Arrivée du Cameroun en France à l’âge de 5 ans, Charlène Cazenave est apatride. De procédure en procédure, sa demande de nationalité est grippée dans d’inextricables rouages administratifs depuis des années. Le 14 mars prochain, le tribunal de Bordeaux doit se prononcer sur l’authentification de son acte de naissance.

Derrière ses grandes lunettes de soleil, Charlène Cazenave dit avoir dormi seulement deux heures la nuit passée. Depuis plusieurs mois, l’angoisse l’agite. Elle a apporté tous ses papiers dans son sac à main. Tout est scrupuleusement rangé dans un classeur ou stocké dans son ordinateur. Lettres aux préfets, au garde des Sceaux, attestations du consulat, de l’ambassade, fiches de paie…

À bientôt 29 ans, Charlène conserve toutes les preuves de son périple administratif pour obtenir des papiers français. Elle n’a ni carte d’identité, ni passeport, ni carte vitale… Et pourtant, elle n’a connu que « ça », la France. Sans cette régularisation, Charlène raconte une vie dans une « prison sans barreaux » : elle ne peut pas passer le permis de conduire, ni se pacser ou se marier, ni prendre l’avion… Même récupérer un simple colis à la poste s’avère une « galère ».

Erreurs administratives

À l’origine de cette situation ubuesque, des erreurs dans l’acte de naissance rédigé au Cameroun. Charlène est arrivée au Pays basque, à l’âge de 5 ans, quelques mois après ses grands frères, Willy et Maxime. Si ce dernier a pu obtenir des papiers français récemment, Charlène et Willy sont toujours dans l’attente.

« Ma mère est devenue française à la fin des années 90. Seulement, elle ne nous a pas notifiés dans son décret de nationalité française. »

Charlène montrant un courrier adressé au consulat du Cameroun (VB/Rue89 Bordeaux)

Charlène explique que sa mère a « tardé à faire les papiers ». Et au lieu de se rendre « elle-même » dans leur ville natale pour récupérer les actes de naissance de ses enfants, elle est passé par un intermédiaire qui a fourni des actes de naissance erronés. Charlène est née à Akonolinga, et non à Mekomo. L’administration française fait ses recherches auprès de l’ambassade du Cameroun, aucun acte de naissance n’est répertorié à Mekomo au nom de Charlène.

L’histoire se répète une deuxième fois. Sur le nouvel acte de naissance, la ville est correcte mais son prénom est mal orthographié et son nom de famille n’est pas complet. Pourtant Charlène a un autre document qui peut appuyer sa demande : un acte de reconnaissance du mari français de sa mère, aujourd’hui décédé.

En 2017, Charlène fait une « demande gracieuse » auprès du tribunal de Bayonne. Le tribunal établit alors une conformité entre les différents documents d’état civil camerounais. Car entre-temps, Charlène est parvenue à récupérer son « vrai » acte de naissance, auprès des autorités camerounaises, via le Service central de l’état civil (SCEC) basé à Nantes. Ces erreurs rectifiées, le certificat de nationalité française devait lui être délivré. Cet ultime document doit lui permettre de transcrire son acte de naissance camerounais dans l’état civil français. Mais l’histoire est loin d’être terminée.

Compter les jours

La suite se déroule à Bordeaux, où vit désormais Charlène. Après une première demande, le tribunal de Bordeaux refuse de lui délivrer le certificat de nationalité française. Charlène et son frère sont accusés d’être des « faussaires », en références aux premiers actes de naissance erronés. « Nous avions 5 ans et 8 ans, nous n’avions pas choisi d’être dans cette situation », résume Charlène. La procureure leur enjoint alors de demander la nationalité camerounaise. Charlène « n’en revient pas », d’autant plus que sa « vie est ici », et que le Cameroun « n’accepte pas la double nationalité ».

En juillet 2021, après des mois d’attente, Charlène reçoit une authentification de son acte de naissance par le consulat du Cameroun à Paris, suite à une demande du tribunal de Bordeaux. L’audience est fixée au 20 septembre 2021 mais la procureure reçoit l’authentification le 21 septembre. La date d’audience est repoussée au 10 janvier 2022. Pendant ce temps, Charlène « compte les jours un par un », espère voir le bout du tunnel.

Seulement, le parquet de Bordeaux n’a pas formulé ses conclusions. Cette fois, le juge ordonne une injonction de conclure au parquet de Bordeaux, une mesure de pression qui oblige l’institution à rendre ses conclusions. L’audience est fixée au 14 mars 2022.

« Sous tutelle »

« Le cul entre deux chaises », Charlène n’a surtout pas de pays. Elle est apatride. Une situation qu’elle a souvent « caché » à ses proches et ses amis. Au collège et au lycée, Charlène était sociable et s’entendait bien avec tout le monde. Mais sa situation la rattrapait lors de situations anodines, comme les voyages scolaires. Quand toute sa classe partait à Londres, Charlène restait chez elle. Pas de papiers d’identité, pas de voyage.

Charlène, à Bordeaux (VB/Rue89 Bordeaux)

Après un bac +5 en marketing opérationnel et communication digitale, Charlène aimerait se lancer à son compte comme conseillère en image ; un métier qu’elle dit « intimement » lié à son parcours. Pour s’échapper de son quotidien, elle alimente son compte Instagram, suivi par plus de 3000 personnes, avec des photos de mode d’elle prises par des photographes.

Le filtre lisse des réseaux sociaux lui sert de « masque ». Car dans la « vraie » vie, elle dépend des autres. Pour louer un appartement, elle doit demander à son avocate des attestations. Son contrat de téléphone est au nom d’une amie. « Je ne peux rien faire par moi-même, je suis sous tutelle », résume t-elle.

Aujourd’hui, Charlène dit être « à bout » de penser tous les jours à « ça ». Fatiguée aussi de devoir « toujours se justifier », alors « qu’elle n’a rien fait ». Le sentiment, aussi, d’avoir « perdu sa vingtaine » et d’être aujourd’hui rattrapée par le temps. Depuis plusieurs mois, elle ne dort plus. « Je suis en pilote automatique depuis des années », conclut-elle. Le 14 mars, elle l’attend, comme une « reconstruction ».

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