Grand Prix au festival Entrevues de Belfort, en 2020, le film de Joël Akafou capte le quotidien d’un Ivoirien de Turin à Paris, sans enjoliver son parcours.

Par Clarisse Fabre Publié le 05 janvier 2022 à 10h09

« Traverser », de Joël Akafou.
« Traverser », de Joël Akafou. TRAVERSER/JOËL AKAFOU

Dans la quantité de films sur les migrants qui sont produits, tous utiles et précieux, certains relatent l’épopée de la traversée, d’autres se concentrent sur l’attente et les contrôles dans le pays d’arrivée, une troisième catégorie encore se focalise sur les bénévoles qui aident ou hébergent les réfugiés. Mais on avait rarement vu jusque-là un réalisateur s’approcher d’aussi près d’un candidat au titre de séjour, sans chercher uniquement à le victimiser ou à l’héroïser. Grand prix Janine Bazin au festival Entrevues de Belfort, en 2020, Traverser, de Joël Akafou, surprend par le ton de son cinéma direct, pas du tout politiquement correct. Nous voici emmenés dans un flot de paroles enregistrées sur le vif, véritable musique ou flow qui rythme le film et lui donne une tonalité joyeusement désespérée.

Jeune Ivoirien, Inza Junior Touré, alias « Bourgeois », débarque à Turin (Italie), dreadlocks et diamants aux oreilles. Il vient de quitter le camp de migrants et vit chez sa copine Michelle, avec son bébé. Mais il rêve aussi de « passer » en France où l’attend Aminata. Ce n’est pas que Bourgeois s’amuse à mentir à l’une ou à faire miroiter une histoire à l’autre : il n’y a simplement pas de relation possible quand on n’est pas libre d’habiter où l’on veut. L’amour devient, dès lors, stratégie : faut-il rester à Turin ou prendre le risque de rejoindre Paris ? De ses conversations avec ses copains ivoiriens qui arrivent à leur tour jaillissent quelques fulgurances sur d’autres relations, politiques et historiques celles-là, entre l’Europe et de l’Afrique. Souvent pendu au téléphone, Bourgeois s’inquiète et sème le désordre dans sa vie. Le voir seul devant la gare du Nord, à Paris, cherchant un endroit où dormir, est un grand moment de mélancolie.

Traverser est le deuxième volet d’une trilogie entreprise par le réalisateur ivoirien Joël Akafou, après le stupéfiant Vivre riche (2017), primé au festival Visions du réel, à Nyon (Suisse). On y découvrait Bourgeois et quelques amis – l’un se faisant appeler « Rolex » ! – pratiquant des arnaques sur Internet. Joël Akafou filmait sans filtre la petite bande décomplexée, de même qu’il suit le quotidien dépressif de Bourgeois dans Traverser. C’est aussi à ce prix que le personnage sort du terme générique de « migrant », pour nous apparaître comme un individu, sous toutes ses facettes plus ou moins brillantes. A travers Bourgeois, Joël Akafou dessine le portrait d’une jeunesse épuisée avant l’heure, coincée dans sa prison mentale, chaque « traversée » apportant son lot d’attentes et de déceptions. Lorsque Joël Akafou avait tenté de dissuader Bourgeois de quitter la Côte d’Ivoire, celui-ci lui avait répondu : « Je préfère mourir en mer que mourir devant ma mère. » Une phrase terrible qui nourrit le moteur du ciné mal élevé d’Akafou.

Bande-annonce “Traverser” de Joël Akafou from VraiVrai Films on Vimeo.

Documentaire français, belge et burkinabé de Joël Akafou (1 h 17).

Clarisse Fabre

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