Activiste de la paix, la septuagénaire, issue d’une famille américaine juive ashkénaze, veut réconcilier le politique et l’intime. Quand tous ses proches soutiennent Israël, elle arpente les couloirs du Congrès pour y réclamer un cessez-le feu.

Patricia Neves

8 décembre 2023 à 11h41

New York (États-Unis).– À 71 ans,Medea Benjamin ressemble à ce que l’on pourrait attendre d’une activiste américaine pour la paix. Ayant grandi dans les années 1960, avec le mouvement hippie, elle a longtemps évolué dans des cercles pacifistes où l’on ressentait, entre les différentes religions, une « sorte de lien ».

Lorsque la guerre entre Israël et le Hamas a éclaté, Medea Benjamin a donc été l’une des premières voix à appeler publiquement, outre-Atlantique, à la mise en place d’un cessez-le-feu. Elle : une figure publique, militante de longue date. 

Elle aussi, dont la vie privée a été marquée par la mémoire douloureuse des pogroms et de l’Holocauste qui ont décimé une partie de sa famille, juive ashkénaze. Aujourd’hui, ses proches soutiennent Israël. Depuis deux mois, Medea Benjamin tente de concilier la tension née de ces deux vérités, publique et intime. 

« Je pense que les gens peuvent reconnaître que tuer 6 000 enfants est inexcusable, indépendamment de ce qu’on pense du Hamas »,confie-t-elle à Mediapart.

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Medea Benjamin. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

Aux États-Unis, Medea Benjamin fait partie de cette gauche américaine progressiste qui bouscule la gauche traditionnelle, soutien historique de l’État hébreu. À travers son organisation féministe, Code Pink, Medea Benjamin concentre d’ailleurs son action au cœur du pouvoir politique, à Washington, dans les allées du Congrès qu’elle arpente « tous les jours ».

Sur place, elle multiplie les réunions avec les élu·es démocrates qu’elle tente de rallier à sa cause. Une cinquantaine de membres du Congrès (sur 534) appellent désormais à un cessez-le-feu, se félicite-t-elle. 

« Je connais beaucoup de gens qui travaillent au Congrès, au Département d’État. Partout il y a des dissensions, un mécontentement à l’égard de la politique [étrangère des États-Unis – ndlr]. C’est inédit. » Au Congrès, par exemple, il lui arrive de croiser des jeunes « collaborateurs arborant un keffieh ».

Medea Benjamin scrute aussi les auditions publiques de hauts responsables. Celle du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, le 31 octobre, a ainsi valu à l’activiste d’être brièvement arrêtée. Comme plusieurs dizaines de fois au cours de sa vie, selon son décompte.

Venu plaider en faveur d’une aide financière au profit d’Israël, Antony Blinken était alors particulièrement attendu, y compris par Medea Benjamin et les militant·es de Code Pink, qui ont protesté silencieusement, en levant leurs mains, derrière Blinken. Des mains préalablement peintes en rouge pour symboliser le sang des morts de Gaza.

Les images de l’audition, et des mains rouges, ont été retransmises en direct sur toutes les grandes chaînes de télévision des États-Unis. Israël perçoit chaque année 3,8 milliards de dollars d’aides américaines, plus que tout autre pays. « Le Congrès apparaît très, très éloigné du grand public, juge Medea Benjamin. Pour moi, il est inconcevable de verser cet argent à un moment où 65 % du peuple américain se dit favorable à un cessez-le-feu, dont presque 80 % parmi les électeurs démocrates. »

Le coût personnel

Sur le plan personnel, l’activisme de Medea Benjamin n’est pas sans conséquences. « Certains proches m’écrivent aujourd’hui encore pour me dire : “Si tes parents t’entendaient, ils se retourneraient dans leur tombe.” » D’autres lui envoient « constamment des articles sur le Hamas et sur les choses horribles qu’ils ont commises ».

« D’habitude,explique-t-elle, j’essaie d’en discuter mais en ce moment, tout est si… enflammé. » Dans son entourage, des liens semblent se rompre, des relations sont « mises sur pause ». Ses parents, justement, n’étaient pas vraiment politisés, se souvient-elle. Ils n’étaient ni de gauche ni de droite. En revanche, ils étaient « extrêmement » clairs sur leur soutien à Israël. « Ils ont toujours eu le sentiment qu’au moins, en Israël, les juifs seraient en sécurité. »

Medea, de son vrai prénom Susan, a grandi avec la mémoire de l’Holocauste. Lorsqu’elle est retournée avec sa mère sur les traces de sa famille maternelle, en Europe de l’Est, en Hongrie, elles ont réalisé que « tout le monde avait été exterminé », confie-t-elle. « Jusqu’à leur mort, mes parents ont boycotté tout ce qui était allemand. »

Aux États-Unis, le rêve américain de la famille a toutefois aussi été teinté par l’antisémitisme. « Ma mère a grandi à Milwaukee, dans le Wisconsin. Il n’y avait pas beaucoup de juifs. Elle était constamment moquée et intimidée. Jusqu’aux années 70, il y avait encore des endroits où ils n’étaient pas les bienvenus. » Contrairement à elle, ses parents « ont été confrontés à de nombreuses discriminations ».

À peu près au même moment, à la fin des années 1960, Medea, adolescente, a un déclic. À 16 ans, ses parents l’envoient en Israël vivre l’expérience du kibboutz. « Cela devait être peu après la guerre des Six Jours, en 1967. » Il y avait alors, dans son souvenir, un grand sentiment anti-arabe.Dans la vision socialiste du kibboutz qui a tant plu à Medea, « on était tous égaux ». Sauf les Arabes.

Chargés de construire « une petite usine » locale, ces derniers étaient, selon Medea, dénigrés par les membres du kibboutz. « Tout d’un coup, j’ai réalisé qu’on n’était pas tous égaux. » Depuis, elle s’est engagée à diverses occasions pour la cause palestinienne et au-delà, en Afghanistan entre autres. 

Pour Gaza, qu’elle a visitée en 2010, Medea Benjamin continue de lever des fonds et reste en contact avec des groupes opérant sur place. Avec des militantes israéliennes, elle a organisé par le passé des marches pour la paix, à mi-chemin entre Israël et la Cisjordanie. « J’ai toujours été très inspirée par les femmes israéliennes qui prennent beaucoup de risques pour défendre les droits des Palestiniens », explique-t-elle. 

Medea Benjamin dit n’avoir pas observé de silence autour des violences commises par le Hamas sur les femmes israéliennes, bien que la question de l’invisibilisation de ces violences se soit également posée aux États-Unis. De Betty Friedan à Gloria Steinem, les féministes américaines ont été profondément façonnées par la pensée ou l’engagement d’Américaines juives.

« Au Congrès,poursuit Medea Benjamin, il nous est arrivé de croiser des familles ayant des proches détenus par le Hamas, nous sommes allés leur témoigner notre soutien. Nous sommes contre la violence. Les familles n’étaient pas toujours heureuses de nous voir. » 

Interdite de séjour en Israël en 2018, après avoir appelé au boycottage de l’État hébreu, Medea Benjamin se réfugie dans son combat. À la tristesse d’être bannie du sanctuaire de ses parents, la militante oppose une forme d’espoir : l’engagement « remarquable »de la nouvelle génération envers les Palestinien·nes.

Patricia Neves

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