Le chef de l’État est critiqué de toutes parts pour avoir célébré la fête juive à l’Élysée. Jugeant cette polémique « accessoire », son entourage peine cependant à cacher son embarras. D’autant que des voix s’élèvent jusque dans la majorité, où certains dénoncent une « faute historique et irréparable ».

Ilyes Ramdani et Ellen Salvi

8 décembre 2023 à 17h02

Une fois n’est pas coutume, Emmanuel Macron a fait l’unanimité. De la gauche à l’extrême droite, nombreuses sont les voix à avoir condamné la célébration, jeudi 7 décembre, d’une cérémonie religieuse dans la salle des fêtes de l’Élysée. Ce soir-là, le président de la République recevait le prix Lord-Jakobovits de la Conférence des rabbins européens (CER), décerné aux chefs d’État et de gouvernement européens au titre de la lutte contre l’antisémitisme et de la sauvegarde des libertés religieuses.

Mais la réception, qui n’était pas inscrite à l’agenda, a pris un autre tour lorsque le grand rabbin de France Haïm Korsia a allumé une bougie pour la fête juive Hanoukka aux côtés d’Emmanuel Macron. Une entrave manifeste au principe de laïcité, dont le chef de l’État est pourtant censé être le garant. « Une erreur », selon le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). « L’ADN républicain, c’est de se tenir loin de tout ce qui est religieux », a rappelé Yonathan Arfi sur Sud Radio.

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Emmanuel Macron au côté de Haïm Korsia, grand rabbin de France, le 7 décembre à l’Élysée. © Photo Twitter / Mendel Samama

Côté politique, les condamnations se sont multipliées. « Hanoukka à l’Élysée ! Bientôt Pâques, l’Aïd ? », a interrogé le député La France insoumise (LFI) François Ruffin. Son collègue Les Républicains (LR), Aurélien Pradié, a reproché à Emmanuel Macron d’« écraser tous les repères fondamentaux », tandis que la députée Laure Lavalette, porte-parole du Rassemblement national (RN) à l’Assemblée, l’a accusé d’« essayer de se rattraper » après son absence à la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre.

Fait rarissime, des voix se sont même indignées au sein de la majorité, où les critiques se font d’ordinaire sous cape. « Par cet acte, Emmanuel Macron rompt avec son rôle de garant de la neutralité de l’État, a tonné le député Renaissance Pierre Henriet. Je condamne fermement cette tentative de préférence religieuse. » Son collègue du MoDem Mohamed Laqhila a dénoncé « une grave entorse » à la laïcité tandis que le maire Horizons de Plomoeur (Morbihan), Ronan Loas, parlait d’une « faute historique et irréparable ».

En déplacement sur le chantier de Notre-Dame de Paris, vendredi matin, Emmanuel Macron a balayé une controverse « accessoire » et appelé à « un peu de bon sens et de bienveillance ». « Si le président de la République s’était prêté à un geste cultuel ou avait participé à une cérémonie, ça ne serait pas respectueux de la laïcité. Ça ne s’est pas passé », a-t-il protesté, plaçant la cérémonie du 7 décembre « dans un esprit qui est celui de la République et de la concorde ».

Haïm Korsia a également tenté de déminer la polémique, en s’étonnant au micro de RTL : « Dans le pays des Lumières, qu’on s’offusque qu’on allume une lumière de l’espérance qui n’a rien de religieuse… » « Ce n’est pas une fête biblique », a ajouté le grand rabbin de France, avant de pointer une question de superposition d’agendas : « Il était impensable qu’on ne puisse pas allumer cette bougie [le premier soir de Hanoukka – ndlr]. Ce n’est pas au président de le faire, évidemment, mais à moi. La laïcité n’est pas l’athéisme. »

Les ministres font de l’aviron

Dans l’entourage du chef de l’État, on insiste sur le fait que cette initiative émane du représentant – et de lui seul – qui aurait lié deux sujets : la fête juive coïncidant avec les deux mois de l’attaque du Hamas en Israël.

« Le grand rabbin a salué le discours de remerciement du président de la République en lui proposant d’allumer en sa présence la première bougie de Hanoukka. C’était aussi une forme d’hommage aux victimes du 7 octobre. Le président a accepté. Voilà », coupe court l’un de ses conseillers. Relancé, ce dernier ajoute : « Vous le voyez dire “non, pas de bougie pour les victimes du 7 octobre” devant l’assemblée ? »

Quoi qu’il en soit, l’affaire embarrasse clairement les soutiens d’Emmanuel Macron, la plupart se gardant soigneusement de commenter l’épisode. Obligée de glisser un mot sur le sujet face aux caméras qui la suivent en déplacement à Mayotte, la première ministre Élisabeth Borne s’est contentée d’y voir « un signal envoyé à la communauté juive ».

Il faut faire respecter la laïcité, fermement, justement.

Emmanuel Macron, octobre 2020

Interrogé sur France Info, Gérald Darmanin a quant à lui assuré qu’il n’y avait là « nulle violation de la laïcité ». « Il n’y a aucun problème sur le fait que les maires puissent aller recevoir dans les mairies des personnes religieuses », a ajouté le ministre de l’intérieur, allant jusqu’à trouver « un peu absurde » les décisions de justice interdisant les crèches dans les bâtiments publics « parce que ça fait partie de notre vie culturelle »

Au rayon des argumentations et des parallélismes incongrus, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, s’est insurgée sur CNews contre celles et ceux qui osent remettre en doute l’attachement d’Emmanuel Macron à la laïcité. « Il n’y a absolument aucune ambiguïté sur le combat du président et du gouvernement sur la laïcité », a-t-elle soutenu, rappelant dans la foulée que « c’est ce gouvernement qui a interdit le port de l’abaya à l’école »

En choisissant leurs exemples, les membres du gouvernement ont surtout livré en creux leur vision toute personnelle de la laïcité, principe sur lequel l’écosystème macroniste ne cesse de se diviser depuis 2017. Plus souvent convoqué pour exprimer des crispations identitaires que pour rendre hommage à Aristide Briand, le sujet a été accaparé, sous le premier quinquennat, par des ministres comme Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer, qui n’ont cessé de pousser en faveur d’une « laïcité de combat ».

Face à l’islam, une laïcité plus conquérante

Emmanuel Macron, lui, a évolué au gré des circonstances et des opportunités politiques. Ainsi s’était-il rapproché, en amont de la campagne présidentielle de 2022, de celles et ceux qu’il qualifiait de « laïcistes »quelques années plus tôt, avant de les lâcher une fois réélu. La cérémonie de jeudi s’inscrit dans cette dissonance permanente entre les actes du président de la République et ses discours, dissonance qui lui a permis, en bien des circonstances, de ne se fâcher avec personne, si ce n’est avec la cohérence.

Célébrer Hanoukka à l’Élysée un mois après avoir vanté le principe de laïcité devant le Grand Orient de France (GODF) en a surpris plus d’un. « Le pacte républicain, déjà fragilisé, n’avait pas besoin d’une fissure de plus », a d’ailleurs écrit le grand maître du GODF Guillaume Trichard, exprimant sa « réprobation face à cette atteinte manifeste de la loi de séparation des Églises et de l’État ». D’autant que c’est bien Emmanuel Macron qui martelait en octobre 2020 : « Il faut faire respecter la laïcité, fermement, justement. »

Dans son discours aux Mureaux (Yvelines), le chef de l’État avait ce jour-là cité le cas des mairies qui serviraient « des menus confessionnels » dans les cantines scolaires ou qui réserveraient des créneaux aux femmes à la piscine. Deux exemples supposés du « séparatisme islamiste », sur lequel l’exécutif a capitalisé la fin du premier quinquennat. En présentant cette loi en février 2021, Gérald Darmanin s’était vanté « d’étendre la neutralité de l’État et de ses agents comme jamais »

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S’il a été martelé s’agissant de la religion musulmane, ce principe de neutralité a connu quelques accommodements au cours des dernières années. En déplacement à Jérusalem en janvier 2020, Emmanuel Macron s’était par exemple recueilli sur le mur des Lamentations, site le plus sacré pour les juifs, au grand étonnement des diplomates spécialistes du Proche-Orient.

« Mis à part Trump, aucun président américain, de George Bush à Barack Obama, n’a accepté d’aller au mur des Lamentations, et aucun haut fonctionnaire américain n’a été autorisé à le faire, expliquait l’un d’entre eux à Mediapart. Non point par manque de respect pour la religion juive, mais parce que cela équivalait à confirmer l’annexion de Jérusalem-Est par Israël. Les diplomates français ne l’ignoraient certes pas… »

En septembre dernier, le chef de l’État avait de nouveau créé la polémique en se rendant à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour assister à l’office religieux du pape François. La gauche avait alors dénoncé un rapport différencié de l’exécutif aux religions, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias évoquant même « une tentation du “deux poids deux mesures” », confinant à une « dérive concordataire ».

Ilyes Ramdani et Ellen Salvi

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