Sonia et Mohamed ont été rapatriés de la bande de Gaza cet automne. Depuis, leur quotidien est parfois fait de grosses galères, financières et administratives. Leurs enfants vivent avec les traumatismes de la guerre. Sans prise en charge adéquate.

Bérénice Gabriel et Faïza Zerouala

16 février 2024 à 17h25

ÀÀ peine arrivée sur le sol français, Sonia n’avait qu’une seule hâte : récupérer une couverture pour son fils de deux ans. L’enfant est fiévreux, il est pieds nus et en tee-shirt en plein mois de novembre. Sonia n’a pas pu faire mieux. Cette Franco-Palestinienne de 28 ans vient alors d’être évacuée de Gaza avec ses trois enfants, après un mois éprouvant passé sous les bombes israéliennes, tenaillée par l’angoisse de mourir.

À l’aéroport, elle a un sac plastique pour seul bagage dans lequel elle a tenté d’enfermer douze années de sa vie. Elle a laissé derrière elle son mari – qu’elle essaie en vain de faire venir en France –, sa carrière de professeure de français langue étrangère, à l’Institut français de Gaza, son appartement, ses ami·es.

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Sonia, évacuée de Gaza le 5 novembre dernier avec ses trois enfants. © Bérénice Gabriel

Ce jour-là, une vingtaine de rescapé·es sont accueilli·es par une cellule de crise du ministère des affaires étrangères. Ils sont rapidement examinés par des médecins et vus par l’association France Horizon, mandatée par le Quai d’Orsay et habituée à accompagner les Français et Françaises de l’étranger rapatrié·es. 

Depuis le début de l’offensive d’Israël à Gaza, 168 personnes ont été rapatriées en France. Il s’agit de Français·es, de binationaux mais aussi d’agents de droits locaux, ou de proches de ces derniers. 

France Horizon indique à Mediapart que ses équipes ont pris en charge, en novembre et décembre, 116 personnes évacuées de Gaza à l’arrivée de six vols affrétés par l’État. L’association indique qu’« à la fois sur Israël et sur Gaza, [ses] équipes ont été présentes jour et nuit pour traiter une quarantaine de vols ».

À l’aéroport, Sonia et ses enfants bénéficient d’un examen médical succinct. Son frère cadet l’attend à l’extérieur, elle le sait. Alors quand on lui demande si quelqu’un vient la chercher, elle répond machinalement : « Oui. » « Pendant un mois, j’ai cru que j’allais mourir, j’ai cru que je ne reverrais plus jamais ma famille. Je ne pensais qu’à une chose, c’était le serrer dans mes bras », retrace-t-elle aujourd’hui.

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L’association en conclut que le frère va prendre la famille en charge. Sonia peut partir, une attestation de rapatriement en poche. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui d’être complètement sortie des radars des autorités et de France Horizon, et de n’avoir aucun appui. « Personne mais personne ne m’a appelée ni ne m’a dit : “Comment tu vas ? Comment vont les enfants ? Où es-tu ? Où dors-tu ?” »

Tous ses anciens collègues, palestiniens ou binationaux, ont été pris en charge et logés. Quand Sonia l’apprend, deux semaines après son arrivée, elle se dit qu’elle n’a « vraiment pas de chance ». Elle se signale auprès de France Horizon mais ne reçoit aucune réponse. 

Un malentendu et un silence radio

L’association prévoit pourtant une réintégration possible dans le dispositif dans les six mois suivant une évacuation si la personne « en manifeste le besoin ». Auprès de Mediapart, la structure confirme avoir bien reçu les courriers et n’y avoir pas donné suite, sans bien expliquer pourquoi : « Nous pensions que le nécessaire avait été fait. » 

Razan Nidal, responsable du Comité national d’accueil et de soutien aux rescapé·es du génocide en Palestine, est intervenue dans l’accueil des personnes évacuées. Cette juriste spécialisée en droit des étrangers et étrangères travaille depuis huit ans dans le secteur de l’accueil et de l’hébergement des personnes exilées. Elle était présente lorsque le deuxième groupe de rescapé·es est arrivé.

« Le recensement se faisait à l’hôtel de la prise en charge avec le premier diagnostic. Donc les personnes qui ne sont pas montées dans le bus pour aller à l’hôtel, dans ce dispositif transitoire, sont sorties des radars de France Horizon et n’ont pas été prises en charge »,décrypte la responsable associative.

À l’arrivée des évacué·es, son comité s’est chargé de distribuer des vêtements, de préparer des repas, de donner du lait pour les bébés, des couches et des produits d’hygiène à celles et ceux qui n’avaient rien pour subsister. Depuis, Razan Nidal est régulièrement sollicitée par les rescapé·es, pour les personnes « passées entre les mailles du filet » comme Sonia et celles et ceux qui vivent la galère de l’exil.

Deux mois après son arrivée, Sonia s’est installée en Île-de-France, avec sa famille, dans des conditions plus que spartiates. « On vit à onze dans la maison de mon père. On se partage une chambre avec les enfants. » Le contraste est violent avec sa vie d’avant. Le visage plein de nostalgie, elle fait défiler les photos sur son portable et montre son appartement de 220 m2, situé dans un quartier résidentiel de Gaza. « C’était notre fierté avec mon mari, on y avait mis toutes nos économies. » De cet appartement il ne reste rien. Ni de son quartier. 

Aujourd’hui, elle ne demande pas grand-chose, dit-elle. « Un petit deux-pièces, pour que les enfants aient une chambre, suffirait. » Elle a entamé des démarches. La mairie lui a annoncé trois ans d’attente. Une assistante sociale lui a parlé du droit au logement opposable (Dalo). L’attente, cette fois-ci, devrait se compter en mois. « C’est mieux que rien… »

La douleur et la nostalgie

La jeune femme a dépensé tout ce qu’il lui restait d’économies pour sortir de l’enclave palestinienne. « C’est mon père qui nous a logés, nourris et nous a acheté des vêtements », confie-t-elle. Les diverses aides sociales ne peuvent être activées avant trois mois de résidence en France. Au mois de janvier, elle a fait une demande à la Caisses d’allocations familiales. Elle a perçu 508 euros à ce titre le 5 janvier 2024, avant que tout autre versement ne soit bloqué.

« Ils m’avaient demandé des documents complémentaires concernant mon mari, resté à Gaza. J’avais juste, dans mon portable, une photo que j’avais prise de sa carte d’identité. Je la leur ai envoyée mais ils ont cru que je fraudais et ils m’ont stoppé le versement de l’allocation familiale. » À force d’acharnement, Sonia a réussi à débloquer sa situation. Elle peut maintenant prétendre au RSA.

Malgré ces obstacles, Sonia garde le sourire et rit même parfois des situations kafkaïennes qu’elle doit affronter chaque jour. « On me demande des papiers que je ne peux pas donner, car j’ai tout perdu dans les bombardements. »

Depuis qu’elle est rentrée, elle enchaîne les rendez-vous : médecin, mairie, sortie scolaire, assistante sociale, école, dentiste, CAF… « En ce moment, je suis chez le dentiste tous les jours. Les enfants ont des caries affreuses après ce mois sans se brosser les dents et surtout à cause de la sous-nutrition qu’on a subie. »

Séquelles psychologiques et crises d’angoisse

Se soigner aura été une épreuve. Les premiers rendez-vous pris sans couverture sociale sont restés à sa charge. Sonia aurait aussi aimé recevoir un soutien psychologique de la part des autorités.

Mohamed* formule le même souhait. Ni l’un ni l’autre n’ont vu de psychologues, alors que France Horizon assure que cette dimension « est bien intégrée dans la relation d’accompagnement avec ces personnes ».

Ce Franco-Palestinien a eu plus de chance que Sonia et a pu être mieux accompagné par les autorités. Mais de manière imparfaite. Un premier appartement trop petit, des cafards, et un équilibre familial et personnel précaire. 

Mohamed a quitté Gaza avec sa femme et ses enfants à l’automne. Tous restent hantés par leurs traumatismes. Des dizaines de membres de leur famille ont été tués par l’armée israélienne depuis le 7 octobre, parfois sous leurs yeux. Mohamed reste rivé sur les informations et suspendu aux signes de vie de celles et ceux qui restent là-bas.

Il peine à accepter l’exil. Il a quitté Gaza avec deux tee-shirts et deux pantalons. À l’arrivée, des associations leur ont fait don de vêtements d’occasion. « On m’a donné une veste abîmée en me disant qu’elle était bien. Je n’ai pas accepté d’être réduit à ça. D’habitude, c’est moi qui fais des dons aux gens, là, c’était humiliant, j’ai pleuré pendant une semaine. »

Mohamed est inquiet pour l’avenir et la santé mentale de ses enfants. « Il n’y a presque personne qui a été là pour nous… » Ils sont désormais scolarisés, ils ne parlaient pas un mot de français. Mais l’un d’eux a été terrorisé par un feu allumé par les agriculteurs protestataires. « Il a cru qu’on allait lancer des roquettes sur nous. L’autre fois, l’autre a eu peur quand il a vu un avion, il pensait qu’il allait nous bombarder. » 

Sonia rapporte les mêmes anecdotes. Son fils de 7 ans fait souvent des crises d’angoisse. Elle-même n’est pas sortie indemne de Gaza. Elle confie avoir éclaté en sanglots le 31 décembre après avoir entendu des feux d’artifice. Lors de l’entretien, son petit garçon de 2 ans est assis dans sa poussette. Il lève les yeux au ciel et aperçoit un avion. Il interpelle sa mère : « Maman ! Maman ! Boum ! Boum ! » 

Bérénice Gabriel et Faïza Zerouala

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