur fille adolescente et leur fils d’un an. La famille a déjà passé cinq ans en Allemagne. « Nous n’avons pas obtenu de papiers », explique Hana. Elle veut désormais rejoindre un frère, une tante et quatre de ses cousins outre-Manche. Pas question de demander l’asile en France. Certains ont essayé et ont échoué.

Un groupe de trois jeunes Soudanais, rencontrés dans le train entre Lille et Calais, explique justement avoir été débouté après une année passée à Paris. « Il faut des propositions sur le long terme, croit Juliette Delaplace. Régulariser les déboutés de l’asile ou suspendre l’application du règlement de Dublin. »

Julia Pascual (Calais, envoyée spéciale)

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