Douze incendies ont visé des bâtiments servant au recrutement de l’armée alors que les témoignages de réservistes de l’armée recevant des « invitations » à se présenter se multiplient.

Par Benoît Vitkine(Moscou, correspondant) Publié aujourd’hui à 14h00

Extrait de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montrant l’attaque d’un bureau militaire russe dans la ville de Nijnevartovsk, dans la nuit du 4 au 5 mai 2022.
Extrait de la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montrant l’attaque d’un bureau militaire russe dans la ville de Nijnevartovsk, dans la nuit du 4 au 5 mai 2022. D.R.

En pleine nuit, le 4 mai, dans le centre de Nijnevartovsk, ville d’un peu moins de 300 000 habitants située dans le nord de la Sibérie, un homme apparemment jeune avance d’un pas déterminé. Le visage dissimulé sous une capuche et un masque, un sac plastique à la main, il se dirige vers le 78, rue de la Paix. Méthodiquement, il en sort sept bouteilles en verre et les aligne sur un coin de trottoir. Puis, parfaitement calme, il allume un à un ses cocktails Molotov et les propulse sur la porte et les fenêtres du bureau d’enregistrement militaire qui se trouve là.

Pas le moindre mot n’est prononcé, et il est impossible de remonter la trace de la vidéo, apparue le lendemain sur les réseaux sociaux. Rien ne permet d’identifier l’homme aux cocktails Molotov ou le complice qui le filme. La police y est-elle parvenue ? Le 13 mai, elle a signalé avoir arrêté deux suspects, placés en détention provisoire pour deux mois. Mais contrairement aux arrestations habituelles de « saboteurs » et d’« espions », très mises en scène à grand renfort de symboles nazis, aucun détail n’a été donné.

Le cas de Nijnevartovsk n’est pas isolé. A Tcherepovets, dans la région de Vologda (nord-ouest), le même scénario s’est produit, le 12 mai, avec des assaillants un peu moins sûrs d’eux, qui ont dû s’y reprendre à deux fois pour faire exploser leurs cocktails Molotov. La façade du voenkomat (le bureau militaire) a néanmoins bien pris feu.

Dans d’autres cas similaires, les auteurs restent cachés. Un élément compréhensible sachant les très lourdes peines encourues. Seules des caméras de surveillance, quand elles sont installées, permettent d’avoir un aperçu des faits. Sinon ne restent que des façades partiellement calcinées dont les photos commencent à circuler au petit matin. En tout, depuis le début de « l’opération spéciale » le 24 février, douze incendies ou tentatives d’incendie de tels bâtiments ont été répertoriés dans les médias locaux.

Le chiffre de douze paraît important, mais il est à relativiser : la Russie compte un peu moins de 1 500 voenkomat. Ce nom, contraction de « commissariat militaire », est hérité de la période soviétique. Le rôle de l’institution est de gérer au niveau local le recrutement des contractuels pour l’armée, d’organiser la conscription et de tenir à jour la liste des hommes mobilisables.

Dans deux autres cas, ce sont des bâtiments abandonnés qui remplissaient autrefois cette fonction qui ont été visés. Des faits mystérieux survenus en Russie, notamment des incendies de centres de commandement et de logistique militaires, ou même l’explosion d’un pont, suscitent également des interrogations, restées jusque-là sans réponse.

Rumeurs persistantes de mobilisation générale

Les attaques contre les bureaux militaires laissent moins de place au doute. S’il faut y voir un mode de protestation contre le conflit, au même titre que les affichages sauvages ou les tags visibles dans les villes russes, la cible, de même que la chronologie, sont parlantes. La première attaque remonte au 28 février, mais on constate une nette accélération depuis le début du mois de mai. La dernière en date, en banlieue de Moscou, a été perpétrée dans la nuit du 17 au 18 mai.

Or, de plus en plus d’éléments montrent une intensification du travail de ces bureaux militaires, que certains sites russes en exil vont jusqu’à comparer à une « mobilisation souterraine ».

Le thème est très présent dans l’espace public russe depuis le début de « l’opération spéciale », et les rumeurs persistantes de mobilisation générale ont poussé des milliers d’hommes à fuir le pays. Si une telle hypothèse a été écartée par le pouvoir, les témoignages de réservistes de l’armée recevant des « invitations » à se présenter à leur bureau militaire pour vérifier leur enregistrement se sont récemment multipliés.

La procédure en tant que telle est classique, même si elle n’est d’ordinaire pas appliquée avec un tel soin. Rien n’oblige les réservistes à répondre à cette demi-« convocation » (le mot est également utilisé et le flou est maintenu) et, surtout, celle-ci n’a pas valeur de mobilisation. Il s’agirait plutôt de mettre à jour les listes en cas de mobilisation générale ou partielle, ou de déclaration de guerre formelle.

A cette occasion, certains hommes seraient aussi poussés à signer un contrat d’engagement en bonne et due forme, avec la promesse d’un bon salaire et d’un travail non dangereux. C’est ce qui ressort de témoignages de prisonniers rendus publics par Kiev ces dernières semaines.

Pour l’heure, l’intense travail de recrutement pour l’« opération spéciale » passe principalement par une utilisation massive de la publicité. Certaines, en ligne, promettent des contrats « de courte durée » pour un salaire de 30 000 à 50 000 roubles (de 435 à 725 euros), beaucoup plus pour les spécialistes. Le 16 mai, un entrepreneur de Saint-Pétersbourg a toutefois mis en ligne l’ordre de mobilisation reçu sur son lieu de travail : il lui était demandé d’envoyer au voenkomat le plus proche, dans les deux heures et pour une durée de dix jours, un véhicule utilitaire avec son chauffeur.

Benoît Vitkine(Moscou, correspondant)

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