En France, la guerre en Ukraine a entraîné un élan de solidarité, poussant de nombreux Français à ouvrir leurs portes aux déplacés. Face à un conflit qui s’enlise, cet accueil, au départ prévu dans l’urgence, prend des allures de cohabitation à long terme, avec son lot de charges administratives et financières.

“On cuisine ensemble, on fait le ménage ensemble. On vit comme une famille”, raconte Tatiana Dumaine qui héberge une Ukrainienne, ses deux filles âgées de 2 ans et 7 ans, et leur grand-mère. Mais après plus d’un mois de cohabitation, la réalité de la colocation solidaire l’a rattrapée, elle et son mari. “On est un peu serrés dans notre appartement”, admet cette habitante du 17e arrondissement de Paris. La maîtresse de maison et son mari ont installé un matelas gonflable sur leur mezzanine. C’est ici que dorment la mère de famille et sa benjamine. La grand-mère et l’aînée dorment, elles, dans l’unique chambre d’amis.

Malgré le manque d’espace, le couple assume son choix d’accueil spontané, sans faire appel aux services de l’État ou à une association spécialisée dans l’accueil chez l’habitant. Un choix qui ne suit pas la procédure officielle française : avec l’invasion russe de l’Ukraine, depuis le 24 février, la France a mis en place un dispositif coordonné par chaque préfet. C’est dans ce cadre que sont accueillis la grande majorité des Ukrainiens fuyant la guerre. Ils passent d’abord quelques jours en hébergement d’urgence, dans un gymnase ou à l’hôtel, puis pendant plusieurs semaines, ils sont logés en hébergement collectif, dans des centres de vacances par exemple.

Dans un troisième temps, des logements individuels sont proposés aux déplacés ukrainiens qui ne veulent pas retourner dans leur pays. Ces logements sont “mis à disposition gratuitement ou à un prix modique par les collectivités locales, les bailleurs sociaux ou des citoyens”, selon l’association la Cimade. “L’hébergement citoyen, sous une forme encadrée, sera éventuellement mobilisé en appoint”, précise le ministère de l’Intérieur. (…)

“Il y a eu une énorme mobilisation citoyenne envers les Ukrainiens qui traduit une dynamique d’accueil dans notre pays. Mais accueillir chez soi n’est pas quelque chose d’anodin d’autant plus sur le moyen terme”, soulève Vincent Berne, directeur du dispositif J’accueille, qui accompagne l’hébergement de déplacés chez des particuliers, lancé par l’association Singa. “Le problème, ce sont ceux qui se retrouvent dans une solution de long terme et qui n’avaient pas pris forcément toute la mesure de leur engagement”, abonde Margaux Lemoîne, cofondatrice des “Mamans de Paris pour l’Ukraine”, un collectif qui fédère et coordonne plus de 4 500 parents engagés pour les déplacés en Île-de-France.

Budget limité et complexités administratives (…)

La scolarisation mais aussi l’accès à un emploi deviennent, au bout de plusieurs semaines en France, la clef de voûte pour s’émanciper de la famille d’accueil. Mais c’est aussi un parcours du combattant pour les hébergeurs et “leurs invités” ukrainiens. “Pour que ces familles trouvent un logement individuel, il faut qu’elles travaillent, mais pour trouver un travail, il faut scolariser les enfants ou faire garder les plus petits”, égrène Margaux Lemoîne, des “Mamans de Paris pour l’Ukraine”, qui souligne le manque de place en crèches en Île-de-France. (…)

La barrière de la langue est un autre frein majeur pour l’accès à l’emploi des déplacés, dont la majorité parlent seulement russe et ukrainien (…)

Travailler permettrait aussi aux déplacés de participer aux besoins du foyer qui les accueille. Même si les déplacés ukrainiens bénéficient d’une allocation. Elle s’élève à seulement 6,8 euros par personne et par jour. Les familles ukrainiennes reçoivent, elles, un supplément de 7,4 euros par jour. “Ça aide beaucoup”, se réjouit Tatiana Dumaine, qui concède toutefois “consommer plus d’électricité” et avoir dû “réajuster le budget pour la nourriture”. (…)

“L’État aide quand même beaucoup par rapport à d’autres pays d’Europe, mais en tant qu’accueillant on a droit à aucune aide”, déplore Isabelle. “Dans trente jours, la femme que j’accueille va toucher l’allocation mais moi, j’ai quand même des coûts. On a convenu qu’elle me donnerait une partie, mais elle n’est pas obligée car c’est son argent. Je ne les accueille pas pour l’argent, mais je trouve que l’État pourrait être un peu plus reconnaissant envers ceux qui accueillent des Ukrainiens chez eux sans passer par le circuit de l’État”, poursuit-elle.
“On ne peut pas les laisser tomber”

Pour être aidée, Isabelle se rabat sur les associations d’aide alimentaire. “Si je n’avais pas les Restos du cœur et le Secours populaire, la nourriture aurait été de ma poche. Je ne peux pas les nourrir tout le temps et elles en sont conscientes”, admet-elle.


Elle ne semble pas être la seule à avoir trouvé cette solution. (…)

Pour éviter que l’accueil ne vire au casse-tête, Vincent Bern, le directeur du dispositif J’accueille, conseille “de se rapprocher d’associations pour se faire accompagner dans les démarches avant d’ouvrir ses portes”. (…)

Si cet investissement quotidien est parfois un poids pour les familles accueillantes, Isabelle, elle, souligne d’abord la richesse de cette expérience humaine. “J’ai la chance d’avoir chez moi une famille super reconnaissante. Ce sont des belles personnes, elles sont très courageuses. Je commence à m’attacher à elles”, confie-t-elle. Tatiana Dumaine relativise elle aussi. “Cette expérience a changé beaucoup de choses dans ma vie quotidienne. Mais ce n’est rien par rapport à ces gens qui ont tout perdu. Ils ont vécu des choses tellement difficiles. On ne peut pas les laisser tomber.”

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