Le Goush Katif, ancien bloc de colonies juives à Gaza, a été démantelé en 2005. Alors qu’Israël pilonne l’enclave sans répit et que les morts se comptent par milliers, les colons israéliens, idéologiques, nostalgiques ou revanchards, envisagent désormais de s’y installer à nouveau.

Alice Froussard

14 décembre 2023 à 19h21

Rehelim, Itamar, Elon Moreh (Cisjordanie occupée), Jérusalem.– Mentalement, comme la plupart des anciens du Goush Katif – ce bloc de colonies situé à Gaza et évacué en 2005 –, Serah Lisson n’a toujours pas déménagé. Certes, cette Franco-Israélienne de 37 ans a posé ses valises à Rehelim, une colonie juive réputée violente du nord de la Cisjordanie occupée, à proximité de Naplouse, juste avant Huwara, la bourgade palestinienne au bord de la route 60 où les attaques de colons sont quasi hebdomadaires. 

Avec cinquante-trois familles, elle était aussi parvenue à s’installer, pour un temps, à Eviatar, une colonie sauvage face à la ville palestinienne de Beita, évacuée à la demande du gouvernement israélien en juillet 2021. Mais son cœur est resté face au rivage de la Méditerranée. « On attend surtout de pouvoir y retourner… bientôt, dit-elle en riant. “Bientôt”, chez les juifs, vous savez, ça peut vouloir dire quelques mois ou quelques années. Mais quand même, le chemin s’éclaircit et on se rapproche de nos rêves. Regardez, il y a soixante-quinze ans, il n’y avait pas d’État d’Israël. On a attendu deux mille ans pour revenir, mais nous n’avons pas perdu espoir, nous avons prié du matin au soir pour que cela se fasse. C’était donc une promesse de Dieu. » 

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Serah Lisson, dans la colonie juive de Rehelim, au nord de la Cisjordanie occupée, en novembre 2023. © Photo Arthur Larie

Née à Paris, Serah est arrivée sur cette terre alors qu’elle avait 11 ans, sans parler un mot d’hébreu, avec ses parents. Désormais, elle prend à cœur ce qu’elle voit comme une « mission divine » : assurer une présence juive sur tout le territoire. 

Elle est de toutes les opérations coup de poing pour créer des avant-postes juifs en Cisjordanie occupée et défend bec et ongles « la terre d’Israël », qu’elle voit à la fois comme une « promesse » et une « étape vers la rédemption ».

Turban cachant ses cheveux, arme à feu en permanence dans son sac à main « pour se défendre des Arabes »,selon ses mots, cette mère de sept enfants les élève seule depuis que son mari est parti faire la guerre. 

« À la base, c’est l’oncle de mon mari, Shaya Deutsch, qui avait une maison à Kfar Yam, à Gaza. Il avait des employés arabes qui travaillaient chez lui depuis vingt ans. Jusqu’au jour où des membres du Hamas sont venus chez un de ses employés et ils l’ont menacé en lui disant que s’il ne tuait pas son patron, ils tueraient sa femme et ses enfants. Shaya a été tué. »

Malgré tout, Serah Lisson cultive un souvenir idéalisé de ses années à Gaza. Elle n’évoque pas une seconde les injustices ou la domination subie par les Palestinien·nes et, pour elle, la colonisation n’existe pas. « Notre problème,continue Serah Lisson, c’est qu’à l’époque, les Israéliens ont cru que si on donnait toute la bande de Gaza aux Arabes et que nous, juifs, en sortions, alors il n’y aurait pas de guerre. Au final,soupire-t-elle, on leur a donné notre terre, et la paix, on ne l’a jamais eue. » 

Lignes de front

À l’origine, ils étaient 8 500 colons, comme elle, à s’être installés dans le Goush. Les premières implantations datent des années 1970 mais très vite, certains courants de la gauche israélienne y voient « un problème de poids démographique » à côté du million et demi de Palestinien·nes vivant autour. Dans une perspective strictement réaliste, ils prônent déjà un retrait. En vain. Les colonies s’étendent, d’autres se créent.

Les premiers habitants de ce qui est devenu la capitale du « bloc », Neveh Dekalim, une ville située entre Khan Younès et la mer, remontent à 1983. Certains Israéliens venaient d’ailleurs d’être évacués de la colonie de Yamit, dans le Sinaï égyptien, une implantation rasée à la suite des accords de Camp David. 

Toutes ces implantations, illégales selon le droit international, ont survécu à la première Intifada, aux accords d’Oslo. Puis, au fil des années, la méfiance s’est installée, des clôtures ont poussé, la seconde Intifada a transformé les lieux en véritable ligne de front jusqu’à l’évacuation complète, ordonnée par le premier ministre de l’époque, Ariel Sharon.Le 12 septembre 2005, tôt dans la matinée, les drapeaux israéliens étaient retirés et les derniers soldats quittaient la bande de Gaza, mettant un terme à trente-huit ans d’occupation.

Von der Leyen favorable à des sanctions contre les colons « extrémistes » en Cisjordanie

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est dite mercredi favorable à des sanctions contre les colons « extrémistes » en Cisjordanie, dénonçant des violences qui risquent d’aggraver les tensions régionales. « La montée de la violence des colons extrémistes inflige d’immenses souffrances aux Palestiniens. Elle compromet les perspectives de paix durable et elle pourrait aggraver davantage l’instabilité régionale. C’est pour ça que suis en faveur de sanctionner ceux qui sont impliqués dans les attaques en Cisjordanie », a déclaré Mme von der Leyen devant le Parlement européen à Strasbourg. « Cette violence n’a rien à voir avec la lutte contre le Hamas et doit cesser », a-t-elle insisté.

Lundi, à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles, le patron de la diplomatie européenne Josep Borrell a indiqué que d’éventuelles sanctions à l’encontre d’extrémistes israéliens en Cisjordanie avaient été discutées. « Il n’y a pas eu d’unanimité », avait-il précisé, ajoutant qu’il ferait néanmoins une proposition aux États membres.

Ursula von der Leyen s’exprimait mercredi matin dans le cadre d’un débat au Parlement européen sur la présidence espagnole du Conseil.

« Nous devons dire que ça suffit, ça suffit la mort de civils innocents à Gaza. Les bombardements doivent cesser immédiatement », a déclaré lors de ce débat le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, qui a plaidé pour un « cessez-le-feu humanitaire ».

À Jérusalem, pour les nostalgiques de cette période, un musée du Goush a vu le jour il y a seize ans. Sur la devanture, une plage est dessinée, et au mur, il y a un ancien panneau de signalisation sur lequel on peut lire « Gaza » en hébreu. « Bienvenue ! Vous voulez un tee-shirt ?, lance, enjoué, Avner Franklin, l’un des employés, pointant du doigt une pile de vêtements orange à l’entrée. Ils sont très tendance en ce moment. Ils symbolisent le retour à Goush Katif. »

Grande barbe blanche, kippa vissée sur la tête, cet Israélien-Américain d’une soixantaine d’années fait visiter : il explique l’origine du nom (Goush : bloc de colonies ; Katif : la cueillette de fruits), détaille les cartes et rappelle les dates ainsi que l’histoire de cette petite bande de terre côtière. « C’est Isaac qui vivait dans cette zone. Voilà comment nous prouvons historiquement que cet endroit nous appartient. »

Lui n’a jamais vécu là-bas. « Mais on y allait chaque été pour les vacances. Nous n’avions pas assez d’argent pour aller dans l’hôtel quatre étoiles, mais on louait un bungalow et on emmenait les enfants. C’était merveilleux. Regardez ces photos, c’est comme la Côte d’Azur, non ? » 

Je le dis en blaguant aux visiteurs : un jour, ce musée va se transformer en agence immobilière pour vendre des propriétés dans le Goush Katif.

Avner Franklin, employé du musée du Goush

Dans sa voix et son regard, la nostalgie est palpable. La fierté, aussi, lorsqu’il montre la plage, les palmiers, les somptueux couchers de soleil sur la mer, les innombrables terres qui produisaient 10 % de l’agriculture israélienne, les yeshivas, les centre commerciaux, les stations-service, les synagogues. 

« Nous avons transformé cet endroit désertique en un jardin d’Eden. Mais maintenant, il ne reste plus rien. Tout s’est effondré quand on est partis, quand le Hamas a pris le contrôle. Ensuite, ils ont été capables de faire ce qui s’est passé le 7 octobre. » 

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Des enfants visitant le musée de Gush Katif à Jérusalem, devant des cartes de Gaza et du Sinaï. © Photo Arthur Larie

Il marque une pause, grimace, puis soupire, avant de continuer la visite. Dans la seconde pièce du musée, un hannukia, chandelier à neuf branches, a été fabriqué à partir des restes d’une roquette non explosée des brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, tombée dans le jardin d’un des habitants d’une colonie. 

À côté, des clés ont été encadrées, celles de l’ancienne synagogue tunisienne de Neveh Dekalim, symbole du retour des réfugiés palestiniens chassés lors de la Nakba, en 1948, à la création de l’État d’Israël. 

« Personnellement, moi aussi j’aimerais y croire, à ce retour. Je le dis en blaguant aux visiteurs : un jour, ce musée va se transformer en agence immobilière pour vendre des propriétés dans le Goush Katif. Mais avant, il faut qu’on détruise et qu’on éradique complètement le Hamas. Une fois que cette guerre sera derrière nous, il sera temps de penser à ça. »

Pourtant, depuis le début de l’invasion terrestre à Gaza, plusieurs signes laissent penser qu’il y a une réelle volonté d’Israël de « reprendre » cette bande de terre côtière sous blocus, pulvérisée et pilonnée depuis plus de soixante jours. 

Sur des photos et des vidéos postées sur les réseaux sociaux, on voit des soldats planter des drapeaux israéliens sur des ronds-points ou sur des maisons en ruine ; d’autres qui prient à l’emplacement d’une ancienne synagogue ou encore un groupe d’étudiants de yeshiva proclamant l’établissement de la première « Maison Chabad » à Gaza, un centre communautaire dédié au judaïsme. 

Tous les mouvements de Judée-Samarie pensent pareil : pour avoir la paix, il faut y retourner.

Nissim Atyas, colon à Elon Moreh

Pendant ce temps-là, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou n’a cessé d’accélérer la colonisation des territoires palestiniens, approuvant cette semaine la construction de nouveaux logements à Jérusalem-Est, et la vision annexionniste de Gaza est de plus en plus répandue dans certaines franges politiques. « La seule victoire de cette guerre sera de voir des maisons juives à Gaza, de voir des enfants israéliens jouer dans les rues de Gaza », affirmait dimanche la députée d’extrême droite Limor Son Har-Melech

En poussant un peu la discussion, de nombreux colons de cette même frange politique font le parallèle entre le 7 octobre et l’évacuation de Gaza. Pour beaucoup, la seule façon de contrôler la zone, c’est de s’y réimplanter. « Le fait que des Israéliens vivaient à Goush Katif, c’était une manière de protéger Israël. Les soldats contrôlaient, et les Palestiniens n’avaient pas les armes qu’ils ont désormais », explique Moshe Goldsmith, 60 ans, père de cinq enfants et dix fois grand-père. 

Cet Américain habite depuis 1985 derrière les barbelés et les grillages de la colonie d’Itamar, pistolet à la ceinture. « Si on ne règle pas le problème ici, ça sera la même chose, continue-t-il. Voilà pourquoi, depuis la guerre, l’armée israélienne intensifie ses opérations en Judée et Samarie [nom donné par les Israéliens à la Cisjordanie occupée – ndlr] : pour ne pas autoriser ce qui s’est passé à Gaza. Mais évidemment, l’avantage, c’est que nous sommes là. À Gaza, on ne pouvait compter que sur les services de renseignement… qui ont complètement échoué. » 

« Tous les mouvements de Judée-Samarie pensent pareil : pour avoir la paix, il faut y retourner », confirme Nissim Atyas, ancien rabbin franco-israélien de Meudon-la-Forêt, dans la colonie voisine d’Elon Moreh. Lui passait tous ses shabbat au Goush Katif : sa fille y habitait, certains de ses petits-enfants y sont nés. 

« Dans les dernières semaines, on a fait le déplacement comme volontaires, contre l’évacuation, pour aider. J’ai même emmené des touristes français. » À côté, sa femme, Rachel, née en Algérie, regrette les plages magnifiques, « les plus belles d’Israël », dit-elle. « Il y avait un grand hôtel, je ne sais pas ce qu’ils en ont fait, je crois que c’est devenu une université… ou alors ils ont tout détruit ? » Son mari l’interrompt : « De toute façon, on reprend tout ça. Gaza, c’est à nous. »

Alice Froussard

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