Un recours a été déposé devant l’ONU par les avocats de Parvin, 30 ans, dont le cas illustre, selon eux, une « banalisation » des refoulements illégaux.

Par Marina Rafenberg(Athènes, correspondance)

« J’ai été menottée, battue, aspergée de gaz lacrymogène, torturée presque jusqu’à la mort… Je veux raconter mon histoire, je veux que justice soit faite ! », raconte Parvin, une réfugiée iranienne de 30 ans, dans une vidéo présentée lors d’une visioconférence organisée, mercredi 2 février, par l’ONG grecque HumanRights360 et le groupe de recherche Forensic Architecture. Les deux organisations ont retracé et documenté les six refoulements illégaux dont a été victime la jeune femme à la frontière gréco-turque, en s’appuyant sur des vidéos, des photos, des localisations GPS qu’elle leur a transmises.

Entre février et juin 2020, Parvin, désormais demandeuse d’asile en Allemagne, a été capturée cinq fois dans la région frontalière de l’Evros, entre la Grèce et la Turquie, et une fois au large de l’île de Kos – par des policiers grecs ou des hommes masqués selon les cas –, puis renvoyée de force en Turquie après avoir été dépouillée, maltraitée et confinée pendant des heures dans des conteneurs ou des bâtiments qui n’ont rien de postes de police officiels. « Tout ce qui se passe à la frontière est fait en secret. Normalement, ils détruisent nos téléphones portables pour ne laisser aucune trace, mais j’ai réussi à prendre quelques photos et vidéos », témoigne Parvin.

Détenue dans un conteneur

Le 18 février, pour la première fois, elle tente de traverser la frontière à partir de la ville turque d’Edirne, afin de déposer sa demande d’asile en Grèce. Elle est vite arrêtée et frappée avant d’être repoussée, avec d’autres migrants, majoritairement afghans et iraniens, sur des canots de fortune sur la rivière séparant les deux pays. Quelques jours plus tard, elle retente l’aventure. Cette fois, elle est détenue plusieurs jours dans un conteneur, au poste-frontière de Soufli, sans nourriture ni accès à une aide légale. De nouveau, elle est expulsée vers la rive turque. Vingt jours après, un rapport du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe décrit ce même conteneur comme un lieu de détention illégale.

A partir du 28 février 2020, Parvin est témoin des tensions accrues entre Athènes et Ankara, après que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, eut menacé de laisser passer des milliers de migrants en Europe. Elle est aspergée de gaz lacrymogènes tirés par les gardes-frontières grecs et repart à Istanbul. Lors de ces dernières tentatives de passage en Grèce, Parvin déclare avoir été refoulée par des policiers grecs accompagnés de réfugiés afghans ou iraniens, qui les aident dans l’espoir de ne pas être déportés.

« Nous avons obtenu plusieurs témoignages qui vont dans ce sens. Cela peut s’expliquer, car la police grecque ne veut plus se rendre sur le territoire turc après les tensions survenues en mars 2020 entre les deux pays [des arrestations de policiers grecs se trouvant côté turc avaient eu lieu à la suite de ces événements] ; elle laisse les réfugiés qui collaborent avec eux raccompagner les nouveaux arrivants en Turquie », note Stefanos Levidis, chercheur pour Forensic Architecture.

« Refoulements banalisés »

Le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), une ONG allemande qui représente Parvin, a déposé mardi 1er février un recours contre la Grèce devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU. « Nous n’avons pas voulu faire de procédure juridique en Grèce, car, d’après de nombreux témoignages d’ONG, il n’y a pas d’enquête indépendante sur ces pratiques. Nous voulions porter l’affaire à l’international et pas seulement au niveau européen, car ces refoulements illégaux ont lieu désormais depuis trop longtemps au sein de l’UE, sans que des actions concrètes soient prises », explique Hanaa Hakiki, conseillère juridique pour l’ECCHR. « Ce cas montre comment les refoulements sont désormais banalisés », ajoute Evgenia Kouniaki, avocate pour HumanRights360.

Depuis des mois, les défenseurs des droits humains, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et plusieurs enquêtes journalistiques ont documenté ces refoulements illégaux de migrants depuis la frontière terrestre de l’Evros, mais aussi depuis les îles de la mer Egée vers la Turquie. Mercredi, le ministre de l’intérieur turc, Süleyman Soylu, a affirmé que douze migrants avaient été retrouvés morts de froid dans la région frontalière de l’Evros, près du village de Pasakoy, accusant sur Twitter les gardes-frontières grecs de les avoir « dépouillés de leurs vêtements et de leurs chaussures ». « Ces migrants ne sont jamais arrivés jusqu’à notre frontière. (…) Plutôt que d’accuser les autres, la Turquie devrait prendre ses responsabilités et éviter que ce genre de tragédie ne se produise à nouveau », a rétorqué le ministère grec des migrations, Notis Mitarachi.

Athènes a toujours nié avoir recours aux refoulements et refuse de mettre en place un mécanisme indépendant pour enquêter sur ces violations aux frontières, malgré les demandes répétées de la Commission européenne. »

Marina Rafenberg (Athènes, correspondance)

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