L’État islamique s’est emparé pendant une semaine d’un centre de détention à Hassaké, obligeant l’armée américaine à intervenir. Des dizaines de prisonniers sont en fuite. Pour les Forces démocratiques syriennes, le retour du phénix djihadiste est une très mauvaise nouvelle.

Jean-Pierre Perrin

C’est la plus grande opération lancée par l’État islamique depuis la chute, le 23 mars 2019, de la petite ville syrienne de Baghouz, dernier réduit du groupe djihadiste, à l’issue d’un siège de deux longs mois. Commencée pendant la nuit du 20 au 21 janvier, elle a visé principalement la prison d’Al-Sina’a, le plus grand centre de détention au monde de djihadistes, dans la ville de Hassaké (nord-est de la Syrie). Les assaillants ont pu notamment s’en emparer – ils en contrôlaient encore une petite partie jeudi.

La bataille s’est ensuite étendue à une grande partie de Hassaké, en particulier les quartiers populaires d’Al-Zuhour et Al-Taqqadum, que les djihadistes ont contrôlés pendant plusieurs jours. Au-delà de la prison, c’est toute la ville, qui compte environ 200 000 habitants, qu’ils voulaient occuper. Ils ont coupé les routes qui y conduisent, cherchant également à briser la continuité territoriale entre les « cantons » de Kobané et de Qamishli, la capitale de facto du Kurdistan syrien.

Jusqu’alors, la plupart des experts estimaient que l’organisation djihadiste n’avait plus la capacité de conduire des opérations d’une telle envergure. Certes, depuis sa défaite, elle se manifestait encore par des assassinats, des embuscades et des kidnappings dans les régions les plus reculées du Nord-Est syrien, cet immense territoire contrôlé par les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance kurdo-arabe soutenue par la coalition internationale anti-EI, conduite par les États-Unis. En revanche, elle se faisait discrète dans les localités importantes.

Mais l’attaque de la prison d’Al-Sina’a, connue aussi sous le nom de Ghwayran, a montré que les forces de l’État islamique n’étaient pas que résiduelles. On ignore le nombre exact des combattants djihadistes ayant participé à l’opération qui leur a permis de prendre d’assaut cette prison surpeuplée et insalubre, où l’on compte quelque 4 500 détenus djihadistes ou présumés, et de 700 à 850 mineurs, âgé de 7 à 12 ans.

Il a fallu aux FDS, selon un communiqué de leur état-major, pas moins de 10 000 hommes pour reprendre la situation en main. En dépit de l’importance des effectifs engagés, elles ont eu néanmoins besoin de l’intervention des forces aériennes américaines, notamment des F-16 et, surtout, des hélicoptères Apache, qui ont mitraillé et tiré des roquettes sur les positions djihadistes. Le Pentagone a reconnu avoir aussi apporté « un soutien limité au sol » aux combattant·es kurdes, avec l’envoi de véhicules blindés.

Des soldates des Forces démocratiques syriennes devant la prison d’Al-Sina’a, le 26 janvier. © Photo Rojava Information Center

Quelque 250 combattants islamistes auraient trouvé la mort, selon le centre d’informations du Rojava, proche des FDS, qui, eux, reconnaissent avoir perdu 27 hommes – une quarantaine selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Plusieurs enfants de djihadistes auraient aussi été blessés, voire tués – mais les autorités kurdes gardent le silence sur ce point –, de même que des dizaines de prisonniers ainsi que sept civils et un journaliste. 

Selon des officiels des Nations unies, au moins 4 500 personnes ont dû quitter leur domicile en raison des combats à l’heure où toute la région est frappée par une vague de froid. « Avec des températures qui tombent en dessous de zéro dans tout le nord-ouest de la Syrie, nous sommes vraiment inquiets pour tous les gens qui ont dû fuir leur logement et qui ont besoin d’avoir accès à des abris, de la nourriture, de l’eau, des services de santé et surtout d’un environnement sécurisé », a déclaré, dans un communiqué, le chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en Syrie, Christophe Martin.

Une coordination entre assaillants et prisonniers

L’attaque de la prison d’Al-Sina’a témoigne des failles des services de renseignement kurdes et occidentaux qui n’avaient pas détecté la préparation de l’attaque. À l’évidence, celle-ci a été minutieusement calculée, sans doute pendant de longs mois, à partir de cellules dormantes. Depuis six mois, les services de sécurité kurdes avaient noté une baisse significative des activités des insurgés djihadistes dans les régions où ceux-ci sévissent, ce qui semble correspondre à la phase de préparation de l’assaut.

La prise de la prison témoigne aussi des capacités opérationnelles de l’EI, dont les combattants sont parvenus à pénétrer à l’intérieur de l’enceinte en faisant d’abord exploser une voiture piégée conduite par un kamikaze, ce qui a tué plusieurs gardiens, puis une seconde à proximité d’un dépôt de carburant proche, provoquant un important incendie, sans doute destiné à gêner les frappes de l’aviation américaine. Simultanément, des détenus mettaient le feu aux matelas de leurs cellules et attaquaient les gardiens, ce qui semble indiquer une étroite coordination entre les assaillants et les prisonniers.

Des complicités parmi certains gardiens sont aussi évidentes. Pour Charles Lister, directeur des programmes de contre-terrorisme en Syrie au Middle East Institute, interrogé par la chaîne qatarie Al Jazeera, « garer deux voitures piégées sur le parking de la plus grande prison de militants de l’EI est un défi extraordinaire qui ne peut être entrepris sans des connaissances de l’intérieur ou sans que quelqu’un n’ait accepté de fermer les yeux ».

Des terroristes de l’État islamique retiennent des détenus en otage dans la prison d’Al-Sina’a, le 22 janvier. © Capture d’écran Amaq News

On ignore combien de prisonniers ont pu s’échapper et combien, parmi eux, sont des djihadistes venus d’Europe. Mais l’assaut contre Al-Sina’a corrobore ce que les autorités kurdes avancent depuis la défaite de l’EI : elles n’ont nullement la capacité de détenir dans les différents centres du Rojava quelque 12 000 suspects, originaires de 50 pays, ni, a fortiori, d’organiser leur procès. D’autant plus que d’autres attaques de prisons sont attendues. « Nous avons besoin de façon urgente de nouvelles prisons qui soient plus grandes, mieux protégées et plus loin des zones résidentielles », déclarait, après l’attaque, le porte-parole des FDS, Fahrad Shami.   

Car, la libération des prisonniers a toujours été une priorité dans l’agenda de l’État islamique. D’où des appels répétés à passer à l’attaque qui remontent à l’époque où Abou Bakr al-Baghdadi dirigeait l’organisation : « Acharnez-vous à les sauver en anéantissant les murs qui les entravent […]. C’est un ordre et un conseil de votre Prophète. Vengez-les! » La prison d’Al-Sina’a avait d’ailleurs fait déjà l’objet en novembre d’un projet d’attaque qui avait été déjoué. 

Les Forces démocratiques syriennes fragilisées

L’attaque contre Hassaké porte aussi un coup sévère à « l’administration autonome » du Rojava. Contrôlée par le mouvement kurde syrien avec le soutien de la coalition internationale, qui lui a permis de reconquérir l’ensemble du nord-est syrien, cette administration s’efforce d’encadrer une population majoritairement arabe et une économie tributaire de ressources limitées, à savoir le pétrole, qui représente 90 % des recettes budgétaires.

Elle s’emploie aussi à développer un modèle de gouvernance spécifiquedans un contexte que le chercheur Patrick Haenni, conseiller au Centre pour le dialogue humanitaire,qualifie de « guerre d’usure avec le régime syrien ». « Les FDS fondent leur légitimité à la fois en faisant valoir leur capacité à protéger les institutions de l’État et en se présentant comme la force la plus qualifiée pour éradiquer le terrorisme », ajoute ce chercheur basé à Raqqa et de passage, quelques jours avant l’attaque de Hassaké, à Paris.

L’assaut contre la prison fragilise donc les FDS sur ces deux points, d’autant plus que les Américains leur ont fait savoir récemment qu’ils n’allaient pas augmenter leur aide militaire. La résurgence de l’État islamique est donc une nouvelle menace qui s’ajoute à deux autres défis stratégiques : la déstabilisation de la région organisée par le régime syrien et ses alliés russo-iraniens, et les interventions militaires turques, dont la grande offensive de 2019 – celle-ci n’avait toutefois pas provoqué l’effondrement des institutions du Rojava, les combattant·es kurdes, même pris·es en étau, étant parvenu·es à lui résister.

L’administration autonome est considérée comme un moindre mal.

Patrick Haenni, chercheur

Malgré toutes ces menaces, le Nord-Est est la partie de la Syrie où la vie de la population est de très loin la moins difficile. « Il y a une résilience de l’économie,souligne Patrick Haenni. À tel point que la région attire des cadres syriens qui préfèrent rejoindre l’administration autonome, d’autant plus que l’effondrement de la livre syrienne ne permet plus la dollarisation de l’économie et que les salaires atteignent les 400 dollars mensuels, ce qui est assez conséquent pour la Syrie. Il existe même depuis un an un comité économique qui fournit des statistiques et a projeté un plan de budget pour 2022. Nous voyons donc les balbutiements d’une administration très jeune qui émerge de l’administration du Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK, la matrice du mouvement kurde syrien – ndlr], laquelle reste très basique. »

Preuve de cette « résilience », même si le PKK garde la main sur le pétrole, le béton, l’acier et les médicaments, la reconstruction des villes détruites avance. Même à Raqqa, l’ancienne capitale de l’État islamique en Syrie, ravagée à 80 % en 2017 par les bombardements de la coalition internationale, où, selon le même chercheur, « la vie a repris. Avec un véritable tissu industriel : on ne compte pas moins de 130 PME. À présent, des artisans et des commerçants viennent d’Alep pour s’y installer ».

Tout n’est pas simple pour autant, la mainmise des FDS et du PKK sur la région suscitant de temps à autre des grèves et des manifestations, parfois violemment réprimées. À Raqqa, deux juges et cinq avocats ont été assassinés l’an passé. Et les citoyen·nes arabes ont encore un statut de seconde zone, qui les oblige à demander une autorisation avant de voyager à l’intérieur de la région. « Mais il n’y a pas d’autres alternatives. L’administration autonome est considérée comme un moindre mal. Si la déstabilisation est poussée trop loin, c’est le régime de Bachar al-Assad qui va en profiter, ce que personne ne veut. Cela ne veut pas dire que la population est satisfaite », ajoute Patrick Haenni.

De façon significative, un responsable des FDS accusait jeudi le régime syrien et Ankara d’être impliqués dans l’attaque de Hassaké.

Jean-Pierre Perrin

Un article publié il y a un an par le quotidien Libération

Syrie : Hassaké, le mouroir des jihadistes

«Libération» s’est rendu dans une prison située dans le nord du pays, où croupissent des milliers de combattants de l’Etat islamique. Leurs geôliers kurdes se disent dépassés par la situation.

Dans la prison de Hassaké, le 26 octobre. (Photo Fadel Senna. AFP)

par Wilson Fache, envoyé spécial à Hassaké (Syrie)publié le 28 janvier 2020 à 20h16

La prison de Hassaké est un califat en cage. Des centaines de corps brisés et d’yeux vides se cachent derrière des combinaisons orange et des couvertures grises. Cette ancienne école du nord-est de la Syrie, reconvertie en centre de détention, accueille environ 5 000 prisonniers du groupe Etat islamique (EI), la plupart capturés en mars lors de la bataille de Baghouz, où les jihadistes ont livré leur baroud d’honneur. Trois cents d’entre eux, peut-être plus, rampent pieds nus à l’intérieur de «l’hôpital» de la prison. L’endroit ressemble à un hangar et sent comme un charnier. «Oh Dieu, oh Dieu…» supplie un captif. Il y a quelques toussotements, et l’écho de béquilles qui frappent le sol. La pièce, si peuplée, est étonnamment silencieuse. En français, en anglais, en arabe ou en russe, ils murmurent : «Nous mourons comme des mouches.»

Les cellules offrent un spectacle tout aussi sinistre : des centaines de terroristes présumés détenus dans ce qui fut une salle de classe. Il semble qu’il n’y ait pas assez de place pour qu’ils puissent tous s’allonger en même temps. Un taulard marocain fait sortir sa tête rasée à travers une petite trappe et demande :«S’il vous plaît, dites-moi, est-ce que l’Etat islamique vit toujours ?» Le directeur avait prévenu : «Ils n’ont aucune idée de ce qu’il s’est passé en dehors de ces murs. Ne leur parlez pas de la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi [le leader de l’EI, tué lors d’un raid mené le 27 octobre par les forces spéciales américaines, ndlr],nous voulons éviter un soulèvement.»

«Vengeance»

Le cas des combattants de l’EI détenus en Syrie est devenu un casse-tête international. Selon le Washington Post, plus de 10 000 hommes de 50 nationalités différentes (principalement des Syriens et des Irakiens) seraient détenus dans 25 prisons gérées par les forces kurdes, auxquelles s’ajoutent des dizaines de milliers de femmes et d’enfants retenus dans des camps aux conditions sanitaires sordides. Personne ne semble savoir que faire d’eux. Beaucoup sont impénitents, qualifiant les attentats perpétrés par l’organisation terroriste de par le monde de simples «actes de vengeance» en réponse à la campagne aérienne menée par l’Occident en Irak et en Syrie. «C’était une guerre, assène un Britannique de 32 ans nommé Ahmed (les prénoms ont été changés). Vous pensiez qu’on vous enverrait une boîte de chocolats ?»

Un deuxième jihadiste accepte de parler à condition d’aller dans une autre pièce, où ses compagnons de cellule ne pourront pas entendre ce qu’il a à dire. Il a été blessé à la jambe gauche pendant les combats, mais les morceaux d’os cassés n’ont jamais été remis en place : son membre est maintenant figé sous un angle impossible. Il est incapable de marcher. Deux autres détenus doivent le porter. «Nous sommes ici depuis dix mois et nous ne savons rien de la situation de nos familles. Je ne sais pas si ma femme et mes enfants sont encore en vie, marmonne Fadel, un Belge de 23 ans. Elle était enceinte la dernière fois que je l’ai vue.» Ses enfants sont vivants. Il l’ignore, mais mi-décembre, un tribunal belge a statué que l’Etat se devait de faciliter le rapatriement de dix mineurs, dont les siens. Le juge a cependant estimé que Fadel n’était, lui, pas éligible à une telle aide, s’étant rendu sur place de son plein gré. Son avocat a depuis fait appel.

La plupart des experts s’accordent à dire que, d’un point de vue sécuritaire, un rapatriement est la moins mauvaise option. Mais les responsables politiques s’alignent sur une opinion publique majoritairement contre. Poursuivre ces personnes dans le cadre de procès nationaux s’avérerait également particulièrement difficile, faute, parfois, de preuves concrètes les liant à des crimes commis à des milliers de kilomètres de là.

Sort incertain

Sur place, justement, les dirigeants kurdes continuent de plaider pour la mise en place d’un tribunal international dans leur région de facto autonome. «Les preuves, les victimes et les suspects se trouvant tous ici, la démarche la plus logique serait de les juger ici», souligne une haute dirigeante. Surtout, les Kurdes pourraient avoir un intérêt particulier à garder entre leurs mains certains ressortissants étrangers car ils pourraient leur offrir une carte à jouer lors de futures négociations avec les pays d’origine de ces détenus. Quoi qu’il en soit, des responsables occidentaux affirment à Libération que la création d’une telle cour en Syrie est «irréalisable».

A la place, une coalition de pays européens, dont la France, a tenté pendant plusieurs mois de conclure un accord avec Bagdad pour que leurs ressortissants détenus en Syrie soient transférés en Irak pour y être jugés. Les négociations semblent toutefois être entrées dans une impasse et les récents développements dans le pays – une révolte populaire couplée à une confrontation sur le sol irakien entre l’Iran et les Etats-Unis – ont rendu ce scénario d’autant plus improbable. «Plus compliqué ne signifie pas impossible. Il y a encore de l’espoir que nous puissions parvenir à un accord», dit-on, plein d’optimisme, dans le cabinet d’un Premier ministre européen.

Le sort de ces combattants étrangers, que la plupart de leurs pays respectifs refusent de rapatrier, est plus incertain que jamais. Le 9 octobre, la Turquie lançait une opération militaire baptisée «Source de paix» pour expulser de sa frontière les forces kurdes, qu’Ankara considère comme une organisation terroriste. L’offensive a entraîné des semaines de combats, déplacé des dizaines de milliers de civils et mis en péril la détention des combattants de l’EI. Selon une note confidentielle du renseignement américain obtenue par Libération, 100 détenus ont réussi à s’échapper depuis le début de l’incursion turque en Syrie, notamment parce que leurs prisons ont été endommagées dans les affrontements.

Au début de l’offensive, près de 80 % du «top 50» des étrangers étaient détenus dans des centres vulnérables aux opérations transfrontalières turques. La majorité de ces 50 jihadistes, que les responsables occidentaux jugent particulièrement dangereux, sont des individus qui ont planifié des attentats ou qui ont une expertise technique dans la fabrication d’armes et de bombes, et plusieurs d’entre eux sont des dirigeants de niveau intermédiaire ou des propagandistes expérimentés. La coalition dirigée par les Etats-Unis a demandé à l’époque qu’ils soient transférés dans des installations plus éloignées de la ligne de front, mais les responsables kurdes ont rejeté ces demandes en invoquant un manque de moyens. Plusieurs dizaines de prisonniers auraient finalement été exfiltrés par l’armée américaine alors que la Turquie commençait à envahir la région.

Les évasions ont, pour l’instant, été limitées par rapport au nombre total de jihadistes détenus dans le nord-est de la Syrie, mais la récente crise déclenchée par le retrait partiel des Etats-Unis et l’incursion turque a démontré, s’il le fallait encore, à quel point la région est instable et que confier à un groupe armé local une tâche aussi titanesque était un pari périlleux. «Nous avons dû déplacer des soldats qui gardaient la prison vers la ligne de front, mais la situation ici est toujours sous contrôle», assure Robar (un nom de guerre), le directeur de la prison de Hassaké. Son bureau est décoré avec des cages à oiseaux d’un côté et, de l’autre, des écrans de télévision éteints. Ceux-ci sont censés diffuser en direct des images de surveillance de l’intérieur des cellules, mais le système est actuellement en panne. «Parfois, des cellules dormantes de Daech errent autour du bâtiment et tirent des coups de feu. Ils veulent envoyer aux prisonniers le message que Daech existe toujours.» Il marque une pause, son visage bourru prenant un air pensif, puis ajoute : «Nous ne pouvons tout simplement pas gérer la situation par nous-mêmes.»

Tombes anonymes

Si les affrontements entre forces kurdes et turques se sont taris, les risques persistent. «La plupart des installations sont improvisées et ne sont pas adaptées à une détention indéfinie. La communauté internationale devrait avoir pour priorité absolue de trouver une solution à long terme pour cette “armée de Daech en sommeil”», a déclaré à Libé un porte-parole de la coalition dirigée par Washington, insistant sur le fait que «le rapatriement des combattants terroristes étrangers dans leur pays d’origine pour qu’ils soient poursuivis en justice est le meilleur moyen de les empêcher de retourner sur le champ de bataille ou de se réengager dans le terrorisme».

Hassaké est le plus grand centre de détention pour jihadistes de la région – et donc du monde. Certains individus qui doivent être particulièrement surveillés y sont détenus. L’organisation terroriste s’est déjà montrée capable d’organiser des évasions par le passé, et il est à craindre qu’elle le soit toujours. En septembre, le défunt «calife» Abou Bakr al-Baghdadi diffusait un enregistrement sonore à l’intention de ses partisans, les exhortant à «faire tout leur possible pour libérer [les membres détenus] et démolir les murs qui les restreignent». De nouveaux murs tomberont-ils ? «Il est évident que l’EI cherche à profiter de l’instabilité actuelle. Cependant, il n’y a aucune indication que le groupe travaille activement sur des évasions», assure une source sécuritaire occidentale active dans la région.

Coincés dans les limbes d’un théâtre de guerre, ces détenus disent attendre un rapatriement ou la mort. Mais, même là, la destination est inconnue. L’emplacement du cimetière pour prisonniers de Daech, dans le nord-est syrien, est secret – et les tombes, anonymes. S’il est impossible de vérifier indépendamment combien de reclus ont déjà trouvé la mort en détention, certaines de nos sources parlent de plusieurs centaines de décès depuis la chute du «califat» en mars. Mauvais traitements, actes de torture, malnutrition, blessures antérieures et manque d’accès aux soins de santé semblent être les principales causes d’un taux de mortalité décrit comme vertigineux.

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