Romain Philips Publié le : 17/03/2023

Depuis 2018, le village de Luzy et ses 1 900 habitants accueillent des demandeurs d’asile dans l’attente du traitement de leur dossier. Cinq ans plus tard, la commune du centre de la France ne regrette pas d’avoir fait le pari de l’intégration et une poignée d’entre eux y ont bâti leur nouvelle vie. Une aubaine contre le manque de main d’œuvre et la désertification des territoires.

L'équipe de foot de Luzy, sur le calendrier de la commune. 
Crédit : Romain Philips / InfoMigrants
Nouvelle vie

L’équipe de foot de Luzy, sur le calendrier de la commune. Crédit : Romain Philips / InfoMigrants

Hassan Omer Hussein, 32 ans, quitte en 2011 la Somalie, en proie à la famine et victime d’un conflit entre forces gouvernementales et islamistes shebabs. S’ensuit un long parcours à travers le monde. Érythrée, Éthiopie, Soudan… Il reste “25 jours dans le Sahara” puis atteint la Libye, où il passe plusieurs mois en prison. Le Somalien de 32 ans raconte son exil, croisant les bras pour mimer les menottes qu’il avait aux poignets.

Ensuite, vient la dangereuse traversée de la Méditerranée, puis l’Europe. Sur le continent, le périple se poursuit. D’abord en Italie, puis en Belgique et en Allemagne. Il enchaine les petits boulots en étant sans-papiers jusqu’à arriver à Paris, six ans après son départ. Dans la capitale, il passe deux mois à vivre dehors sous un pont près de Porte de la Chapelle quand un jour la police débarque un matin pour évacuer son camp. Il est ensuite envoyé de centre en centre jusqu’à finir sa route à Luzy, un village de 1 900 habitants dans la Nièvre.

Avant d’y être orienté par la préfecture, jamais le jeune homme n’aurait pensé finir dans une petite commune du centre de la France. Aujourd’hui, le trentenaire travaille comme cuisinier au bar de l’église, est membre de l’équipe de foot locale et “connaît tout le monde à Luzy”. Dans les rues, tous vantent son parcours. Mais “les premiers mois étaient difficiles”, témoigne-t-il. “Quand tu es nouveau dans un petit village, tu restes tout le temps à la maison. Tu ne sais pas trop quoi faire”.

Maintenant muni de son statut de réfugié, c’est depuis son propre appartement qu’Hassan raconte son histoire. Un drapeau français rempli le mur du salon. À côté, une bibliothèque avec quelques livres ou encore un manuel de révision du code de la route qu’il s’apprête à passer. Sur la table, un exemplaire du quotidien Libération sur l’accueil des migrants a été scanné accompagné d’un mot : “Bonne lecture. Tes voisins d’en face”. Il recouvre le calendrier 2022 du village, sur lequel figure Hassan, entouré des autres membres de l’équipe de foot.

Omad, demandeur d'asile afghan, s'apprêtant à frapper la balle lors d'une partie de cricket, au Shuda de Luzy.
Crédit : Romain Philips / InfoMigrants
“La gestion de l’attente”

Omad, demandeur d’asile afghan, s’apprêtant à frapper la balle lors d’une partie de cricket, au Shuda de Luzy. Crédit : Romain Philips / InfoMigrants

Cinq ans plus tôt, il faisait partie du premier groupe de demandeurs d’asile à être accueilli au Shuda (structure d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) de Luzy. Depuis fin 2018, 60 places, majoritairement occupées par des Afghans, Bangladais ou Syriens, sont ouvertes dans cet immeuble gris de cinq étages. Ici, environ 50% des personnes obtiennent l’asile, selon la responsable du lieu, Anne Petitbois. C’est la Fédération des œuvres laïques de la Nièvre qui a pris la charge du centre d’accueil après un appel à projet de l’État. Quatre personnes épaulent quotidiennement les demandeurs d’asile dans les procédures administratives et leur quotidien. “La plus grosse difficulté pour eux, c’est la gestion de l’attente. Tant qu’ils n’ont pas de réponses, ils ne peuvent pas se projeter dans l’avenir”, résume Mme Petitbois devant son bureau où s’étalent des dizaines de fiches sur lesquelles sont inscrits les horaires des rendez-vous médicaux des demandeurs.

Installé en bordure du village et entouré de champs à perte de vue, le Shuda, offre un moment de “calme” à des demandeurs d’asile fuyant souvent un passé tumultueux. Après avoir quitté Kaboul suite à la prise du pouvoir des Taliban, Samira Nabizada, son mari et sa fille ont été orientés par les autorités vers Luzy. C’est d’ailleurs ici qu’elle a mis au monde son dernier enfant, un petit garçon maintenant âgé de deux mois. “Les derniers moments que nous avons passés en Afghanistan ont été les plus durs de notre vie. Nous avions besoin d’un tel endroit où nous sommes en sécurité. La nuit, nous n’entendons plus de coup de feu ou d’explosions, donc ici, c’est l’endroit parfait”, témoigne la mère.

>> À (re)voir : Vidéo : “Quand je joue au foot, j’oublie que je suis demandeur d’asile”

Dans le jardin, une bande de jeunes hommes afghans, pour passer le temps, joue au cricket, sport extrêmement populaire en Afghanistan, à côté du potager commun. Avant de saisir la batte et de rejoindre les autres, Naïm, un jeune demandeur d’asile arrivé à Luzy il y a trois mois, raconte être soulagé. “Ici, c’est un lieu sûr”, confie-t-il dans un anglais balbutiant. “Porte de la Chapelle [dans le nord de Paris, ndlr], c’était dangereux et il faisait très froid. Ici, les gens sont incroyablement gentils”. 

“Ils ont vraiment le cœur sur la main”, confirment Mahmoud et Heba al-Alusi. Ils ont quitté la Syrie avec leur fils et ont obtenu leur statut de réfugié il y a tout juste une semaine. “Dès que tu as un problème, n’importe qui dans la rue prend le temps de t’aider ou de corriger ton français”, ajoute le père de famille. Tous sont unanimes, ils ont reçu un accueil qu’aucun n’aurait pu imaginer.

Lors de l'atelier avec Luzy Hospitalité, certains s'essayent au tricot. 
Crédit:  Romain Philips / InfoMigrants
“On se croirait au pays”

Lors de l’atelier avec Luzy Hospitalité, certains s’essayent au tricot. Crédit: Romain Philips / InfoMigrants

Depuis le début, les villageois sont mobilisés pour accueillir et faciliter au maximum leur passage dans la commune. Le collectif Luzy Hospitalité organise, comme toutes les semaines, des ateliers où les migrants sont invités à partager un moment avec les habitants. On y retrouve des habitués comme Noyan, une femme bangladaise venue avec ses deux enfants. Lily, mère d’origine congolaise, est également présente avec son fils et sa fille, sortie de l’école quelques minutes plus tôt. Pour Fidah et Omir, deux demandeurs d’asile afghans, c’est la première fois. Ils apprennent à jouer aux Dominos avec Jean Dollet, un des premiers membres du collectif. Même si aucun ne parle la même langue, ils font connaissance avec quelques mots. Derrière eux, Blessine, la fille de Lily, s’attaque à un portrait de Jean à la peinture pendant que Noah, son frère, empile ses legos. “Nous, notre rôle, c’est de travailler sur la sociabilisation des migrants, car on sait que c’est difficile”, explique, entre deux rires, Jean Dollet, ancien travailleur dans l’humanitaire.

Le collectif, avec d’autres associations locales comme La Casbah et Sceni qua non, organise des soirées pour que migrants et population se rencontrent. Ainsi, certains soirs, ce sont les demandeurs d’asile d’un pays qui sont aux manettes. Ils préparent le repas pour une cinquantaine de personnes, choisissent un film et racontent la vie qu’ils ont quittée. “‘On se croirait au pays’, m’a dit une femme à la dernière soirée. Je pense que c’est le meilleur compliment qu’on puisse entendre”, témoigne Coraline Potier, de la Casbah. “Parfois, ils nous montrent des chants ou des danses de leur pays, c’est vraiment un échange avec tous. Il y a même des habitants des villages alentours qui viennent pour ces rendez-vous”, se réjouit Jean Dollet. Deux fois par semaine, des cours de français sont aussi organisés par des bénévoles dans une salle de l’école primaire de la commune.

Du côté de la mairie, qui avait déjà, depuis 2014, fait voter une déclaration faisant de Luzy une “terre d’accueil”, la maire a sauté sur l’occasion d’ouvrir le centre d’hébergement dès qu’elle s’est présentée. “Le Shuda est intégré dans la totalité des évènements de la commune”, se réjouit Mme Petitbois. Outre l’aspect humain, l’accueil des demandeurs d’asile est aussi un atout précieux pour ces communes dont la population baisse depuis 40 ans. “Le bâtiment où ils sont logés était censé être démoli, avec l’accueil des demandeurs d’asile, il a finalement été rénové. Nous avons eu des renforts dans les écoles pour accueillir les enfants des familles. Et ces jeunes peuvent aussi occuper les emplois qui ne trouvent pas preneurs ici”, explique Jocelyne Guérin, maire de Luzy.

Et effectivement, quand Hassan a déposé ses CV, les réponses ont afflué. “Au bout de deux semaines, l’hôtel, la crêperie, le tabac ou encore la scierie m’ont appelé pour savoir si j’étais toujours disponible”, explique-t-il. “Nous cherchions depuis longtemps un cuisinier”, confirme Christine Olleval-Chiri, qui officie derrière les fourneaux avec Hassan. “D’ailleurs, nous cherchons toujours du monde”.

Pour ceux qui attendent toujours leur régularisation, du bénévolat leur est proposé. L’accès à la piscine municipale leur est également offert, tout comme des places de cinéma. À chaque fois dans la même optique : qu’ils se mêlent à la population.

La famille al-Alusi au Shuda de Luzy.
Crédit : Romain Philips / InfoMigrants
“Il ne doit pas y avoir une seule faille L a famille al-Alusi au Shuda de Luzy. Crédit : Romain Philips / InfoMigrants

Parmi les dizaines de demandeurs d’asile passés par le Shuda, ceux qui ont bâti une nouvelle vie à Luzy font toutefois figure d’exception. Les emplois disponibles, souvent peu qualifiés, ne correspondent pas forcément aux attentes des réfugiés et sont parfois des métiers éreintants. Embauché dans le bâtiment, Reza, un Afghan arrivé en 2018 à Luzy, se dit “jeune, donc capable de faire ce métier difficile”. Mais pas indéfiniment. “Je ne pense pas rester toute ma vie à Luzy. Je pense à me rapprocher d’une grande ville pour trouver un travail moins difficile que la maçonnerie”, dit-il.

>> À (re)lire : Comment favoriser l’insertion professionnelle des migrants en France ?

La famille al-Alusi, elle, a décidé de quitter ce village isolé. “Ma femme veut reprendre les études de droit qu’elle a commencé en Syrie. Et moi, je veux retrouver un emploi dans la défense des droits de l’Homme. Ce n’est pas possible ici”, détaille Mahmoud. “Et sans transport, c’est assez compliqué”. Pour leurs cours de français, les réfugiés doivent par exemple se rendre à Nevers, à environ 1h30 de train de Luzy. Mais parfois, “il faut attendre 2, voire 3h, pour avoir un train pour revenir” au Shuda. Même constat pour Samira Nabizada : “Ici, il n’y a pas d’université, nous ne pouvons pas poursuivre notre parcours”, explique-t-elle.

Si le projet fait aujourd’hui figure de réussite, avant son lancement, il a suscité de l’animosité. Comme dans d’autres communes françaises, l’inquiétude avait pris les habitants à l’annonce de l’accueil de demandeurs d’asile. Lors d’une réunion publique, une quinzaine de personnes “extérieures à Luzy”, selon la Maire, ont perturbé la séance. Ils ont accusé les migrants d’être des “voleurs ou encore des violeurs”, se remémore l’élue. “Les gens vont fuir Luzy”, ont-ils aussi avancé. Un discours qui a répandu la peur dans l’assemblée, mais qui est devenu “tellement violent que les gens se sont levés, les ont sifflés et les ont fait sortir”, raconte la Maire, qui se réjouit d'”une belle victoire”. En évoquant les autres villes, dont certaines ont cédé face à la contestation, elle ne s’étonne guère : “Quand on a ce genre de projet, il faut le préparer solidement avec tous les acteurs. Il ne doit pas y avoir une seule faille”.

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