Alors que les affrontements entre le Hezbollah et Israël s’intensifient à la frontière, les villages du sud du Liban se préparent à l’éventualité d’une guerre. Reportage.

Leila Aad

21 octobre 2023 à 15h22

TyrTyr, Kfar Kila, Qana, Deir Mimas (Liban).– « De l’autre côté, c’est la Palestine occupée », dit Mohamed, un Libanais de 35 ans originaire du sud du Liban, en pointant du doigt un mur de plusieurs mètres érigé entre le Liban et Israël. Cette clôture de séparation de près d’un kilomètre a été installée en 2012 par Israël entre les villages de Kfar Kila du côté libanais et Metoula, témoignant de la méfiance de l’État hébreu envers son voisin du nord.

Quelques mètres seulement séparent ainsi les drapeaux jaunes du Hezbollah libanais, une puissante milice chiite soutenue par l’Iran, de ceux de son ennemi juré. Les drapeaux israéliens sont même clairement visibles un peu plus en hauteur du côté libanais, arborés par les chars israéliens qui circulent derrière le mur.

Si proche, et pourtant si loin : la frontière, déjà infranchissable entre le Liban et Israël, deux pays techniquement en guerre qui s’affrontent régulièrement depuis 1948, s’est embrasée après le 7 octobre, lorsque le Hamas, le parti islamiste qui contrôle la bande de Gaza, a lancé une offensive mortelle sur le territoire d’Israël.

L’attaque a tout de suite été saluée par le Hezbollah, qui s’est lancé, en soutien à son allié le Hamas, dans des échanges de tirs quotidiens avec l’État hébreu. Depuis plus de dix jours, le bruit sourd des explosions résonne quotidiennement dans l’extrême sud du pays. Si le village Kfar Kila était calme ce jour-là, la zone est fréquemment le théâtre d’affrontements entre le Hezbollah et Israël.

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Des chars israéliens positionnés près de la frontière avec le Liban, le 15 octobre 2023. © Photo Jalaa Marey / AFP

Les violences, qui ont fait des dizaines de morts, dont un journaliste de Reuters, sont pour l’instant concentrées sur quelques localités à la frontière, sur des fermes de Chebaa, au sud-est, jusqu’à Naqoura au sud-ouest. Mais nombreux sont ceux qui craignent que le conflit entre le Hamas et Israël ne s’exporte au pays du cèdre. Plusieurs pays ont d’ailleurs appelé leurs ressortissant·es à quitter le Liban, dont les États-Unis. L’État libanais a annoncé un plan d’urgence jeudi au cas où le conflit s’étendrait.

Selon le New York Times, lors de sa visite mercredi en Israël, Joe Biden a mis en garde les dirigeants israéliens sur une éventuelle vaste offensive menée contre le Hezbollah. Cette guerre sur deux fronts pourrait entraîner les États-Unis et l’Iran dans le conflit.

Si le gouvernement libanais s’est officiellement positionné contre l’entrée en guerre, la décision ne semble pas lui revenir. C’est le Hezbollah, souvent qualifié d’État dans l’État, un parti politique majeur et un groupe armé, qui tient les rênes, avec derrière lui l’Iran, son principal soutien financier.

Pour l’instant, le parti chiite ne semble pas envoyer de signaux définitifs concernant son engagement dans le conflit, plongeant le Liban dans l’attente d’une étincelle potentielle qui mettrait le feu aux poudres, comme l’invasion terrestre de la bande de Gaza, qui, selon certains, pourrait contraindre le Hezbollah à porter secours à son allié, ou un débordement imprévu qui forcerait à l’escalade.

Une guerre « imposée »

Nombreux au Sud-Liban, une région largement contrôlée par le Hezbollah, se disent préparés à cette éventualité. « Nous aimons la paix, comme tout le monde, mais c’est Israël qui nous impose la guerre. S’il le faut, nous nous défendrons, assure Mohamed. Cela fait des décennies qu’Israël attaque et occupe le Liban, ce n’est pas une question politique : il s’agit de protéger sa terre contre l’ennemi. » 

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Le témoignage de Mohamed, qui ressemble à des dizaines d’autres recueillis dans les villages du sud du Liban, est sensiblement différent de ce que l’on peut entendre dans d’autres parties du pays, opposées à tout conflit. Dans un Liban extrêmement polarisé, certains blâment directement le Hezbollah pour son attitude belliqueuse qui risque de précipiter le pays dans l’abîme.

Mais au Sud-Liban, l’histoire avec Israël, « l’ennemi sioniste » comme il est généralement désigné, est particulièrement douloureuse. Elle est marquée par les conflits, dont le plus récent remonte à 2006. Cette guerre, qui a opposé Israël au Hezbollah, a causé d’importantes destructions dans les villages du sud, et fait plus de 1 200 victimes du côté libanais, principalement des civils, et une centaine de victimes du côté israélien, principalement militaires. C’est aussi une histoire d’occupation relativement récente, qui a pris fin en 2000, lorsque les troupes israéliennes ont quitté le sud du Liban, 22 ans après leur première invasion.

« J’ai grandi en écoutant les récits de meurtres de gens innocents », dit Hussein, un jeune homme de 22 ans originaire du village de Qana, vêtu de noir, la tenue des combattants du mouvement Amal, allié au Hezbollah. La localité a été marquée par deux tragédies pour lesquelles des mémoriaux ont été érigés.

La première est le bombardement en 1996 par Israël d’une base des Casques bleus où de nombreux civils avaient trouvé refuge, tuant 106 d’entre eux. La deuxième est l’attaque contre un immeuble en 2006, qui a fait 28 morts, dont 16 enfants. « Je n’ai pas peur de mourir, ce serait même une bénédiction dans cette guerre », affirme Hussein.

Comme lui, des générations ont ainsi grandi avec des récits de « martyrs » alimentés par une propagande bien ficelée, entretenue par le Hezbollah et Amal. Cette « martyrologie » se traduit par un culte des combattants tombés pour la « résistance » contre Israël, dont il n’est pas rare de voir les portraits affichés le long des routes et sur les bâtiments. 

Les bombes israéliennes ne discernent pas les chrétiens des musulmans.

Merhej, agriculteur de 60 ans

Dans la localité chrétienne de Deir Mimas, un petit village traditionnel de 1 500 habitant·es situé à 2 kilomètres de la frontière, le ton est moins combatif. « Personne ne veut de la guerre », affirme Merhej, un agriculteur de 60 ans, assis à la table de sa cuisine, offrant une vue imprenable sur les montagnes qui ferait presque oublier le conflit à quelques kilomètres.

Il souligne cependant un vécu partagé avec les chiites de la région dans leur antagonisme avec Israël. « Les bombes israéliennes ne font pas de distinction entre les villages chrétiens et musulmans, elles visent tous les Libanais. » Il raconte ainsi que son village a été pris pour cible lors de la guerre de 2006, causant d’importants dégâts, dont l’église et son cimetière. Les bombardements y ont fait un mort et plusieurs blessés. « On a mis un an à reconstruire le village, les missiles ont aussi endommagé certains de nos vergers, jusqu’à aujourd’hui », affirme-t-il.

« De toute façon, c’est malheureux, mais la décision n’appartient ni à nous ni à l’État, mais au Hezbollah. Alors ça ne sert à rien d’avoir peur, et si c’est le cas, on se sert un peu plus d’arak », ajoute-t-il en remplissant un verre de cette boisson alcoolisée aromatisée à l’anis, avant de plonger un morceau de pain dans un bol d’huile d’olive fraîchement pressée.

Des milliers de déplacés

Si pour les villages du sud éloignés de la frontière, le conflit est encore un sujet de débat, pour les déplacé·es qui ont dû fuir les bombardements, il est déjà une réalité. « Ils ont détruit les maisons et nos champs d’oliviers, on a été forcés de partir », déplore une résidente de Dhayra, l’un des villages les plus touchés par les combats.

Elle fait partie des centaines de personnes qui ont trouvé refuge dans une école transformée en camp pour déplacé·es, située à Tyr, une ville du Sud-Liban loin des combats. La plupart des villages frontaliers ont été désertés, même ceux qui ne sont pas directement touchés, le traumatisme de 2006 ayant poussé les familles à la prudence.

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On compte ainsi plus de 2 000 personnes déplacées selon les chiffres officiels, certaines ayant été accueillies par leurs familles dans des zones sûres, d’autres dans des centres d’hébergement temporaires. La situation pour l’instant est sous contrôle, le nombre de déplacé·es étant encore réduit, selon le directeur de la cellule d’urgence de Tyr, Mohamed Mortada. « On gère les réserves au jour le jour, on manque de lait et de médicaments, mais c’est surtout si la situation s’aggrave que cela va devenir compliqué, on est déjà en pleine capacité d’accueil. »

Il ajoute qu’il œuvre avec les organisations locales et internationales pour faire venir de l’aide supplémentaire, l’État libanais, qui traverse l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne depuis quatre ans, étant incapable de fournir de l’assistance, alors même que la crise humanitaire n’a pas commencé. 

Leila Aad

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