Sandales, bottes de pluie et après-ski se côtoient dans les dunes du désert chilien d’Atacama. A mesure de l’augmentation effrénée de la production de vêtements à travers le globe, les cimetières de l’industrie de la mode se multiplient, atteignant même les régions les plus reculées. Un désastre écologique de plus à ajouter au lourd bilan de la fast fashion. Zoom sur cette catastrophe.Situé entre l’océan Pacifique Sud et la zone volcanique centrale des Andes, le désert d’Atacama est une des régions les plus arides de la planète. Si les dunes de sable ocre et les sommets explosifs composent en général le paysage, 39 000 tonnes de textiles en tout genre viennent s’ajouter chaque année à ce panorama.

Et pour cause, face à la quantité exponentielle de vêtements fabriqués dans le monde, le Chili, spécialisé dans le commerce de vêtements de seconde-main, se retrouve submergé de textiles usagés : pantalons, pulls, bottes de pluie ou même après-ski s’amoncellent dans des décharges sauvages, comme celle située près d’Alto Hospicio, dans la province d’Iquique.

Chaque année, c’est plus de 59.000 tonnes de vêtements qui arrivent au port d’Iquique, à 1.800 km au nord de Santiago. Dans cette zone commerciale aux droits de douane préférentiels, les ballots de textiles y sont d’abord triés avant d’être revendus dans des magasins de seconde-main du pays ou exportés vers d’autres contrées latino-américaines.

L’émergence d’une tendance dévastatrice

Si ce circuit économique semble à première vue bénéfique pour la gestion des ressources textiles, il fait face depuis une vingtaine d’année à la croissance exponentielle de la quantité de vêtements fabriqués dans le monde. « Depuis le 20e siècle, les vêtements sont de plus en plus considérés comme jetables et l’industrie s’est fortement mondialisée, avec des vêtements souvent conçus dans un pays, fabriqués dans un autre et vendus dans le monde entier à un rythme toujours plus rapide », décrypte la fondation MacArthur dans son étude intitulée « A new textiles economy : Redesigning fashion’s future ».

Cette tendance s’est encore accentuée au cours des 15 dernières années avec une demande textile toujours plus accrue de la part d’une classe moyenne croissante disposant d’un revenu de plus en plus important. Se joint à cela l’émergence du phénomène de « fast fashion », entraînant un doublement de la production sur la même période, note un rapport de l’ONU.

Entre 2000 et 2014, la production de vêtements dans le monde a doublé selon l’ONU. – Crédits : Pixabay

Un engorgement inévitable du circuit textile

Avec toujours plus de déchargements provenant d’Europe, d’Asie ou d’Amérique du Nord,  le port chilien s’est rapidement retrouvé engorgé et incapable de gérer une telle masse textile. Soutenez Mr Mondialisation sur Tipeee

Des 59 000 tonnes de vêtements débarquées, seulement 20 000 d’entre elles circulent réellement sur le continent. Par conséquent, près de 40 000 tonnes annuelles de vêtements invendus et indésirables sont finalement acheminés par camion vers le désert le plus sec du monde, dans lequel on recouvre littéralement les dunes de sables de couches et de couches de textiles mis au rebut.

Les conséquences néfastes de cette économie débridée et insouciante sont nombreuses. Si les tragédies humaines qui jalonnent le parcours de fabrication de nos vêtements – exploitation des enfants, conditions de travail déplorables, atteintes à la santé des ouvriers pour cause de manipulation non-protégée de produits chimiques toxiques – sont de plus en plus dénoncées dans les médias, le coût environnemental de la filière textile est  généralement moins mis en avant, qui plus est concernant sa fin de vie.

A chaque niveau de production, des conséquences néfastes pour l’environnement

Pourtant, les externalités environnementales négatives d’une telle production sont nombreuses. L’ONU estime ainsi que l’industrie de la mode est responsable de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

« Lorsque nous pensons aux industries qui ont un effet nocif sur l’environnement, la construction, l’énergie, les transports et même la production alimentaire peuvent nous venir à l’esprit. Mais l’industrie de la mode est largement considérée comme la deuxième industrie la plus polluante au monde », dévoile l’organisation internationale dans son rapport sur le sujet.

Le désert d’Atacama noyé sous les vêtements usagés. Crédits : Martin BERNATTI – AFP

En amont de la chaîne, c’est notamment l’énorme consommation d’eau nécessaire à la fabrication des textiles qui est mise en cause. Pour produire un jean, il faudra par exemple près de 8000 litres d’eau, soit la même quantité d’or bleu nécessaire à la survie d’une personne moyenne pendant sept ans.

Selon le rapport onusien, environ un demi-million de tonnes de microfibres finissent également dans les océans chaque année par le biais de notre machine à laver et de nos t-shirt préférés, soit l’équivalent de 3 millions de barils de pétrole. Globalement, l’industrie de la mode est ainsi responsable d’environ 20% des eaux usées à l’échelle mondiale.

Encore trop peu de réseaux de recyclage mis en place

Même topo en fin de vie du produit. Les méthodes de recyclage étant encore peu efficaces, seulement 1% des matériaux utilisés dans la fabrication de vêtements sont aujourd’hui utilisés pour en fabriquer de nouveaux d’après la Fondation Ellen MacArthur.

Au total, c’est donc un peu moins des deux tiers de l’ensemble de la production mondiale qui finit dans des décharges ou des incinérateurs, estime McKinsey. Une partie considérable de ceux-ci est en outre composée de tissus synthétiques à composés hautement toxiques. Qu’ils soient enfouis sous terre ou laissés à l’air libre comme dans le désert d’Alto Iquique, leur décomposition chimique, qui peut prendre des dizaines d’années, pollue inévitablement l’air et les nappes phréatiques environnantes.

On l’aura compris, il est urgent d’inverser la tendance. Pour s’y faire, « les marques et les fabricants de mode doivent prendre leurs responsabilités dans la transformation de l’industrie textile en un système qui respecte les limites de la terre et les besoins et préoccupations de leurs clients », conclut très justement Greenpeace dans le cadre de sa campagne Detox My Fashion.

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