ll y a un an, le 16 septembre 2022, Mahsa Jina Amini, mourait à Téhéran, violemment interpellée pour « port de vêtements inappropriés ». Après ce drame, les Iraniennes sont sorties dans la rue, tombant le voile et se coupant les cheveux, défendant par tous les moyens un espace de liberté qui passe beaucoup par leur apparence.

Eva Rubio • 13 septembre 2023

Article paru
dans l’hebdo N° 1775 Consulter ce numéro

Ces Iraniennes qui bravent les interdits
Anahita : « Les autorités nous imposent le hijab, nous interdisent de danser, de boire de l’alcool, d’aller à bicyclette, d’assister à un match de foot ou d’avoir des gestes affectueux envers notre petit ami en public. »
© Michel Martinez Boulanin

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Après Mahsa Amini, une colère flamboyante

ll y a un an, le 16 septembre 2022, Mahsa Jina Amini, étudiante kurde, mourait à Téhéran, violemment interpellée pour « port de vêtements inappropriés » – des mèches de cheveux dépassaient de son hijab, diront des témoins. Après ce drame qui a ému une grande partie du monde, les Iraniennes sont sorties dans la rue, tombant le voile et se coupant les cheveux. Du jamais vu ! Une génération est née, à l’instar d’Anahita, Reihane, Shohreh, Nazanin ou Ahdieh.  Ces jeunes femmes iraniennes ont grandi à l’ombre des restrictions. « Les autorités nous imposent le hijab, nous interdisent de danser, de boire de l’alcool, d’aller à bicyclette, d’assister à un match de foot ou d’avoir des gestes affectueux envers notre petit ami en public », soupire Anahita. Autant d’actes apparemment innocents mais répréhensibles aux yeux des mollahs.

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Car, si les lois varient souvent en fonction du radicalisme du nouveau procureur élu, passant de l’interdiction à la tolérance et inversement, les amendements favorables aux femmes sont rares et temporaires. À cela s’ajoute le fait qu’elles évoluent dans une société patriarcale, avec un statut inférieur à celui des hommes. Et pour faire respecter les règles imposées aux citoyens, le gouvernement emploie quelques millions d’agents infiltrés, la soi-disant police des mœurs ou bassidj.

Avec le hijab et le reste du corps couvert, mon visage devient ma priorité.

Ahdieh, étudiante

Dans ce contexte, comme des milliers de femmes, Ahdieh et Reihane considèrent la transgression de certaines règles comme essentielle pour façonner leur image selon leurs aspirations. C’est pourquoi elles ont recours au maquillage à outrance, à la mode occidentale et à la chirurgie esthétique, considérant ces choix comme des expressions de liberté et d’amour-propre. Une image bien loin des attentes des ayatollahs.

Le visage comme carte d’identité

La doctrine officielle soutient que montrer ses cheveux ou son cou excite les hommes et constitue une provocation, d’où la justification du port du hijab. C’est pourquoi les femmes iraniennes soignent autant ce qu’elles peuvent montrer, comme les mains et le visage. « Avec le hijab et le reste du corps couvert, mon visage devient ma priorité. Je l’aime et j’investis de l’argent et du temps pour être belle, car c’est ce qu’on verra de moi en premier. Je pense que la beauté pour les jeunes femmes iraniennes est la chose la plus importante, car c’est leur carte d’identité », explique Ahdieh, une étudiante en statistique de 21 ans qui rêve de devenir mannequin et de parcourir le monde.

Femmes Iran
« Le recours à la chirurgie esthétique a pour but d’avoir une haute estime de soi, mais pas seulement. On espère aussi attirer le meilleur candidat possible. Un homme cultivé et ouvert d’esprit qui nous laisse travailler ou étudier et nous traite d’égal à égal », explique Reihane (à gauche), avec Anahita (à droite). (Photo : Michel Martinez Boulanin.)

Reihane a 30 ans. Elle travaille pour une entreprise de construction en tant qu’ingénieure consultante, où elle conçoit et supervise des projets gouvernementaux. Célibataire, elle gagne un bon salaire qu’elle investit en grande partie dans traitements esthétiques et le maquillage. Elle a subi une rhinoplastie et rêve de se faire opérer les yeux pour les avoir plus étirés. « Le recours à la chirurgie esthétique a pour but d’avoir une haute estime de soi, mais pas seulement. On espère aussi attirer le meilleur candidat possible. Un homme cultivé et ouvert d’esprit qui nous laisse travailler ou étudier et nous traite d’égal à égal », explique Reihane.

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Nazanin, 21 ans, n’est partisane ni de la chirurgie esthétique ni du botox. Cependant, elle ne passe pas inaperçue en raison de la couleur de ses cheveux. « Un jour, je me suis coupé les cheveux et je les ai teints en bleu, qui est ma couleur préférée. Quand je suis rentrée chez moi, mon père a cessé de m’adresser la parole pendant une semaine », déplore Nazanin. Mais c’est sa façon d’aller à l’encontre d’un gouvernement qui opprime les femmes et les force à porter le hijab, ce bout de tissu qu’elle noue avec négligence, exposant pratiquement toute sa chevelure bleue coupée à la manière occidentale.

Femmes Iran
Nazanin : « Un jour, je me suis coupé les cheveux et je les ai teints en bleu, qui est ma couleur préférée. Quand je suis rentrée chez moi, mon père a cessé de m’adresser la parole pendant une semaine» (Photo : Michel Martinez Boulanin.)

« Tout est apparence »

Selon Shohreh, une infirmière de 33 ans, « tout est question d’apparence. On ne peut pas fumer en public, on ne peut pas boire d’alcool, et pourtant on peut trouver partout de l’alcool, du tabac importé et d’autres substances. Il suffit de les demander dans des hôtels, des restaurants, voire des supermarchés. La grande majorité de la population iranienne n’est pas particulièrement religieuse. Nous avons dû adopter la religion musulmane par obligation, mais nous ne sommes pas pratiquants ».

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Pour passer la soirée, Reihane, Anahita et Penjman ont choisi le Pala Kebab, un restaurant situé à quelques kilomètres de la ville de Rasht, réputé pour sa musique live. « Il existe des restaurants où l’on peut écouter de la musique et danser. Si la police fait une descente, les propriétaires se voient infliger des amendes. Mais cela ne pose pas de problème si vous avez de l’argent. En Iran, la corruption est monnaie courante en raison des restrictions imposées par l’État », souligne Anahita.

Lorsque les lumières s’éteignent, la plupart des femmes retirent leur hijab et allument une cigarette. Dans l’obscurité, des flasques d’alcool sortent discrètement. L’atmosphère se réchauffe, et chacun commence à se trémousser sur sa chaise au rythme de la musique. Bien que la danse soit interdite, certaines personnes audacieuses se lèvent et esquissent quelques mouvements de hanches, mais elles sont rapidement rappelées à l’ordre – gentiment – par le personnel du restaurant. Lorsque les lumières se rallument, les femmes remettent leur voile et éteignent leur cigarette.

Femmes Iran
Shohreh : « Tout est question d’apparence. On ne peut pas fumer en public, on ne peut pas boire d’alcool, et pourtant on peut trouver partout de l’alcool, du tabac importé et d’autres substances. Il suffit de les demander dans des hôtels, des restaurants, voire des supermarchés. (Photo : Michel Martinez Boulanin.)

« Rasht est la ville la plus tolérante d’Iran, avec certains quartiers nord de Téhéran. Les gens organisent des fêtes privées et nous nous habillons à la mode occidentale. Nous buvons de l’alcool, fumons et dansons au rythme de la musique persane et anglo-saxonne. Même si le gouvernement est au courant, il ne peut pas être partout à la fois et encore moins emprisonner tout le monde », explique Anahita.

Nous voulons que le régime nous octroie les mêmes droits qu’aux hommes.

Anahita

Bien que quarante-quatre ans se soient écoulés depuis la révolution islamique, ces femmes savent que la mentalité d’une partie des Iraniens est un frein au changement et que la montée du radicalisme n’augure rien de bon. Les quelques tentatives de soulèvement du peuple contre le régime ont été violemment réprimées. Le 8 août dernier, le président iranien Ebrahim Raisi annonçait que « l’acte d’enlever le voile [prenait] définitivement fin ». Sa campagne visant à rétablir le port du voile pour toutes celles qui osent encore défier le gouvernement n’effraye pas nos jeunes Iraniennes. « Depuis Mahsa Amani, nous ne luttons pas seulement contre le port du voile. Nous voulons que le régime nous octroie les mêmes droits qu’aux hommes », s’exclame Anahita.

En attendant un éventuel changement de régime, il semble que les femmes de cette génération persisteront dans leur quête de liberté d’expression, faisant de leur apparence une pierre angulaire de leur résistance.

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Eva Rubio

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