Dans son nouveau film « Goliath », le réalisateur et scénariste Frédéric Tellier interroge les rapports profondément déséquilibrés entre deux paroles qui s’affrontent ; au cœur d’une société déréglée par la poursuite aveugle du profit. D’abord celle des lobbyistes et des multinationales agroalimentaires : méthodique, truquée et désincarnée, mais jouissant d’un relai politique et médiatique écrasant. Et puis celle des citoyens, des activistes et des victimes : plus faible, mais pugnace, emprunte de vérité et de bon sens. Cette mosaïque cinématographique largement inspirée de faits réels rappelle sans le nommer le dossier glyphosate, toujours ouvert sur la table des négociations européennes à l’heure actuelle. Grâce à des acteurs de renoms emportés par la profondeur et la complexité du sujet, Frédéric Tellier signe ici un film engagé et engageant sur les envers sinistres de l’agriculture contemporaine. A voir d’urgence.

France, professeur de sport le jour et ouvrière logistique la nuit, se bat contre la tétrazine, un pesticide responsable du cancer de son mari. Mathias, lobbyiste brillant et sans affect, défend les intérêts des géants de l’agrochimie tandis que Patrick, avocat environnementaliste affaibli par les méandres de la vie et lanceur d’alerte en devenir, représente les plaignants.

Trois destins qui se heurtent au détour d’un acte originel irréductible : le suicide d’une jeune agricultrice, désespérée par la léthargie et l’impuissance du monde face à la mort coupable de son épouse.

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Un film largement inspiré de faits réels

Magistralement campés par Emmanuelle Bercot, Gilles Lelouche et Pierre Niney, les personnages du film Goliath détricotent les coulisses obscures de l’agrobusiness moderne. « Le scénario de « Goliath » tresse entre elles des dizaines d’anecdotes réelles, mais nous les avons modifiées et « fictionnalisées ». Aucune anecdote n’est réelle à 100%, mais tout est vrai à 99% », raconte ainsi Simon Moutaïrou, le co-scénariste.

Et pour cause : c’est avant tout la disproportion des forces en présence qu’illustre parfaitement le long métrage.

Goliath © Christine Tamalet – SINGLE MAN

D’un côté les victimes directes ou indirectes des ravages sanitaires des pesticides, démunies face aux drames personnels qu’elles traversent et parfois soutenues par des associations et militants aux moyens limités ; et de l’autre des multinationales richissimes qui murmurent aux oreilles des médias et des politiques, quand elles ne leur dictent pas directement leur discours. Soutenez Mr Mondialisation sur Tipeee

« On voit aussi dans le film la mobilisation de la société civile dans sa diversité, le rôle éminent des avocats engagés, les enjeux autour de la connaissance scientifique et de l’évaluation des substances et des produits, qui sont des réalités quotidiennes de notre combat contre les pesticides », développe aussi François Veillerette, porte-parole de l’association Générations Futures, qui a aidé à la véracité du scénario.

Au commencement, un déclic citoyen

Pour Frédéric Tellier, scénariste et réalisateur du film, tout débute par la découverte fortuite du Livre noir de l’agriculture d’Isabelle Saporta, qu’il identifie comme un véritable déclic.  « Cette lecture a d’abord commencé par bouleverser ma vie de citoyen et de consommateur. Je me disais que ce constat sur l’état de notre agriculture, de notre civilisation, sur notre manière de consommer, notre capacité à ne pas voir le chaos autour de nous, correspondait en fait à notre histoire individuelle autant que collective », confie-t-il.

Gilles Lelouche dans Goliath © Christine Tamalet – SINGLE MAN

Il aura finalement fallu plus de 5 ans de travail et de recherches pour permettre au réalisateur de comprendre « comment on arrive paradoxalement à produire une agriculture si performante, alors qu’on jette tant d’excédents de cette production à chaque fin de mois, et que dans un silence très dérangeant un agriculteur se suicide tous les deux jours, de désespoir, d’épuisement, de dettes », raconte Frédéric Tellier.

Le cinéaste s’est également heurté au silence assourdissant de certains acteurs de ce milieu très opaque : « peu de livres parlent du milieu des lobbies, et très peu de lobbyistes de l’agrochimie, d’hommes politiques soi-disant engagés ou de journalistes spécialisés acceptent de raconter, de témoigner ».

Ceux qui murmuraient à l’oreille des politiques

Aux côtés de Simon Moutaïrou et fort de ces années d’investigation, il imagine ensuite la dramaturgie de « Goliath », cette épopée moderne qui tire son nom du combat biblique entre deux adversaires aux forces inégales.

Les deux hommes exposent alors avec pédagogie et réalisme les mécanismes de confiscation du Vivant qu’emploient Monsanto, Bayer, Syngenta et autres grandes sociétés agroalimentaires, ainsi que les méthodes d’immixtion des lobby qui défendent leurs intérêts dans le débat public et politique.

Si les coupables sont désignés d’avance, ce drame chorale questionne également le poids d’un silence complice qui appelle chaque spectateur et citoyen à s’interroger sur son propre (non-)engagement.

Pierre Niney dans Goliath © Christine Tamalet – SINGLE MAN

Pauline Boyer, porte-parole du réseau Alternatiba, un mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, qualifie « d’utilité publique » ce film qui « met en scène ce contre quoi nous luttons : la corruption, la désinformation et la cupidité qui entraînent la destruction du vivant. »

S’il déroule « la réalité glaçante d’un monde gangrené par les lobbies qui dictent leurs lois à l’oreille des politiques », il démontre également selon elle « que le système tient grâce à une poignée de personnes influentes qui s’accommodent du pire pour de l’argent, mais aussi que ce système est menacé par le passage à l’action de milliers d’autres qui le refusent ».

De quoi appeler de ses vœux une prise de conscience massive et imminente du grand public, à laquelle contribue incontestablement le film « Goliath », en salle depuis le 9 mars.

Ils sont en train de s’accaparer les ressources alimentaires de la planète. Ils sont en train de privatiser le Vivant. Que faisons-nous ?

L.A.

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