Ouvert en septembre 2020 à Bordeaux, le centre des Orchidées Rouges suit 219 femmes victimes de mutilations sexuelles ou de mariages forcés. Parmi elles, Melesse a fui seule sa Côte d’Ivoire natale après avoir été victime de deux mariages forcés. À 39 ans, elle tente désormais de faire sa propre vie, loin d’un passé marqué par la violence des hommes et l’omerta.

Elle se souvient de tout. Des dates, en particulier. C’est dans les locaux calmes et tamisés des Orchidées Rouges à Bordeaux, que Melesse raconte son histoire. Celle d’un premier mariage forcé à l’âge de 16 ans en Côte d’Ivoire, puis d’un deuxième. Arrivée à Bordeaux en 2019, après être partie seule de son pays, elle est suivie par ce premier centre français accompagnant les femmes victimes de mutilations sexuelles et de mariages forcés. Et elle essaye de surmonter les traumatismes passés.

Prédestinée

Melesse a grandi dans la région d’Adzopé, au sud de la Côte d’Ivoire. Studieuse, elle aime aller à l’école et espère pouvoir faire des études. En 1998, à l’âge de 16 ans, la vie de la jeune fille prend un autre tournant :

« Depuis toute petite, au village, on me voyait comme quelqu’un de spécial. Je faisais des rêves étranges, prémonitoires. Pour moi, ça n’avait pas d’importance. Mais pour les autres et mes parents, ça voulait dire que j’étais prédestinée. Au village, il y avait un homme influent, qui pratiquait des cérémonies religieuses. Il avait 68 ans, j’en avais 16. J’ai été mariée de force à lui. »

C’était le 27 septembre 1998. Melesse allait passer en classe de troisième :

« J’ai beaucoup pleuré, je ne voulais pas. Mais je ne pouvais pas m’opposer, mes parents ne voulaient rien savoir. Ma mère ou ma sœur n’ont pas été mariées de force. Moi je l’ai été pour avoir soi-disant un don qui me destinait à être mariée à cet homme. J’ai vécu 15 ans avec lui. »

Melesse, à Bordeaux, dans les locaux des Orchidées Rouges (VB/Rue89 Bordeaux

« L’avis des femmes ne les intéresse pas »

L’homme vit avec deux autres femmes, plus âgées que Melesse :

« J’étais la bonne de la maison. Je devais tout faire, ne pas désobéir. Il me forçait à avoir des rapports avec lui. Il était violent avec moi parce que je n’acceptais pas. »

Melesse marque une pause dans son récit. Ses doigts se serrent autour du mouchoir qu’elle tient entre ses mains :

« Peu après le mariage, je suis tombée enceinte. J’ai été emmenée à l’hôpital. On m’a dit qu’on allait m’ausculter pour voir si tout allait bien. J’ai eu une perfusion dans le bras et, quelques heures après, du sang a coulé entre mes jambes. Je venais de subir un avortement. Les médecins ne m’ont rien dit. Ils ont dû recevoir de l’argent, ça se passe comme ça là-bas. L’avis des femmes ne les intéresse pas. »

Peur pour sa vie

Quand elle a 21 ans, l’histoire se répète. Dépossédée de son corps, Melesse en garde des traumatismes psychiques, mais aussi physiques :

« J’ai toujours eu de fortes douleurs dans le bas ventre. Quand je suis arrivée en France, on m’a diagnostiqué une endométriose lors d’une hystéroscopie. Le médecin m’a demandé si j’avais déjà eu une opération car j’avais une malformation aux ovaires. Les avortements ont pu jouer un rôle dans cela. »

Le mari de Melesse décède quand elle a 30 ans. Comme le veut la tradition, elle est mariée au frère de son ancien époux, un an après le décès de ce dernier. Une fois de plus, on ne la laisse pas décider :

« J’ai de nouveau subi des violences. L’homme avec qui j’ai été remariée était âgé, mais il me forçait à faire des choses devant lui. Il avait un fils, connu dans tout le village pour être alcoolique et violent. Chaque fois qu’il venait me voir, il me menaçait. Je faisais ce qu’il exigeait, j’avais peur pour ma vie. »

S’échapper

À Abidjan, là où elle se rend parfois pour vendre des habits, Melesse rencontre une amie et lui fait part des violences subies. Aidée par cette dernière et sa demi-sœur, Melesse entreprend des démarches pour obtenir un visa. Le 10 décembre 2019, elle se rend à nouveau dans la grande ville. Cette fois, elle le sait, elle ne reviendra pas au village. En France, elle est hébergée par des connaissances à Bordeaux. Une vie nouvelle débute :

« Ma demi-sœur m’a dit que le fils de mon mari me cherchait partout. Je sais que je ne pourrai plus retourner là-bas. Aujourd’hui, notamment grâce au centre, j’apprends à oublier mon passé. J’ai d’abord vu une psychologue, puis j’ai été orientée vers des professionnels divers. Ici, je fais du yoga, de la sophrologie, j’ai des entretiens avec une sexologue. Je discute aussi avec les autres femmes, on a chacune notre histoire et c’est bien de pouvoir en parler. »

Divers ateliers sont organisés par le centre des Ochidées Rouges (VB/Rue89 Bordeaux)

Libre de ses choix

Fièrement, Melesse montre un tableau qu’elle a peint lors d’un atelier d’art thérapie organisé aux Orchidées Rouges. Une toile colorée représentant un vase de fleurs. Depuis qu’elle a quitté son pays, Melesse apprend à se réapproprier un corps marqué par la violence des hommes. Elle reconnaît qu’aujourd’hui encore elle a du mal à leur faire confiance, partagée « entre la peur et la colère ».

Melesse a entrepris des démarches auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OPFRA) pour obtenir l’asile. Une fois que sa situation administrative sera réglée, elle aimerait suivre une formation pour devenir aide-soignante. En attendant, elle tente de se reconstruire, libre de ses choix.

Les Orchidées Rouges : un centre de soins pluridisciplinaires

L’association des Orchidées Rouges accompagne les femmes victimes de mutilations génitales, ou de mariages forcés, avec une équipe pluridisciplinaire : médecins, psychologues, sexologues, travailleurs sociaux, juristes… Un an après son ouverture, le centre a accueilli 219 femmes venant de Nouvelle-Aquitaine. Début septembre, une unité similaire à celle de Bordeaux a vu le jour à Abidjan, en Côte d’Ivoire, pays d’où est originaire Marie-Claire Kakpotia Moraldo, la fondatrice du centre.

Pour Marie-Claire Kakpotia Moraldo, elle-même excisée à l’âge de 9 ans, une prise en charge globale est nécessaire pour les victimes de mutilations sexuelles :

« Une femme excisée cumule, en moyenne, quatre types de violences : excision, mariage forcé, violences conjugales, violences économiques… Ici, l’accompagnement est gratuit, même pour les femmes qui n’ont pas de couvertures sociales en France. Le parcours est co-construit avec chaque femme, parce qu’on veut qu’elles soient actrices des changements qui s’opérer dans leurs vies. Le rapport soignant/soigné est changé. Le soignant n’impose pas ses choix, il en discute avec la femme. Cette dernière est considérée, elle fait ses choix. »

L’association des Orchidées Rouges vient d’entreprendre un partenariat avec Bordeaux Métropole Médiation. Le but : faire de la sensibilisation dans les quartiers populaires, mais aussi identifier des jeunes femmes qui pourraient être victimes de mutilations sexuelles.

En France, en 2019, selon une étude visible sur le site de Santé Publique France, 125 000 femmes étaient victimes d’excision. Ce chiffre a doublé en 10 ans ce qui s’expliquerait par une féminisation des flux migratoires en provenance de l’Afrique subsaharienne. En France, pour les petites filles, les excisions ont souvent lieu pendant les vacances sco

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