Pour Geneviève Begkoyian, responsable santé à l’Unicef en République démocratique du Congo, la chute brutale de la couverture vaccinale est « une catastrophe ».

Propos recueillis par Sandrine Berthaud-Clair

Vaccination contre la rougeole dans un centre de santé près de Seke Banza, dans l’ouest de la RDC, le 3 mars 2020. JUNIOR KANNAH / AFP

Une crise peut en cacher une autre. Alors que toute l’attention reste encore concentrée sur la riposte au Covid-19 sur le continent africain, d’autres virus tuent sévissent. Fin avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef alertaient ensemble sur la survenue de « flambées épidémiques majeures » de rougeole, de fièvre jaune et d’un variant de poliomyélite dans vingt pays africains, au premier trimestre, soit huit pays de plus qu’à la même période en 2021.

Entre janvier et mars de cette année, l’Afrique a même connu une augmentation de 400 % de cas de rougeole. La Somalie, le Nigeria, l’Ethiopie et la République démocratique du Congo (RDC) sont parmi les pays les plus exposés, mais le virus rougeoleux étant dix fois plus contagieux que le nouveau coronavirus, le pire est à craindre.

Ces reprises épidémiques étaient pourtant prévisibles et même redoutées, tant les campagnes de vaccination de masse et de routine ont été perturbées depuis le début de la pandémie de SARS-CoV-2. Rien que pour l’année 2020, l’OMS avait enregistré des retards de primo-vaccination contre la rougeole pour 22 millions de nouveau-nés.

Par ailleurs, en 2019, seulement six pays du continent avaient atteint la couverture vaccinale de 95 % de leur population et trois en 2020. Pour Tedros Adhanom Ghebreyesus, patron de l’agence onusienne, il est désormais « urgent de remettre les services essentiels de vaccination sur les rails et de lancer des campagnes de rattrapage ».

Geneviève Begkoyian, médecin à Kinshasa, responsable santé de l’Unicef pour la RDC, revient sur deux ans d’une pandémie qui « absorbe énormément d’énergie et de financement » au détriment d’autres maladies évitables par la vaccination.

Pouvez-vous nous dire quelle est la situation épidémique de la RDC concernant la rougeole ?

Geneviève Begkoyian Pour les quatre premiers mois de l’année, on a dénombré 47 618 cas de rougeole et 693 enfants en sont morts. C’est presque autant que pour toute l’année 2021, où l’on avait dénombré 55 771 cas et 783 décès. Sur 519 zones de santé, 179 sont en situation de risque : 64 sont en épidémie et 115 sont voisines, susceptibles d’être atteintes rapidement. Il faut donc agir très vite.

Avant l’âge de 1 ou 2 ans, dès sa naissance, un enfant doit recevoir ses 17 injections et gouttes : BCG, polio, etc. C’est systématique. La maman doit revenir six semaines plus tard avec son bébé au centre de santé pour avoir la suite. Quand ils ne reviennent pas, on les appelle les « zéro dose ». Cette cohorte était de 400 000 en 2021. On redoute que, pour 2022, ce soit 450 000. Ces enfants ne sont pas protégés, mais font aussi courir un risque à ceux qui n’ont pas fini leur cycle complet de vaccination.

Pour cette maladie évitable, la couverture vaccinale des bébés de 12 à 23 mois complètement vaccinés avait atteint les 53 % en 2020 après trois ans d’efforts de l’Etat congolais qui avait relancé la vaccination de routine. En 2021, elle a brutalement chuté de plus de 10 points à 42,5 %. C’est une catastrophe. Cela ne devrait pas arriver. C’est absurde.

Que s’est-il passé ?

Le Covid est passé par là. La RDC est un pays continent à lui tout seul, grand comme presque quatre fois et demie la France, avec 90 millions d’habitants et 26 provinces, beaucoup de pauvreté, et des zones de conflits à l’est.

S’il y a une action de santé que les parents peuvent offrir à leurs enfants, c’est bien la vaccination. Et, jusque-là, il n’y avait aucun refus, aucune hésitation vaccinale, le taux de couverture augmentait régulièrement. Sauf que, depuis deux ans, l’ultra information, avec même une certaine outrance, et les rumeurs sur les réseaux sociaux ont progressivement installé le doute et la peur.

En général, quand une épidémie survient, les parents dont les enfants ont échappé à la vaccination de routine se déplacent avec leurs enfants jusqu’aux centres de santé, ou lors des campagnes de vaccination de masse. Avec la pandémie, les gens ont d’abord eu peur d’être contaminés par le Covid, une maladie dont on ne savait pas grand-chose, ou de contaminer leurs enfants dans les centres de santé. Ensuite a surgi la peur d’être manipulés, de devenir les cobayes pour un vaccin expérimental.

Pourquoi ?

Le scandale du vaccin AstraZeneca, dont les pays du Nord n’ont plus voulu par précaution sanitaire, mais qui a été envoyé en masse aux pays du Sud par le mécanisme d’entraide internationale Covax, a fait beaucoup de dégâts ici. Le président Félix Tshisekedi n’en a pas voulu pour les Congolais et a fait redistribuer 1,7 million de doses reçues aux pays qui l’acceptaient, comme l’Angola, la Centrafrique ou Madagascar. Cet épisode a alimenté le doute, voire le rejet. Et puis, les Congolais, dont la population est très jeune [74 % ont moins de 35 ans], ont vu peu de personnes mourir du Covid, voire pas.

Officiellement, il n’y a eu que 1 338 décès, dont la moitié à Kinshasa. Les gens se sont rapidement dit : « A quoi bon se faire vacciner contre une maladie qui vient d’Europe, qu’on ne voit pas, et avec un vaccin qui peut provoquer une embolie ou une phlébite ? » A la mi-mai, on n’en était qu’à 2,4 % de vaccination Covid pour la première dose et à 1,4 % pour la deuxième. Le problème, c’est que cette résistance a aussi contaminé les autres vaccinations.

Que pensez-vous d’intégrer la vaccination Covid aux campagnes de routine comme le font depuis décembre 2021 le Ghana et le Nigeria ?

Aujourd’hui, la méfiance est telle qu’il ne faut surtout pas associer la vaccination Covid-19 aux autres, comme le recommande l’OMS. Les autorités congolaises hésitent. D’autant que les priorités sont ailleurs. L’année dernière, 20 000 personnes sont mortes du paludisme. Les Congolais veulent récupérer des moustiquaires imprégnées, ou même avoir accès au nouveau vaccin. A l’est, le choléra sévit sur le long du lac Tanganyika et des Kivus. Il y a aussi les flambées de rougeole dont nous avons parlé. Le Covid est vraiment le dernier de leurs soucis.

Comment faites-vous face à ces défis ?

Pour la rougeole, d’ici à la fin mai, on va vacciner 2,7 millions d’enfants de 6 mois à 59 mois dans les 64 zones de santé en épidémie pour tenter de stopper la contagion, puis, en juin, passer aux zones de santé voisines. Dans le même temps, nous allons commencer une grande campagne en porte-à-porte contre la polio pour 7 millions d’enfants dans sept provinces en introduisant le nouveau vaccin oral, mais l’on redoute que la peur et l’hésitation vaccinale.

Mon grand souci en tant que cheffe de santé de l’Unicef pour un pays comme la RDC, où des millions de femmes enceintes sont à suivre correctement et où des millions d’enfants naissent, je passe 90 % de mon temps sur le Covid. Il y a une pression internationale considérable. On est submergé par la peur du Covid et on en a oublié les grandes maladies qui tuent en silence. Cela absorbe une trop grande partie de notre temps, énormément d’énergie et de financement qui ne sont pas mobilisables pour les autres maladies.

Sandrine Berthaud-Clair

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.