Pour la première fois depuis le retour au pouvoir des talibans, mi-août, cette volte-face laisse voir l’expression de désaccords au sein du mouvement.

Par Jacques Follorou

Depuis le revirement des talibans afghans sur le droit des filles de plus de 12 ans d’accéder à l’école, on y voit plus clair sur la nature de leur régime. Cette décision a scellé la victoire des partisans d’une ligne dure au détriment de ceux favorables à des compromis avec la communauté internationale en matière de tolérance et d’intégration, notamment vis-à-vis des femmes. Pour la première fois depuis le retour au pouvoir des talibans, mi-août, cette volte-face laisse voir l’expression de désaccords au sein du mouvement taliban.

Le 23 mars, quelques heures après la réouverture des collèges et des lycées aux filles, ces dernières étaient priées de rentrer chez elles. Un virage brutal qui a suscité l’indignation internationale et conduit les Etats-Unis à cesser toute discussion avec les islamistes. Depuis, le durcissement du régime n’a cessé de se confirmer, infirmant l’engagement de ses dirigeants à ne pas reproduire les règles moyenâgeuses en vigueur lors de leur premier passage au pouvoir entre 1996 et 2001. Lire aussi Article réservé à nos abonnés En Afghanistan, le recul des droits des femmes

Dès le 27 mars, cette politique de mise sous tutelle des femmes s’est poursuivie avec l’annonce par le ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice de la séparation des femmes et des hommes dans les parcs publics de Kaboul, en instaurant des jours de visites pour chaque sexe. Le 28 mars, les compagnies aériennes afghanes recevaient un courrier du même ministère les obligeant à refuser d’embarquer des femmes si elles ne sont pas accompagnées d’un homme de leur famille. Depuis, elles ont confirmé ne plus délivrer de billets à celles souhaitant voyager seules.

Blocage de TikTok

Le gouvernement a ordonné, le 21 avril, le blocage de la plate-forme TikTok et du jeu vidéo PlayerUnknown’s Battlegrounds, accusés de dévoyer la jeunesse. « La jeune génération s’égare », a expliqué le pouvoir, qui a confié au ministère des télécommunications le soin de veiller, par ailleurs, à ce que les chaînes de télévision ne diffusent plus de « contenus immoraux ». La musique et les séries télévisées étrangères ou incluant des femmes ont également été prohibées, de même que les programmes de la télévision britannique, la BBC, sur des médias locaux.

Selon un cadre de l’ONU en Afghanistan s’exprimant sous condition d’anonymat, le choix de cette ligne ultrarigoriste a été fait, à Kandahar, fief historique taliban, par le chef suprême du mouvement, le mollah Haibatullah Akhundzada, sommé de choisir entre les différentes lignes politiques discutées depuis la mi-février. D’après le fonctionnaire international, « le ministère de l’éducation, celui des affaires étrangères, dirigé par Amir Khan Muttaqi, et le vice-premier ministre Abdul Ghani Baradar – ceux en contact avec l’étranger – pensaient, jusqu’au dernier moment, faire entériner le retour des filles à l’école, mais Akhundzada a pris le parti des durs, des militaires et des conservateurs ».

Si la sociologie du mouvement taliban demeure complexe et encore mal définie, on sait néanmoins que plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. La dimension générationnelle – vétérans et jeunes combattants – croise l’origine géographique – sud ou est de l’Afghanistan. S’y ajoute la distinction entre « militaires » et « politiques » ainsi qu’entre pro et anti-Pakistanais. Parmi les ultraconservateurs et la vieille garde, on relève la présence du président de la Cour suprême Abdul Hakim Sharai, du ministre des affaires religieuses Noor Mohammad Saqeb, et de celui de la promotion de la vertu et de la prévention du vice Mohammad Khalid Hanafi.

« Les combattants ne sont pas morts pour que les filles aillent à l’école », disent les soutiens de la ligne rigoriste, « c’est le prix du sang », décrypte un cadre de l’ONU à Kaboul

Grand perdant, le mollah Baradar, cofondateur du mouvement taliban aux côtés du mollah Omar, paie son absence de relais parmi les militaires, et son hostilité au Pakistan. Figure de la « choura (conseil) de Quetta » (sud du Pakistan), où siégeait la direction du mouvement taliban, il avait pourtant mené, avec succès, les négociations avec les Américains ayant conduit, en février 2020, à l’accord de retrait des Etats-Unis, signé à Doha, au Qatar. Incarnant le camp des « politiques », il apparaît affaibli, notamment face au mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, ministre de la défense, qui bénéficie d’un soutien massif au sein des forces de sécurité. « Les combattants ne sont pas morts pour que les filles aillent à l’école », disent les soutiens de la ligne rigoriste, « c’est le prix du sang », décrypte le cadre de l’ONU, à Kaboul.

« Gouvernement ethniquement monocolore »

L’autre figure de poids du mouvement, Sirajuddin Haqqani, ministre de l’intérieur, est le chef du réseau islamiste du même nom implanté de part et d’autre de la frontière afghano-pakistanaise. Tout-puissant dans la région de Kaboul et dans l’Est afghan, réputé proche à la fois des services de renseignement d’Islamabad et de groupes djihadistes dans les zones tribales pakistanaises, comme Al-Qaida, il a longtemps été présenté comme l’un des principaux obstacles à l’ouverture du pays. Finalement, les Haqqani sont apparus soucieux de ne pas le fermer, notamment pour des raisons économiques, car ses membres vivent du commerce.

Dans la revue Moyen-Orient d’avril-juin, Olivier Roy, professeur à l’institut européen de Florence et spécialiste de l’Afghanistan, considère que « les talibans n’ont pas évolué sociologiquement ». D’après lui, « le gouvernement qu’ils ont mis en place est ethniquement monocolore, ce qui en Afghanistan est plus important que la diversification politique. Et, s’ils ont recruté des experts, ceux-ci ne jouent qu’un rôle technique ».

Le 29 avril, le mollah Akhundzada a tenté de répondre aux griefs formulés contre son régime. « Nous respectons et défendons tous les droits de la charia pour les hommes et les femmes en Afghanistan (…) N’utilisez pas cette question humanitaire et émotionnelle comme un outil à des fins politiques. » Selon lui, pour aider son pays, la communauté internationale devrait d’abord reconnaître son gouvernement et rétablir des relations diplomatiques.

Jacques Follorou

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