Accueil des exilés : riposter face à l’extrême-droite
Manifestation en soutien du déménagement du centre pour migrants à Saint-Brévin, le 25 février 2023.
© Sebastien SALOM-GOMIS / AFP.

Le calme semble être revenu à Callac. La presse locale raconte l’organisation du premier carnaval intercommunal et la venue de deux ingénieures afin de promouvoir les métiers techniques auprès des collégiennes. Mais il y a quelques mois, la commune de 2 200 habitants, nichée au cœur des Côtes d’Armor est devenue l’épicentre médiatique d’une bataille politique autour d’un projet d’accueil de réfugiés. Pour l’équipe municipale, c’était l’occasion de redynamiser leur bourg qui se vide progressivement de ses habitants et de ses commerces.

Début 2022, le fonds de dotation Merci (géré par la famille Cohen, propriétaire des magasins Bonpoint et Merci) leur propose le projet Horizon consistant à accueillir des familles de réfugiés sur dix ans. Malgré une réunion publique, les rumeurs commencent à se répandre et la commune se déchire. Ce n’est pas l’élan de solidarité qui attire la presse mais l’instrumentalisation politique du projet, orchestré par l’extrême-droite locale et nationale, décidée à faire du village l’emblème de la théorie complotiste du « grand remplacement ».

Callac, le laboratoire… de l’extrême droite

La violence et la haine ont déferlé sur les réseaux sociaux, puis dans les rues du village avec des manifestations : menaces de mort et de viol sur les élu·es, intrusions à leurs domiciles, diffamation et incitations à la haine. Conséquence immédiate : le maire Jean-Yves Rolland annonce l’abandon du projet Horizon en janvier 2023.

Callac est un tournant. Bernard Germain, candidat aux législatives de 2022 du parti Reconquête à Lannion-Paimpol, auteur du livre Callac, la mère des batailles, estime que « le combat de Callac n’était pas seulement le combat de ce village, mais la mobilisation contre une politique nationale. Callac était le laboratoire de la mise en œuvre de cette politique », livrant au passage la stratégie de Reconquête, qui a réitéré son offensive ailleurs, notamment à Saint-Brevin-les-Pins.

Dans la station balnéaire de moins de 15 000 habitants, un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), structure de l’État, existe depuis plusieurs années. Mais fin 2022, il est transféré dans des bâtiments municipaux, à côté d’une école. La perche est fine mais suffisante pour l’extrême droite qui applique la même stratégie qu’à Callac : récupération de collectifs citoyens locaux, pétitions, menaces et intimidations envers les élus, manifestations en présence de personnalités de Reconquête telles Gilbert Collard… 

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Les déclarations d’Emmanuel Macron, en septembre 2022, semblent avoir mis le feu aux poudres. Face aux préfets, le chef de l’État annonce son ambition d’avoir une meilleure répartition des demandeurs d’asile, mentionnant les territoires ruraux qui perdent des habitants et subissent la fermeture de classes d’école.

Depuis, des villes et villages avec des projets d’accueil d’exilés commencent à être pris pour cibles, notamment dans de nombreux articles publiés sur les sites de la fachosphère (Riposte laïque, Valeurs actuelles, Breizh info ou encore Boulevard Voltaire).

Une coordination « Partout Callac » est créée afin de recenser tous ces lieux et de fournir une sorte de kit d’action aux personnes souhaitant « s’organiser et agir » contre ces projets. Le porte-parole est Bernard Germain et les soutiens officiels viennent notamment de l’ultradroite, à l’instar du Parti de la France, la Ligue du Midi, Action française ou Civitas. 

Riposter par la communication

Face à ces assauts bien organisés, les personnes solidaires des exilés tentent d’organiser la riposte. L’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) a organisé un temps d’échange pour revenir sur ce qu’il s’est passé à Callac et en tirer des enseignements. Elle a également lancé sa propre veille d’informations pour débusquer les villages pouvant donner lieu à de futures mobilisations de la fachosphère, comme à Bélâbre (36), Corlay (22) ou Seloncourt (25).

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« Les élus visés actuellement ne sont pas souvent des militants, donc pas forcément formés à ces questions, et n’ont pas les éléments de langage pour défendre efficacement les atouts de l’accueil. L’extrême droite joue beaucoup là-dessus pour créer des peurs, explique l’Anvita. L’enjeu est de soutenir les collectivités faisant face aux pressions de l’extrême droite mais aussi celles qui ont parfois peur de s’engager à cause de potentielles attaques. On réfléchit aux manières de faire perdurer leur mobilisation et à déconstruire les craintes, même si elles sont de plus en plus réelles. »

Déconstruire les craintes, même si elles sont de plus en plus réelles.

Pour Jean-Marie Fardeau, délégué national de l’association Vox public, il ne faut pas hésiter à s’engager sur plusieurs fronts pour ne pas laisser le terrain libre aux attaques de l’extrême droite : communiquer de façon précise et régulière pour contrer la diffusion de fausses informations, mobiliser des personnalités d’envergure nationale sur la question de l’aide aux exilés – comme l’extrême droite le fait en invitant Gilbert Collard ou Damien Rieu dans ses rassemblements –, et faire valoir ses droits en répliquant, par la saisine de la justice ou des droits de réponse dans la presse.

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« Les maires de ces communes attaquées se retrouvent souvent à communiquer sur le mode défensif. Or, il faut vraiment maîtriser le récit afin d’expliquer pourquoi ces projets humanistes sont porteurs d’avenir pour la commune. Il faut aussi lancer le signal que les élus et les promoteurs de projets d’accueil ne laisseront rien passer, et que des actions en justice seront lancées dès qu’il y aura des attaques qui sont hors la loi. J’ose espérer que l’extrême-droite a encore peur de cette mauvaise publicité. »

Riposter avec le soutien de l’État

Le manque de soutien de l’État et le sentiment d’isolement reviennent fréquemment dans les témoignages. Certains préfets commencent à monter au front, comme à Beyssenac, où un projet de Cada de 40 places, porté par Viltaïs, s’installe progressivement dans ce village corrézien de moins de 400 habitants. Lancé en 2022 pour répondre aux objectifs de l’État de créer 2 500 places d’accueil dans l’année, il a été officiellement annoncé en février 2023 et les sept premières personnes – six femmes et un enfant –, viennent juste d’arriver.

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« La mobilisation des mouvements d’extrême droite a débuté dès l’annonce du projet. Deux collectifs se sont formés, l’un proche du Rassemblement National, l’autre proche du parti Reconquête. Les formes d’actions ont été du tractage, des manifestations, la pose de banderoles et des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux. La manifestation la plus importante a été celle du 25 février, au cours de laquelle une trentaine de militants de l’Action française venus de Limoges se sont opposés à une centaine de militants pro-CADA, venus également de l’extérieur », détaille la préfecture.

Le préfet s’est impliqué « afin de répondre à cette campagne de dénigrement et à la demande du maire », en envoyant une lettre à chaque habitant, accompagnée d’un document de questions/réponses. Dans le même temps, il a organisé une réunion publique en mars pour rétablir quelques vérités.

Riposter par la justice

La contre-offensive se joue aussi devant la justice. La plupart des élus ou associatifs menacés portent plainte. Ce qu’ont fait aussi des journalistes de France 3 Bretagne et de l’hebdomadaire breton Le Poher, visés par des menaces de mort après des reportages à Callac. Tout comme la Ligue des droits de l’homme, auprès du procureur de la République de Saint-Nazaire « pour provocation à la haine et la discrimination raciale », suite à la distribution d’un tract haineux contre le Cada de Saint-Brevin.

Une autre plainte a été déposée suite à des tracts visant le centre d’accueil à Corlay. Le 12 avril, le Fonds de dotation Merci, en charge du projet de Callac, a déposé plainte contre X devant le procureur de la République de Paris « pour harcèlement en ligne, provocation à la haine et injure à raison de l’appartenance à une religion », notamment pour les relents antisémites de nombreuses attaques.

Une plainte emblématique pour montrer la complicité de certains partis politiques et de médias de la fachosphère, que ce soit par leurs articles ou les commentaires non modérés, et un signal envoyé « aux personnes qui agissent dans le confort de l’anonymat».

Il n’est plus pensable de tolérer cette forme d’inertie face à ces menaces.

« Nous attendons une réaction forte de la justice. Il n’est plus pensable de tolérer cette forme d’inertie face à ces menaces et cette parole désinhibée de l’extrême droite. Il est stupéfiant de voir des municipalités renoncer à de tels projets de solidarité non pour des questions de budget ou de démocratie locale mais à cause de pressions politiques, réagit Me Vincent Brengarth du cabinet Bourdon et associés.

Et d’ajouter : « Nous souhaitons également inciter les pouvoirs publics à adopter un cadre (des cellules de veille dans les préfectures, et auprès des parquets compétents) pour qu’on puisse intervenir dès qu’un faisceau d’indices sur le climat de haine commence à émerger et ne pas laisser passer des centaines de messages, des incendies et de menaces personnelles avant de réagir. Ce cadre doit être instauré dès maintenant, avant que le contexte pré-électoral qui approche n’engendre une prolifération de ces comportements. » 

Riposter par la solidarité

Philippe Croze, président du collectif local de solidarité avec les migrants « Brevinois attentifs et solidaires » a vu monter « cette agitation menée par Reconquête » avec beaucoup d’inquiétude, et a lui-même été visé par des tracts dans sa boîte aux lettres. Il a déposé plainte à titre personnel et au nom de l’association pour propos diffamatoires.

Mais la riposte se passe aussi sur le terrain : à chaque rassemblement anti-Cada, son collectif a ainsi organisé un contre-rassemblement. Lors de la troisième manifestation, en février dernier, ils étaient 1 000 personnes solidaires, antifascistes du coin et d’ailleurs, face aux 300 « anti », vêtus de costumes de Chouans et brandissant des drapeaux tricolores.

Une nouvelle manifestation est annoncée par la fachosphère le 29 avril, mais cette fois, Philippe Croze préfèrerait un geste de l’État, avec une interdiction en bonne et due forme du rassemblement : « Il ne faut pas leur donner trop d’importance. Il faut parler de ce qui marche, du fait qu’accueillir les exilés est une chance pour l’économie locale, nationale… Nous n’avons pas à défendre le Cada qui est un projet de l’État, nous voulons seulement défendre l’image de solidarité de Saint-Brevin. »

Il faut parler de ce qui marche, du fait qu’accueillir les exilés est une chance.

Même leitmotiv chez Gérard Dubois, maire de Pessat-Villeneuve. Lui aussi a connu l’appréhension de ses administrés et les menaces venant de l’extrême droite avec des appels et lettres anonymes, le standard de la mairie saturé, des tracts glissés uniquement dans sa boîte aux lettres… Le village de quelque 700 habitants dans le Puy-de-Dôme a accueilli les premiers réfugiés en 2015 puis 2016.

Bélâbre reportage migrants cada asile
Des manifestants soutenant le projet de Cada, à Bélâbre, le 11 mars 2023. (Photo : Patrick Piro.)

La précipitation des opérations et le manque de communication, notamment liés au contexte national et au démantèlement de la jungle de Calais, et la surmédiatisation locale avaient créé un terreau propice à la peur. « La réunion publique était tendue jusqu’à ce qu’une personne demande simplement : ‘Mais comment vont-ils?’. Soudain, on parlait enfin d’êtres humains, donc le réseau de solidarité s’est mis en route », se souvient-il.

Selon lui, pour que ces projets fonctionnent et soient acceptés, il faut « un maire moteur », une association professionnelle pour s’occuper des questions liées à l’emploi, au logement, à la scolarité… et un réseau de bénévoles. « Mais l’État doit aussi être présent, protéger les élus quand il y a des tensions, et s’appuyer sur les expériences d’accueil réussies pour convaincre ailleurs, assène-t-il. Il faut créer une force de frappe, un noyau de maires et de solidaires pour désamorcer les choses. On ne peut pas laisser les élus seuls face à ces situations ! »

On ne peut pas laisser les élus seuls face à ces situations !

Huit ans plus tard, le Centre d’Accueil de Réfugiés Réinstallés (CARR) héberge 74 personnes et est géré par l’association CeCler. Certains habitants sont bénévoles depuis le premier jour. Un succès incontestable pour Gérard Dubois, qui continue de batailler pour améliorer leur quotidien, conscient des difficultés de l’accueil en zone rurale.

Ainsi, à l’automne dernier, la communauté d’agglomération a enfin mis en place une ligne de bus régulière entre Pessat-Villeneuve et Riom, la plus grande ville située à cinq kilomètres, où sont localisés la gare, les services publics et les médecins les plus proches. Une fierté.

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Vanina Delmas

Par Vanina Delmas

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