La France gagnerait à tirer les leçons de l’offensive jihadiste, lancée le 20 janvier contre la principale prison kurde de Syrie, avec déjà des centaines de victimes.

Des détenus de la prison de Ghwayran, à Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, en octobre 2019 (Fadel Senna, AFP)

Cela fait bientôt trois ans que la coalition menée par les Etats-Unis a détruit, en Syrie, la dernière base territoriale de « l’Etat islamique en Irak et en Syrie », désigné sous son acronyme arabe de Daech. La coalition anti-jihadiste avait pour partenaire au sol les Forces démocratiques syriennes (FDS), une milice majoritairement kurde, constituée autour de la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les FDS ont dès lors été contraintes de gérer quelque 12.000 prisonniers jihadistes, avant tout syriens et irakiens, mais aussi originaires d’une cinquantaine d’autres pays. Les Etats-Unis ont rapatrié les détenus jihadistes de nationalité américaine, il est vrai peu nombreux, pour les juger sur leur territoire. Le président Macron, un moment tenté par la même option, privilégiée par la communauté du renseignement, a choisi de laisser plusieurs dizaines de prisonniers français sur place. Outre ces détenus, la France compte plus d’une centaine de femmes et au moins deux cents enfants dans les camps tentaculaires du nord-est Syrien, où sont entassées environ 70.000 personnes.

LE CHOC DE GHWAYRAN

Depuis déjà dix jours, la prison surpeuplée de Ghwayran, que les FDS gèrent au sud de la ville de Hassaké, au coeur du « pays kurde » syrien, est la cible d’une offensive en règle de Daech. Le 20 janvier, deux kamikazes de l’organisation jihadiste ont fait exploser deux véhicules piégés contre l’enceinte de la prison, une attaque combinée avec une mutinerie des détenus, vite maîtres de l’armurerie. Une telle coordination en dit long sur le degré de pénétration de Daech à l’intérieur même des prisons kurdes, où la perspective d’un jugement éventuel des détenus a depuis longtemps été abandonnée. Les deux cents assaillants jihadistes qui ont fait irruption par la brèche ont ainsi, avec l’aide de leurs complices à l’intérieur, pu prendre le contrôle de Ghwayran et de ses quelque cinq mille détenus. Des centaines de détenus se sont alors évadés, tandis que les combats acharnés s’étendaient dans tout Hassaké, contraignant 45.000 civils à fuir leurs foyers.

L’intervention des Etats-Unis, avec hélicoptères, blindés et commandos au sol, a été déterminante dans la reconquête progressive de la prison par les FDS, qui ont annoncé la reddition d’environ trois mille jihadistes. Mais le communiqué de victoire, publié par les FDS le 26 janvier, s’est avéré prématuré. Moins d’une centaine d’insurgés continuent en effet de contrôler une petite partie de la prison, voire des habitations environnantes. La plupart des otages qu’ils détenaient parmi les gardiens et les 700 détenus mineurs, âgés de 12 à 17 ans, auraient heureusement été libérés. Le bilan des affrontements au 29 janvier est, selon l’Office syrien des droits de l’homme, d’au moins 260 morts (180 jihadistes, 73 combattants kurdes et 7 civils) et risque fort de s’alourdir.

LES LECONS POUR LA FRANCE

Même si Ghwayran ne comptait aucun détenu français, les leçons d’un tel bain de sang gagneraient à être méditées à Paris. Dès juin 2019, Florence Parly, ministre des Armées, avait mis en garde contre « la prochaine génération de tueurs » de « l’Etat islamique », car, « même lorsqu’elle croupit dans les prisons kurdes, ce n’est pas une armée qui se rend, c’est une armée qui attend son heure ». La mutinerie de Ghwayran vient de confirmer la lucidité de cette sombre analyse. Les forces kurdes, soutenues sans réserve sur ce sujet par les Etats-Unis, appellent les pays européens à les débarrasser du fardeau des détenus jihadistes de leur nationalité respective. Il est peu probable que cet appel, resté sans écho par le passé, soit désormais entendu, avant tout pour des considérations de politique interne aux pays concernés.

Said al-Mawla, alias Abou Omar al-Turkmani, a succédé à la tête de Daech, en octobre 2019, à Abou Bakr al-Baghdadi, tué dans un raid américain. Vétéran de la guérilla jihadiste, il avait participé à la campagne d’attaques de prisons irakiennes qui, à partir de 2007, avait permis d’étoffer les rangs de l’insurrection avec des dizaines, puis des centaines de militants fanatisés. Parmi ces évadés de 2007 se trouvait Peter Cherif, suspecté d’avoir été, huit ans plus tard, l’inspirateur de l’attentat contre Charlie-Hebdo. Le nouveau chef de Daech entend bien, avec une offensive comme celle de Ghwayran, consolider les effectifs de son armée de l’ombre, en attendant, le moment venu, de retrouver une assise territoriale. La différence entre 2007 et 2022 est que les insurgés jihadistes, malgré la chute de leur « pseudo-califat », sont aujourd’hui dix fois plus nombreux, avec une dizaine de milliers de combattants entre la Syrie et l’Irak, et au moins autant de sympathisants prêts à prendre les armes à leurs côtés. Enfin, la Tunisie vient d’arrêter une militante jihadiste qui, partie en Syrie à l’été 2020, donc après la mort de Baghdadi, en est revenue avec des projets d’attentats en Tunisie même.

La dynamique terroriste dont la France a tant souffert, ces dernières années, à partir du Moyen-Orient, semble progressivement se relancer, même si elle reste à ce stade limitée. Ce n’est pas la moindre des leçons de la tragédie de Ghwayran.

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