Depuis l’échec des négociations entre Israël et le Hamas pour prolonger la trêve humanitaire, l’armée israélienne frappe de nouveau sans relâche la bande de Gaza. Contrairement à ce qu’elle avait annoncé, elle s’attaque désormais officiellement au sud de l’enclave palestinienne. 

Céline Martelet

4 décembre 2023 à 12h27

Comme un scénario qui se répète sans fin. Partir, tout abandonner ? Ou rester et vivre avec cette angoisse immense de mourir avec ses enfants sous une frappe aérienne ? Après les habitant·es du nord de l’enclave puis celles et ceux de la ville de Gaza, c’est aujourd’hui aux familles du Sud de se poser ces questions.

Juste avant Rafah et la frontière égyptienne, la ville de Khan Younès compte 150 000 habitant·es en temps normal. Au début de la guerre, l’armée israélienne l’avait définie comme « zone sécurisée » où les Palestinien·nes du nord de l’enclave pouvaient se déplacer. Mais ce premier week-end de décembre, elle a diffusé en arabe, sur les réseaux sociaux, des messages appelant ses habitant·es à quitter leurs maisons, leurs appartements en urgence, pour aller à Rafah. Elle a également largué des milliers de tracts au-dessus de la localité.  

« Je ne sais pas ce qu’on doit faire. On a peur », nous écrit Asma. Depuis le début de la guerre, elle a rejoint ses parents et sa sœur dans une maison du centre de Khan Younès. « Je ne peux pas partir. Mon père est âgé, il a 92 ans. Ma mère aussi est très vieille. Ils ne peuvent pas marcher. » La famille n’a aucun moyen de locomotion. Et même si elle avait une voiture, il n’y a pas de carburant dans l’enclave palestinienne, qui vit sous un blocus total depuis plus de cinquante jours.

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Des Palestiniens dans un immeuble détruit par des frappes israéliennes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 4 décembre 2023. © Photo Mohammed Abed / AFP

Dimanche 3 décembre, Asma enregistre un message audio. Elle semble épuisée : « La nuit a été terrible, il y avait des bombardements juste à côté de chez nous. Je les voyais de ma fenêtre. On est chez nous dans cette maison. On ne veut pas sortir, on veut rester ici. » En 1948, les parents d’Asma ont déjà vécu la Nakba, le déplacement forcé de 700 000 Palestiniens à la création de l’État d’Israël. Ils étaient enfants mais n’ont pas oublié. 

Rester chez soi, mais jusqu’à quand ? Selon le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 160 Palestinien·nes ont été tué·es dans des bombardements dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 décembre. De son côté, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, parle de 316 morts au moins depuis la reprise de l’offensive.

Les hôpitaux débordés

Sur les réseaux sociaux, les journalistes palestinien·nes publient à nouveau des images d’habitations éventrées dont sont extraits les corps de familles entières. Les mêmes images encore. La même détresse dans les regards des survivant·es. Comme l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, il y a quelques semaines, les centres hospitaliers de Khan Younès ne peuvent plus faire face à l’afflux de personnes blessées. 

Sur une vidéo diffusée par le journaliste palestinien Mohamed H. Masri, une petite fille d’une dizaine d’années hurle de douleur sur un brancard. L’enfant a la jambe droite déchiquetée au niveau de la cuisse. Un plaie béante. Son gilet violet est couvert de poussière et de sang. Un médecin lui répète « N’aie pas peur » et tente de lui faire une piqûre. Sa mère en larmes lui tient la main, l’embrasse et crie : « C’est une tragédie, mon Dieu ! » Elle aussi est couverte de poussière et de sang.

Sur le même brancard, un autre enfant, un petit garçon, ne bouge plus, recroquevillé sur lui-même. Cette famille se trouvait à Deir al-Balah, à quelques kilomètres au nord de Khan Younès, lorsqu’elle a été victime d’un tir de l’armée israélienne vendredi soir, quelques heures seulement après la fin de la trêve. 

En étendant nos opérations militaires, […] nous frappons le Hamas, nous éliminons plus de terroristes, plus de commandants, plus d’infrastructures.

Yoav Gallant, ministre de la défense israélien

Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou n’avait pas caché son intention de reprendre massivement son offensive aérienne et terrestre si les négociations pour la libération des otages échouaient. Le Hamas va recevoir la « pire des raclées », a promis vendredi Eylon Levy, son porte-parole.

« En étendant nos opérations militaires, […] nous frappons le Hamas, nous éliminons plus de terroristes, plus de commandants, plus d’infrastructures terroristes, plus de tunnels », a affirmé le ministre de la défense, Yoav Gallant. Les appels à la retenue de la communauté internationale, des États-Unis, de l’ONU, pour protéger les civils semblent n’avoir aucun écho au sein du gouvernement israélien.

Benyamin Nétanyahou a lui aussi été très clair : « Nous allons gagner cette guerre et atteindre tous nos objectifs. » Le premier ministre l’a promis : son armée va éradiquer le pouvoir du Hamas et obtenir la libération des 136 otages toujours retenu·es dans la bande de Gaza. Depuis la fin de la trêve, le Dôme de fer, système de défense antimissile d’Israël, a intercepté des centaines de roquettes tirées depuis l’enclave palestinienne, 250 selon l’armée israélienne. 

La ville de Rafah, dernière étape

La grande majorité des 2,6 millions d’habitant·es de la bande de Gaza s’entassent désormais dans le sud de l’enclave palestinienne. Dès la reprise de l’offensive de l’armée israélienne sur la ville de Khan Younès et ses alentours, des milliers de personnes ont pris la route pour rejoindre Rafah, la ville collée à la frontière égyptienne.

Après Rafah, il n’y aura plus de fuite possible. Dans cette ville, les écoles transformées en refuges par l’ONU sont remplies. Les mosquées, les gymnases, les salles des fêtes ne peuvent également plus recevoir de nouvelles familles.

« Rafah devient une ville sursaturée, c’est du jamais-vu. Il n’y a pas d’endroits pour  accueillir tout le monde. Nulle part. Il reste désormais deux rues pour sortir de Khan Younès et venir à Rafah, toutes les autres sont bloquées », raconte Rami Abou Jamus, journaliste palestinien qui a dû quitter Gaza City.

Rafah, comme le reste de la bande de Gaza, a également été bombardée ces dernières heures. Des familles entières ont été décimées, certaines avaient fui le Nord pour se mettre à l’abri dans le Sud comme l’avait conseillé l’armée israélienne.

La bande de Gaza vit depuis plus de 50 jours sous un siège total.

Rafah est aussi une ville qui manque de tout. L’aide humanitaire est certes entrée via l’Égypte durant la trêve, mais elle a surtout été distribuée dans les écoles de l’ONU. Elle n’est pas arrivée jusqu’aux Gazaoui·es qui ont trouvé refuge chez des proches ou dans des appartements, des maisons. « Bien que cette accalmie ait permis une légère augmentation des flux d’aide humanitaire, les conditions de vie sont loin de s’améliorer et la quantité d’aide qui traverse la frontière est tout à fait insuffisante pour répondre aux besoins de l’ensemble de la population », écrit Action contre la faim, dans un communiqué publié le vendredi 1er décembre.

L’ONG ajoute : « Ces jours-ci, nous continuons à observer des pénuries alimentaires croissantes. Les adultes limitent leur consommation de nourriture pour que les enfants puissent avoir accès aux repas. L’eau potable est très rare et les autres sources d’eau sont de moins en moins sûres en raison de la contamination croisée par les eaux usées, l’eau de pluie et l’eau des puits. »

La bande de Gaza vit depuis plus de cinquante jours sous un siège total. Dans les commerces encore ouverts, le prix des denrées alimentaires explose. « La situation empire de jour en jour. Nous devons acheter de l’eau et l’économiser ensuite. Tout devient très cher. Au début, pour faire du pain, on achetait un sac de farine 35 shekels [8 euros – ndlr], maintenant c’est 250 shekels. Imaginez le prix des autres produits alimentaires ! »,témoigne Youssef depuis le camp de réfugié·es de Nuseirat.

Il poursuit dans un message écrit sur WhatsApp le samedi 2 décembre : « Nous sommes encore en vie mais je n’ai pas assez d’argent. J’ai réussi à trouver un peu d’électricité pour recharger mon téléphone mais je ne sais pas quand je pourrai à nouveau me brancher. »  

Très loin de la bande de Gaza, dans les couloirs de la Maison-Blanche, à Washington, l’espoir d’une nouvelle trêve dans les combats a disparu. Il n’y a pas de « négociations officielles » pour une deuxième trêve humanitaire et une nouvelle libération d’otages, a prévenu dimanche après-midi le porte-parole du Conseil de sécurité national américain.

Céline Martelet

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