Emmanuel Macron s’est exprimé hier soir au sujet de l’Afghanistan, une prise de parole ambigüe, pleine de contradictions, disant tout et son contraire et au final ne s’engageant sur rien. La détermination dont il a fait preuve sur la gestion de crise sanitaire, au mépris des attaques opportunistes de l’opposition, ne s’est pas vue sur ce sujet pourtant crucial pour le respect de nos valeurs.

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A moins d’un an des élections présidentielles, une partie de la droite et l’extrême-droite surenchérissent dans l’abject, appelant à la fermeture de nos frontières pour ceux qui fuient le terrorisme dans leur pays.
La mécanique est bien rodée, simpliste et manichéenne : agiter la peur pour justifier l’inhumanité, au mépris du respect de nos engagements.

A moins d’un an des élections présidentielles, le Président de la République a manqué de courage sur la question afghane.
Dans son discours du 16 août, il a notamment déclaré : 

De nombreux afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs (…) j’ai décidé l’envoi de deux avions militaires et de nos forces spéciales.
Tel que formulé, il est possible de comprendre que la France envoie deux avions afin d’aller chercher des afghans défenseurs des droits… or comme l’indique la presse, ces 2 avions font partie de l'”opération Agapan”, qui a pour objectif de rapatrier les ressortissants français et éventuellement quelques civils afghans ayant travaillé pour l’armée française.
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Sauf évolution, contrairement à ce qui a été laissé entendre, la France ne vas pas aller chercher des citoyens afghans en quête de protection, pour les ramener dans notre pays.

Le président de la République a ensuite affirmé :
La déstabilisation de l’Afghanistan risque également d’entraîner des flux migratoires irréguliers vers l’Europe.(…)  Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature. (…) Nous porterons donc, en lien avec la République Fédérale d’Allemagne (…) et avec d’autres états européens, une initiative pour construire sans attendre une réponse robuste, coordonnée et unie qui passera par la lutte contre les flux irréguliers, la solidarité dans l’effort, l’harmonisation des critères de protection, et la mise en place de coopérations avec les pays de transit et d’accueil comme le Pakistan, la Turquie ou l’Iran

Il est important de préciser plusieurs éléments : quand le Président de la République parle de “flux migratoires irréguliers”, il parle des hommes, femmes et enfants afghans qui sont aujourd’hui contraints de vivre dans un pays contrôlé par une organisation terroriste qui menace de mort toutes les personnes qui refusent de respecter leurs règles.
Comme le rappelle Amnesty international il y a quelques jours : “On ne peut que craindre le pire pour les populations civiles, c’est-à-dire des violations très graves et systématiques des droits humains, notamment des châtiments cruels, inhumains et dégradants liés à l’application de la charia, et une épuration brutale de tous ceux et de toutes celles soupçonnés de ne pas adhérer à leur idéologie.

Pour ces hommes, femmes et enfants de la société civile, en danger, le Président de la République n’a rien proposé d’autre que de “nous protéger” de leur venue. Parler d’eux en termes de “flux migratoire irrégulier” est abject et inhumain : leur venue n’est “irrégulière” que par la volonté de fermeture de l’union européenne.
Il faut rappeler qu’un citoyen français peut se rendre dans 188 pays dans le monde sans avoir besoin d’un visa, alors qu’un ressortissant Afghan ne peut le faire que dans 26, dont aucun n’est européen.

Les hommes, femmes et enfants afghans qui souhaitent échapper à la dictature des talibans n’ont pas la possibilité de venir de manière régulière en Europe et en France. 
Ils n’ont d’autres choix que de venir de manière “irrégulière”, en transitant par un autre pays, mais le franchissement de la frontière européenne sera obligatoirement “irrégulier”, de par la volonté de l’Europe.
Pour autant, juridiquement ce franchissement irrégulier n’enlève pas le droit de déposer une demande d’asile.
Lutter contre l'”entrée irrégulière” des afghans en Europe revient donc à lutter contre le droit d’asile et à refuser de les protéger, et c’est le premier point affirmé par M. Macron en réaction à l’arrivée au pouvoir des talibans dans ce pays.

Il parle ensuite de “solidarité dans l’effort“, ce qui revient à dire que les quelques Afghans qui réussiront à venir en Europe n’auront pas le choix du pays où ils demanderont une protection.

Il est ensuite question d’une “harmonisation des critères de protection“. Or cela fait des décennies que l’Europe n’est absolument pas égalitaire dans l’octroi d’une protection.
En 2020, le taux d’accord d’une protection pour un Afghan variait entre 33% (Belgique) et 94% (Italie). La France, avec 64% de taux d’accord, n’est pas si mal placée mais en fin d’année 2020 la Cour Nationale de Droit d’Asile (CNDA) a émis une décision controversée qui tend vers une restriction plus grande.

asile-afghan



Une harmonisation serait évidemment bénéfique et égalitaire, encore faut-il qu’elle ne se fasse pas à la baisse, ce qui est à craindre au vu de l’égoïsme des états européens.

Enfin, M. Macron fini de détailler le projet en indiquant “la mise en place de coopérations avec les pays de transit et d’accueil comme le Pakistan, la Turquie ou l’Iran“.
Cette phrase est particulièrement inquiétante, il est à craindre la mise en place d’accords comme celui déjà pris en 2016 avec la Turquie, qui a consisté à verser plusieurs milliards d’euros à ce pays en échange de la promesse de fermer sa frontière avec la Grèce et d’accepter que soient reconduits dans leur pays plusieurs milliers d’exilés présents dans les camps grecs.
Un système de troc devait également avoir lieu : pour tout clandestin réadmis par la Turquie, un réfugié syrien présent sur le sol turc devait obtenir un visa pour l’Europe (dans la limite de 72 000), mais faute de consensus entre États membres, cette partie de l’accord n’a jamais été jusqu’au bout, avec seulement 21 163 réfugiés syriens accueillis via ce processus en Europe jusqu’en 2019.
 

Cet accord comportait un grand nombre d’effets pervers, déplacement des routes migratoires (vers le Maroc ou la Libye, avec les conséquences qu’on connait), et risque de dépendance avec ces pays d’accord, comme en mars 2020.

L’Europe s’apprêterait donc à organiser le refoulement des demandeurs d’asile vers des pays tiers… refoulement qui est illégal au regard des conventions internationales, comme le détaillait Yves Pascouau il y a quelques mois.

L’Europe s’apprête donc à conclure des accords pour rendre “légal” un marchandage des êtres humains, au mépris des conventions internationales, dans l’objectif de lutter contre une immigration “irrégulière”, qui ne l’est que par la volonté de l’Europe.

Le cynisme atteint parfois des sommets assez inédits.

Si la France veut éviter le déshonneur, elle se doit d’agir et assumer ses devoirs.
La seule façon juste et humaine de lutter contre l’immigration dite “irrégulière”, c’est d’ouvrir des voies légales d’immigration depuis l’Afghanistan pour les personnes qui sont en danger et aussi pour les familles des personnes déjà présentes dans notre pays.
La France doit aussi cesser d’appliquer le règlement Dublin qui permet de les renvoyer vers d’autres États membres susceptibles de les renvoyer dans leur pays.

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