Le Haut-Commissariat des nations unies aux réfugiés estime qu’à ce jour, plus de 500 000 Ukrainiens ont fui leurs terres envahies par la Russie de Vladimir Poutine. Parmi les pays de destination, la Moldavie voisine a fait preuve d’une rapidité exemplaire pour les accueillir.

Laurent Geslin

28 février 2022 à 10h39

Palanca (Moldavie).– Au bout de la dernière route de l’extrême sud-est de la Moldavie, une fois passé le village de Palanca qui menace ruine, apparaît enfin le poste-frontière homonyme. Une grosse centaine de personnes sont venues ce 26 février pour accueillir les réfugié·es ukrainien·nes qui remontent depuis le grand port d’Odessa. On trouve des étudiant·es qui veulent donner un coup de main, des moines orthodoxes, des prédicateurs évangélistes, des mères de familles qui viennent apporter quelques couches ou des couvertures.

Accompagné·es par les douaniers moldaves, des vieillards, des femmes et des enfants traînent leurs lourds baluchons, avant de s’affaler sur le bas côté, soulagé·es et épuisé·es. Le poste-frontière de Palanca est planté dans une terre noire qui annonce la grande plaine ukrainienne, à une dizaine de kilomètres au sud de l’entité séparatiste de Transnistrie, une bande de terre de 400 kilomètres située à l’est du Dniestr, où stationnent depuis l’éclatement de l’URSS quelques milliers de soldats russes.

Gardes-frontières aidant des réfugié·es ukrainien·nes au poste-frontière de Vama Tudora en Moldavie, le 26 février 2022. © Photo Laurent Geslin / Mediapart

Personne ne sait si les fumées noires qui remontent de la côte proviennent d’un bombardement. Les rumeurs vont bon train et le gouvernement moldave a été obligé ces derniers jours de démentir le tir de missiles par les autorités de Tiraspol.

« J’attends mon père, souffle Nick, un ingénieur en informatique au look de hipster, chaudement protégé du vent par une doudoune jaune canard. Il a 58 ans mais il est handicapé, donc j’espère que les soldats le laisseront passer. » Depuis le 24 février au soir, la mobilisation générale a été décrétée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, et les hommes de 18 à 60 ans ne peuvent plus quitter le pays. « Je suis parti dès les premiers bombardements, le matin du 24 février. J’ai arrêté de réfléchir, je voulais juste survivre », continue Nick.

Selon les statistiques des autorités moldaves, quelque 80 000 personnes étaient arrivées dans le pays lundi matin et 40 000 auraient déjà continué leur chemin vers la Roumanie. « Nos frontières sont ouvertes pour les citoyens ukrainiens qui souhaitent rester en Moldavie ou y transiter », déclarait la présidente moldave Maia Sandu dès les premières heures de l’invasion russe, alors qu’un état d’urgence a été voté pour une durée de 60 jours, autorisant les autorités à expulser du pays toute « personne indésirable ».

Pour accueillir les premiers groupes de réfugié·es, les autorités de Chișinău ont fait preuve d’une rapidité exemplaire. En quelques heures, un camp a été monté à proximité de Palanca, que des ouvriers achevaient de connecter samedi au réseau électrique, et un autre au nord du pays, à Ocnița. Un centre d’accueil de 500 lits a aussi été organisé dans le parc des expositions de la capitale (Moldexpo), en lieu et place de l’hôpital de fortune qui accueillait les malades du Covid-19 durant la pandémie.

Des voitures chargées de nourriture, de vêtements chauds, de jouets pour les enfants arrivent continuellement, sous l’œil de Nicoleta, 19 ans, qui coordonne une trentaine d’étudiant·es chargé·es de trier les dons. « C’est un peu la panique, nous n’avons pas assez d’espace pour tout stocker, concède-t-elle. Mais cette mobilisation spontanée fait chaud au cœur. »

Des volontaires chargeant des vivres au centre d’accueil des réfugié·es de Moldexpo à Chisinau, en Moldavie, le 26 février 2022. © Photo Laurent Geslin / Mediapart

Des bénévoles se relaient jour et nuit pour proposer des boissons chaudes et des gâteaux le long des routes menant vers la capitale moldave. Au poste-frontière de Palanca, et à celui tout proche de Vama Tudora, de longues tables chargées de victuailles permettent aux réfugié·es de se restaurer, après avoir longuement attendu pour sortir d’Ukraine. Samedi, une file de véhicules s’étendait sur 20 kilomètres du côté ukrainien et il fallait en moyenne patienter 24 heures en voiture pour franchir la frontière, contre six heures à pied.

« J’ai marché 20 kilomètres avec mes deux enfants, raconte Yaroslava, qui a trouvé refuge dans le parc des expositions de Chișinău. Le 24 au matin, nous avons entendu de terribles explosions, les Russes cherchaient à détruire un entrepôt de munitions situé à côté de la ville de Vinnytsia. Nous avons mis deux jours pour traverser le pays et nous avons fini par prendre un taxi. Mais il nous a déposés au mauvais endroit et nous avons fini le voyage à pied. Je suis si reconnaissante au peuple moldave pour l’aide qu’il nous apporte ! Je n’aurais jamais cru que tant de générosité était possible. »

Yaroslava est accompagné de Simon, son mari allemand, et la famille attendait samedi de prendre un bus pour Bucarest, puis l’avion pour rejoindre Stuttgart. Toutes et tous n’ont pas cette chance et les hôtels de Chișinău ont été pris d’assaut, alors que nombre de Moldaves proposent spontanément des chambres ou des appartements pour accueillir les réfugié·es.

Des numéros de téléphone pour trouver un hébergement sont affichés sur un tableau du centre d’accueil du parc des expositions, et les bonnes adresses s’échangent sur les réseaux sociaux. Le gouvernement moldave a également ouvert un groupe Facebook pour coordonner l’action des volontaires et quatre centres de collecte d’aide humanitaire devraient ouvrir dans le pays ces prochains jours.

Une économie très dépendante de l’Ukraine

Yaroslava. © Photo Laurent Geslin / Mediapart

Combien de temps cet élan de solidarité pourra-t-il durer ? La Moldavie a activé jeudi soir le Mécanisme de protection civile de l’Union européenne, une procédure permettant de faire appel à la solidarité à l’échelle européenne.

Reste pourtant que ce petit pays de 2,6 millions d’habitant·es saigné par l’émigration de sa population active vers l’Europe occidentale est l’un des plus pauvres du continent, son PIB par habitant·e s’élevant à 4 550 dollars, soit un tiers de celui de la Roumanie, et que l’économie du pays, très dépendante de ses échanges avec son voisin oriental, devrait rapidement souffrir du conflit.

Selon les estimations des Nations unies, si les combats se poursuivent, plus de cinq millions de personnes pourraient arriver dans les pays riverains de l’Ukraine ces prochains jours, soit la plus importante crise migratoire qu’ait connue l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

La soleil a disparu au poste-frontière de Palanca, derrière la statue d’un Christ sur sa croix et derrière les champs qui s’étendent à perte de vue, mais le flot de véhicules ne semble jamais devoir se tarir. Maram, Nour et Ahmet, trois étudiant·es tunisien·nes de la faculté de médecine d’Odessa, qui viennent de passer la frontière, prennent un thé pour se réchauffer.

Près du poste-frontière de Palanca en Moldavie, le 26 février 2022. © Photo Laurent Geslin / Mediapart

« Les Ukrainiens sont habitués aux bombardements, mais quand nous avons vu la panique dans leurs yeux, nous avons su que quelque chose de vraiment sérieux se préparait », explique Nour. « Nous avons passé des heures dans des caves, nous n’avons pas dormi depuis trois jours et nous ne savons pas où nous allons passer la nuit, mais l’essentiel est d’être maintenant en sécurité », souffle-t-elle, avant d’être prise en charge par des bénévoles pour rejoindre Chișinău.

Dima a quant à lui quitté Odessa dès le 24 février, quand un missile a explosé près de son immeuble, et il vient chaque jour chercher des amis pour les aider à fuir. « Je suis chrétien et opposé à toute violence, donc j’assume de ne pas participer aux combats, mais je fais de mon mieux pour aider tous ceux que je peux, assure-t-il. Avec l’avancée du front, j’ai peur que la situation ne dégénère très vite, car il y a des habitants d’Odessa qui attendent l’arrivée des Russes avec impatience. » La majorité des réfugié·es ukrainien·nes souhaitent poursuivre au plus vite leur route vers l’Ouest et nombreuses et nombreux sont les Moldaves à préparer leurs passeports.

Laurent Geslin

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