Par Recueilli par Is. de Montvert-Chaussy
Publié le 01/04/2020

“Cette pandémie vient ébranler plus que jamais nos certitudes sur la toute-puissance de nos savoirs”. Écrivain et poète, Gabriel Okoundji est aussi psychologue clinicien à Charles-Perrens, où actuellement, il est amené à accompagner aussi des soignants pour les aider à affronter la crise sanitaire. 

Quel accompagnement pour les personnels hospitaliers confrontés à l’angoisse des patients et à leurs propres peurs ?

Gabriel Okoundji. Face à ce fléau, la situation des soignants dans un hôpital comme le nôtre reste une épreuve complexe qui se joue à deux niveaux. D’un côté, il y a la médecine générale qui se bat pour sauver la vie des patients victimes du Covid-19 et, de l’autre, la psychiatrie aux prises avec des patients déjà fragilisés qu’il faut encore plus que jamais rassurer et soigner, car manifestement affectés par les bouleversements liés à cette pandémie.

Le fonctionnement communautaire de la psychiatrie en unités de soin n’aide pas au confinement.

Il apparaît que la psychiatrie est laissée au second rang dans la gestion de cette crise, d’autant que son fonctionnement communautaire en unités de soin n’aide pas au confinement. Dans les hôpitaux psychiatriques, manquent encore des masques adéquats qui faciliteraient une relation de soins capable d’apaiser les patients, tout en évitant la propagation du virus. Un tel contexte expose à un vécu émotionnel angoissant qui ébranle encore plus les soignants. De fait, que ce soit en médecine générale ou en psychiatrie, l’accompagnement des soignants est primordial pour prévenir autant que possible chez eux les réactions de détresse (insomnie, anxiété, colère, …) les comportements à risque (alcool, tabac, …) et les troubles (anxieux, dépressif, stress post-traumatique, …).

"Un tel contexte expose à un vécu émotionnel angoissant qui ébranle encore plus les soignants."

“Un tel contexte expose à un vécu émotionnel angoissant qui ébranle encore plus les soignants.”  © Crédit photo : pixabay

Et comment cet accompagnement se déroule-t-il ?

  • Avant toute chose, il faut légitimer l’état émotionnel des soignants (Le Covid-19 nous est une étrange-étrangeté, une menace jamais connue. Il est donc bien normal de se sentir sous pression dans cette situation, d’avoir peur d’être contaminé mais pas seulement…). Ensuite, étayer l’écoute, conforter la demande de soutien, assurer, réassurer, valoriser les efforts individuels et collectifs entrepris dans le processus de soin au sein de l’équipe…, ce portage empathique des soignants facilite l’expression de leurs angoisses et aide à discerner entre stress perçu (sentiment de ne pas être en mesure de faire face à la situation) et compétences professionnelles réelles.

Il faut accompagner les soignants dans leur capacité à élaborer des stratégies de gestion du stress, face aux menaces éventuelles de l’épuisement émotionnel et son corollaire, l’épuisement professionnel.

Car dans la précipitation des actes et l’avalanche des décisions qui émanent de toutes parts, il importe de garder à l’esprit que ce qui semble faire urgence n’est pas toujours du registre de la nécessité. Donc accompagner les soignants dans leur capacité à élaborer des stratégies de gestion du stress, face aux menaces éventuelles de l’épuisement émotionnel et son corollaire, l’épuisement professionnel. Au sein de l’hôpital Charles-Perrens, comme dans le reste des hôpitaux de France, cette aide s’effectue désormais par téléconsultation et exceptionnellement, en relation duelle.


Qu’est-ce que ces peurs nous révèlent ?

L’aspect spectaculaire des épidémies suscite des angoisses et des peurs, cela n’est pas nouveau. Cependant, un tel phénomène au XXIe siècle, au moment même où l’homme s’apprête à conquérir davantage l’univers avec des projets d’aller sur Mars, revêt un aspect singulier.

Cette pandémie vient ébranler plus que jamais nos certitudes sur la toute-puissance de nos savoirs qui nous ont donné le sentiment d’être les maîtres du monde. Mais la vie est un phénomène des plus étonnants, des plus étourdissants et des plus miraculeux. Elle est une œuvre mystérieuse qui chaque matin renouvelle ses énigmes. Elle nous échappe donc. Alors il nous faut avoir l’humilité d’un Jean Hamburger par exemple, lorsqu’il nous guide vers l’évidence de ce propos : “Les Hommes ont eu l’audace de rectifier la marche naturelle des choses, mais après avoir gagné tant de batailles, ils ont parfois oublié le sens des victoires et de la lutte, au risque de compromettre la prodigieuse aventure de la vie.”

 “Les Hommes ont eu l’audace de rectifier la marche naturelle des choses, mais après avoir gagné tant de batailles, ils ont parfois oublié le sens des victoires et de la lutte, au risque de compromettre la prodigieuse aventure de la vie.” (Jean Hamburger)

Vous citez Jean Hamburger comme un précurseur, pour quelles raisons ? Son attachement à la dimension humaine de la médecine ?

Jean Hamburger a créé la réanimation médicale, discipline aujourd’hui au cœur du combat contre le Covid-19

Il y a tout d’abord l’actualité qui me fait ressouvenir de son nom. J’honore cette figure de l’histoire car, même si peu de gens en gardent mémoire, c’est lui qui a créé la réanimation médicale, discipline aujourd’hui omniprésente dans l’esprit du grand public, car au cœur du combat contre le Covid-19. Jean Hamburger, grand humaniste, éminent savant, passionné des arts et de la poésie, fut un médecin exceptionnel, qui voua sa vie à son métier, tout entier à l’écoute et au service des malades. Chercheur dévoué, il est aussi le père de la néphrologie, de la greffe d’organes, et bien d’autres contributions. Ses réflexions sur la responsabilité de l’Homme face au savoir sont, me semble-t-il, un héritage qui nous enseigne qu’il nous faut indubitablement repenser le sens du vivant au-delà de l’humain.


Pourquoi dites-vous “Indubitablement, il nous faut repenser le sens du vivant…”

Le surgissement de cette pandémie nous amène non seulement à la remise en question de notre toute puissance, mais aussi de notre rapport à l’environnement. L’évidence est que l’Homme, quoique loin d’avoir arraché à la nature tous ses secrets, s’est octroyé le droit de conquérir cette planète qu’il exploite à l’infini. Ce faisant, il s’est éloigné d’elle, mais aussi, à bien y regarder de près, de lui-même, au point de se comporter désormais comme un étranger au reste du monde du vivant, alors que la nature et l’environnement sont le fondement commun de tous les êtres, interdépendants entre eux. Le monde vivant est un, et il repose assurément sur les genoux d’une fourmi, dit le poète en moi.

Et qui conclut ? Le poète ? Le clinicien ?

Le Covid-19 est une épreuve que le génie humain vaincra. Point de doute. Mais au sortir de cette épreuve, la vraie bataille sera de changer radicalement notre modèle de développement. Cela ne se fera harmonieusement que si nous prenons, en amont, le temps de méditer sur nos origines depuis les premiers hommes, les causes de l’univers, la signification du monde, le chemin accompli par l’humanité, l’éthique de notre histoire, le sens de notre vie, etc. Ainsi naîtront sur la terre de nouveaux axes de production, d’exploitation des richesses, de rapport Nord-Sud, de relation respectueuse du vivant, …Poète ou Clinicien, je ne le sais. Tout est un.

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