12 novembre 2022, Sir Alfred Mehran s’éteint dans l’aéroport de Roissy où il a vécu 18 ans. Ce réfugié politique iranien avait pourtant perçu une forte somme d’argent quand Steven Spielberg a voulu porter sa vie à l’écran dans “Terminal”. Que s’est-il passé ensuite ? Un récit signé Karine Le Loët.

“Alfred faisait partie du paysage de l’aéroport.”

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/sir-alfred-mehran-l-homme-qui-vivait-a-roissy-6545650?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2023-04-11&at_position=8

Philippe Bargain raconte comment, en 1988, il voit débarquer à l’aéroport de Roissy, des réfugiés politiques qui restent plusieurs jours en transit au sein de l’aérogare. Parmi eux, Karimi Nasseri Mehran surnommé Sir Alfred, un iranien de 54 ans, installe ses valises dans le Terminal 1 de Roissy-Charles de Gaulle, mais semble prolonger son séjour plus que les autres.

“Alfred faisait partie du paysage. Il est resté là, un mois, deux mois, mais ne demandait rien, n’exigeait rien. Le personnel de l’aéroport, les bagagistes, les flics, tous s’occupaient de lui.” Philippe Bargain

Deux moi après l’arrivée d’Alfred au sein de l’aéroport, le personnel dont le docteur Bargain, comprend qu’Alfred ne réussira pas à obtenir ses papiers pour rejoindre l’Angleterre.

“Les femmes de ménage venaient le voir, elles le nourrissaient, on lui avait acheté un walk-man pour pas qu’il devienne fou…” Philippe Bargain

Ça a duré un mois, deux mois et puis il y a un correspondant de l’AFP qui a fait un premier article et ça a alerté tout le monde.” Philippe Bargain

Alfred Mehran devient alors l’habitant le plus connu de Roissy-Charles de Gaulle, et Spielberg achète son histoire. “Un jour, je reçois un porteur spécial qui arrive avec un chèque avec des chiffres et des lettres devant US dollars, il y a des virgules et plein de zéros : 498 000 $. Alfred a vécu avec cet argent là, dans l’aéroport, il dépensait très peu. Il a changé son walkman, acheté un poste de télé, mais c’est tout. Il n’a presque pas dépensé. On avait essayé de lui faire acheter un appartement, mais il n’a pas voulu. Il voulait rester à l’aéroport. Il était déjà rentré dans sa folie personnelle.” Philippe Bargain

Karimi Nasseri Mehran en 2004
Karimi Nasseri Mehran en 2004 © Getty

Un soir, Philippe Bergain remarque les difficultés respiratoires d’Alfred et l’emmène à l’hôpital. Le refugié Iranien est transféré dans un CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale) où il rencontre Naoufel Ikhelef un travailleur social qui tente d’aider Sir Alfred. “Cette personne a créé un personnage, il lui a construit une histoire, donné des variantes et y a cru pleinement. Il disait : ‘Je suis Danois, je suis Suédois, je ne suis plus Iranien. Oubliez moi, je ne m’appelle plus Alfred.’ Il s’est défait de son identité pour en recréer une nouvelle.” Naoufel Ikhelef

“En liquide il avait entre 5000 et 12 000 euros…”

Alfred reste jusqu’en 2011 dans ce centre et parvient à retourner à l’aéroport de Roissy. A son retour sur les banquettes rouges de l’aérogare parisienne, Sir Alfred semble être devenu agressif, et se retrouve en garde à vue.

“En garde à vue, il a demandé à me voir, j’étais étonné. La police m’explique qu’il a été arrêté, parce qu’il n’avait pas de papiers, mais que si je le prenais en charge et l’accompagnais récupérer sa carte de séjour, il serait libéré. Ils ont fait l’inventaire de ce qu’il avait dans ses poches. En liquide il avait entre 5000 et 12 000 euros… On est partis ensemble, on a récupéré sa carte de séjour à Bobigny, qui était prête depuis longtemps, et je l’ai laissé dans un hôtel près de Roissy. C’est le dernier contact que j’ai eu avec lui.” Naoufel Ikhelef

“Il est revenu à Roissy pour mourir.”

Alfred Mehran séjourne jusqu’en 2020 au sein de cet hôtel, la pandémie de Covid-19 obligeant les hôtels a évacuer les clients. “Il est revenu à l’aéroport et s’est installé, comme s’il attendait. Il était immobile dans le passage et les gens ne le voyaient même pas. Et puis vendredi 12, je crois, on m’a dit qu’il venait de faire un malaise, je suis arrivé tout de suite, et il était mort. Il est revenu à Roissy pour mourir. On a ouvert la parenthèse au Terminal 1 en 1988 et on la fermée en 2022 toujours à l’aéroport…”  Philippe Bergain

En mars 2023, le corps d’Alfred est toujours en attente de pouvoir être enterré dans la commune dont l’aéroport Charles de Gaulle dépend, celle de Mauregard.

Merci à Philippe Bargain, Naoufel Ikhelef, Vincent Sabourin, Paul Berczweller, David Pickering et Maryam Khakipour.

Chanson de fin : The big Train par Maria BC

  • Reportage : Karine Le Loët
  • Réalisation : Anne-Laure Chanel

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