Un an après le meurtre de Mahsa Amini par la police des mœurs pour un voile « mal porté », l’histoire se répète en Iran. Le sort subi par Armita Garavand, 16 ans, plongée dans le coma depuis le 1er octobre, bouleverse le pays et au-delà.

Rachida El Azzouzi

6 octobre 2023 à 08h48

Son visage inonde les réseaux sociaux, cette photographie notamment où la jeune femme d’origine kurde apparaît les cheveux noirs coupés courts, vêtue d’un sweat rouge. « Say her name » (« retenez son nom »),enjoignent les internautes. « Quand on ne retient pas une leçon et qu’on l’oublie, l’histoire la répète #ArmitaGaravand », énonce un tag tracé sur les murs de la capitale, Téhéran.

Armita Garavand, 16 ans, a sombré dimanche 1er octobre dans le coma alors qu’elle se trouvait dans le métro de Téhéran, à la station Shohada, en route pour le lycée avec deux camarades. Selon les médias d’État, tel le journal ultraconservateur Hamshari, la lycéenne aurait été victime d’une chute de tension artérielle, qui l’aurait conduite à « heurter un côté du wagon ».

Pour appuyer cette version, l’agence de presse iranienne officielle a partagé des images présentées comme étant celles d’Armita Garavand. On la voit entrer dans le métro avec ses amies jusqu’à sa perte de conscience qui aurait eu lieu en sortie de rame. Mais la vidéo est tronquée, il manque plusieurs dizaines de secondes aux images qui sont montées et de mauvaise qualité. 

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Armita Garavand et les images de sa perte de conscience dans le métro de Téhéran. © Photomontage Mediapart

La réalité est tout autre, selon des témoins ainsi que plusieurs ONG, à l’instar de l’organisation kurde de défense des droits humains Hengaw, ou encore selon le site d’information IranWire, qui documente méthodiquement la répression du régime iranien.

Armita Gavarand est dans le coma car elle aurait été agressée par la sinistre police des mœurs (de retour dans les rues du pays depuis cet été) pour défaut du port du voile. D’après un témoin cité par le Guardian, une policière en tchador a commencé à la prendre à partie parce qu’elle était dévoilée à l’intérieur de la rame.

 « La femme vêtue du tchador lui a crié dessus en lui demandant pourquoi elle n’était pas couverte, a déclaré le témoin au GuardianArmita lui a alors dit : “Est-ce que je te demande d’enlever ton foulard ? Pourquoi me demandez-vous d’en porter un ?”

La confrontation serait montée d’un cran, l’agente agressant physiquement l’adolescente jusqu’à la pousser violemment et provoquer sa chute. Un autre témoin, selon le Guardian, affirme qu’Armita Garavand était toujours consciente lorsqu’elle est tombée au sol.

Les images choisies par les autorités ne montrent pas l’intérieur du train mais seulement l’extérieur, alors même que la plupart des wagons du métro de Téhéran sont équipés de caméras de vidéosurveillance.

La mère arrêtée

Transportée à l’hôpital militaire Fajr de Téhéran, Armita Garavand se trouve entre la vie et la mort et sous haute surveillance sécuritaire, tant les autorités ne souhaitent pas revivre le soulèvement populaire exceptionnel qui a surgi après l’assassinat de Mahsa Amini et bousculé la dictature des mollahs, d’autant que les similitudes entre les deux cas sont nombreuses. 

C’est sans doute pour cette raison que les médias officiels ont réagi si vite pour tenter d’éteindre la colère qui monte. D’après Hengaw, Shahin Amadi, la mère d’Armita Gavarand, a été arrêtée mercredi 4 octobre et conduite dans un lieu qu’on ignore à ce jour.

La famille, qui n’a pas le droit de visiter Armita Gavarand, tout comme les amis de la jeune femme, serait acculée par les autorités afin de garder le silence et d’appuyer la version gouvernementale. Mardi 3 octobre, très probablement sous la contrainte des autorités d’après Hengaw, la mère et le père de la lycéenne avaient pourtant « corroboré » auprès de l’agence de presse iranienne la version officielle, décrivant un malaise à la suite d’une chute de tension artérielle. 

L’arrestation de Shahin Ahmadi, si elle était confirmée, pourrait signifier que celle-ci ne croit pas au récit officiel sur ce qui est arrivé à sa fille. 

La crainte que cette dernière ne subisse le même sort que Mahsa Amini hante les activistes. Malgré une répression féroce, le régime iranien ne parvient pas à éteindre la contestation qui a dû se réinventer collectivement et individuellement.

Ne pas porter le voile obligatoire, pilier de la théocratie des mollahs, est l’une des résistances notables désormais à l’œuvre en Iran, un pays transformé par « une poussée révolutionnaire féministe » inédite, comme l’expliquait récemment l’anthropologue iranienne Chowra Makaremi dans un entretien à Mediapart.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à sortir tête découverte au risque de leur vie et alors même que le régime durcit l’arsenal législatif, déjà impitoyable, pour traquer celles qui bravent l’interdit, notamment au moyen de cette police des mœurs née en 2006 sous Ahmadinejad (2005-2013), pour « répandre la culture de la décence et du hijab ». Armita Gavarand l’illustre tragiquement. 

Enfermement culturel

« Le comportement du gouvernement montre sa tentative désespérée d’empêcher la vérité d’être révélée », a partagé en anglais sur son compte Instagram (géré par sa famille), depuis la prison d’Evin où elle est détenue, la célèbre journaliste et militante des droits humains Narges Mohammadi, condamnée à 32 ans de prison et 154 coups de fouet lors de six procès. 

En juin, elle faisait clandestinement sortir de ses geôles une lettre publiée par le journal Le Monde trois mois plus tard, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini, dans laquelle elle écrit : 

« Entendez-vous, en Iran, le bruit sourd du mur de la peur qui se fissure ? Bientôt, nous entendrons celui de son écroulement grâce à la volonté implacable, la puissance et la détermination sans faille des Iraniens.

En tant que femme, et comme des millions d’autres femmes iraniennes, j’ai toujours été confrontée à l’enfermement de la culture patriarcale, au pouvoir religieux et autoritaire, aux funestes lois discriminatoires et oppressives, et à toutes sortes de restrictions dans tous les domaines de ma vie. 

Notre enfance n’a pas échappé à cet enfermement culturel. “Ils” ne nous ont pas permis de vivre notre jeunesse et, en un mot, notre vie. La triste vérité, au fond, est que le gouvernement autoritaire, misogyne et religieux de la République islamique nous a volé notre vie.

[…] Soyez notre voix. »

Rachida El Azzouzi

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